La dernière semaine qui clôture les réjouissances de carnaval est attendue avec encore plus d’envie par le tout Perpignan. Traditionnel, le bal du Jeudi-gras qui sera celui de toutes les attentions, est donné au théâtre dès 1836 pour la jeunesse de bonne famille. D’autres bals y sont organisés tout au long de la période ainsi que dans différentes salles de la ville. La jeunesse loue des salles à l’attention des grisettes, ces jeunes filles des classes  modestes. Ces réjouissances sont l’occasion de se montrer dans ses plus beaux atours. C’est alors que se déroulent les bals les plus enjoués de toute l’année. « Des bals masqués reçoivent au théâtre les différentes coteries. De ces bals masqués, les uns, pour le public payant, sont, comme partout, généralement mal composés ; les autres, donnés par des réunions de jeunes gens et composés par l’élite de la population, sont remarquables autant par la décence qui y règne, que par la beauté, l’élégance, la richesse souvent, et toujours l’infinie variété des costumes de caractère. Les vêtements de tous temps et de tous les âges, les dominos frais, somptueux, élégants, remplissent la salle, circulent dans les corridors, se succèdent et se remplacent dans les loges et les galeries pour intriguer les personnes non travesties. La décoration très bien entendue de la salle, son brillant éclairage, les vases d’orangers qui garnissent quelques fois les avenues, tout produit un de ces effets magiques, qu’au dire des voyageurs, on ne rencontre au même point dans aucune autre ville [1]

La volonté d’avoir le plus beau costume donne lieu à des scènes proches de l’hystérie comme dans ce court récit paru en 1840 dans l’Album Roussillonnais. « Mais c’est désolant ! Les heures se succèdent avec une rapidité qui m’effraie, encore une qui tombe ! Et ma modiste…ma délicieuse parure ! Et ces phrases arrivaient lentes et entrecoupées sur les lèvres, obligées qu’elles étaient de faire place à des soupirs qui s’échappaient d’une poitrine haletante. Et une tristesse profonde, une désespérante impatience plissaient aujourd’hui ce front, la veille si riant d’espoir et d’amour. Que de fois Jenny montrait à la fenêtre son gentil visage puis l’en retirait pour le poser attentivement à la porte. Mais rien, absolument rien ne venait dissiper ses inquiétudes. Tout ce qui avait de domestiques au logis avait couru chez la modiste : il fallait vite l’explication de cet impardonnable retard. La petite cloche de l’horloge St Jean annonce l’approche de la huitième heure, le désespoir de Jenny est à son comble. Le bal va s’ouvrir et une fatale incurie la condamne à un mortel éloignement. Comprenez-vous mes jolies lectrices tout ce qu’il y a de terrible, d’horripilant, dans ces quelques mots de ne pas aller au bal, alors que depuis huit jours, on nourrit les projets les plus séduisants, les plus irisés, qu’on savoure d’avance les délices de cette périodique soirée du jeudi-gras ? La pauvre femme allait, je crois, succomber à sa douleur…Tout à coup un pas retenti dans l’escalier, on monte…Enfin ! Tout ce que put dire Jenny, d’un ton où perçaient à la fois le contentement et la crainte. La modiste se confond en excuses, sa faute est rapidement oubliée, la jolie robe en crêpe bleu ciel à double tunique fut son meilleur avocat. Le plaisir du présent efface bien vite les peines du passé. Aussi la jeune dame ne songea plus qu’aux apprêts. Les Parisiennes sont renommées pour leur amour de la parure, mais les dames de Perpignan ne leur cèdent en rien. On m’a raconté d’une dame aimable et jolie, que pour briller dans un bal de notre ville, elle avait jadis employé le talent d’un des plus habiles coiffeurs de la capitale et était revenue en poste de Paris, la tête ornée dans le dernier goût. On a vu dans la fête de jeudi des prodiges de coquetterie, un déploiement de luxe radieux. C’était une féerie, une réunion privilégiée, une foule de charmants visages et de délicieux costumes. La salle était décorée avec le plus grand éclat, des flots de lumières lui donnaient une magnifique splendeur, et produisaient sur cette cohue aux mille couleurs, un effet magique et ravissant. Hommes et femmes, dominos des deux sexes s’y pressaient ardents et joyeux, et attendaient le gai signal des contredanses. Le nombreux orchestre dirigé par monsieur Garouste, à peine se fait-il entendre, que tout est envahi par les quadrilles, tout flotte, c’est un désordre qui donne des vertiges. Toutes les loges, toutes les galeries sont remplies de spectateurs [2]. »


[1]              Henry, (D.M.J.), Le guide en Roussillon ou itinéraire du voyageur dans le Département des Pyrénées-Orientales, 1842, p.164-167.

[2]               Album Roussillonnais, 1840, p.11.