Association ethnographique

Catégorie : Révolution Française

Une nouvelle œuvre de Gamelin sur le costume roussillonnais.

Jacques GAMELIN a travaillé à Perpignan durant deux périodes, dès 1784, puis lors de la Révolution française. C’est durant cette seconde époque qu’il semble avoir peint cette scène touchante d’une jeune mère allaitant son bébé.

Une miniature conservée à Perpignan montre la même maternité et pourrait représenter madame Pradal.

A la découverte de la garde-robe d’une perpignanaise en 1794.

Portrait de femme, vers 1790-1800, col. part.

Jeanne Vidal Rivière était la femme d’un cafetier de la place de la Loge à Perpignan. Cette place fut le premier endroit de la ville à voir apparaître les cafés, ces nouveaux lieux de sociabilité, au milieu du XVIIIe s. Femme de bonne condition, elle possédait une garde robe importante ainsi qu’un coffret à bijoux. Le 10 frimaire de l’an 4 (30 novembre 1794), sa garde robe est décrite comme suit :

« un tablier de soie noire,

un capuchon de soie noire,

une jupe de bourrette rayée,

une jupe de papeline,

trois jupes d’indiennes,

deux jupes de cotonnades rayées,

deux jupes de mousseline blanche,

cinq tabliers d’indienne,

un tablier en coton rayé,

deux tabliers de quadrille,

une jupe de bourrette rayée,

quatre corsets de coton,

un corset de nankin,

un corset en drap de coton,

deux en papeline noire,

un en drap de coton rayé,

dix mouchoirs d’indienne pour le col,

une jupe de cotonnade blanche,

une capuche de sergette noire,

deux tabliers de cotonnade,

une jupe de cotonnade,

dix-neuf chemises,

trois paires de souliers d’étoffes,

une paire de souliers d’étoffe bronzée,

douze bas de coton,

trente six coiffes,

quatre mouchoirs de mousseline blanche,

deux coiffes d’enfant,

une montre en or sans anneau ni cordon faite à Paris,

un esclavage en or avec sa plaque,

une jeannette avec son cœur, le tout d’or avec ruban de soie,

une paire de pendants d’or pour les oreilles,

une bague d’or avec sept pierres violettes,

un jonc avec deux petits cœurs le tout d’or,

une boite d’ivoire garnie d’écaille avec un portrait,

une croix en grenat dont un est démonté de son amande,

un jonc cassé,

une bague d’or ronde,

une bague avec un grenat en forme de cœur coupé avec une petite esse de crochet d’argent,

une montre d’argent, chaine d’acier et la clef de cuivre sans nom de facteur,

deux paires de boucles petites d’argent,

deux paires de boucles d’argent pour les souliers,

un crochet (clavier) d’argent avec sa chaine de même ».

La garde robe d’une famille d’émigrés pendant la Révolution Française en 1794.

Travaux d’aiguille dans un intérieur de l’extrême fin du XVIIIe s.

Ce document a été rédigé à une période troublée de l’histoire du Roussillon. Des membres de l’administration révolutionnaire sont appelés à inventorier au village du Soler, les affaires laissées sur place par la famille Debouches. Le père de famille était militaire, proche du pouvoir royaliste. Il a probablement rejoint comme tant d’autres la Catalogne frontalière afin d’éviter la prison.

Ainsi l’inventaire ne contient ni les habits emportés sur eux, ni aucun bijou, un bien facile à conserver sur soi afin de subsister dans les périodes difficiles. Le restant des habits et textiles trouvés sur place font une grande part à la fois aux productions de laine (flanelle, laine blanche…), de soie (soie cramoisie, soie jaune) et de coton à motifs tissés (cotonnades flammées) et à motifs imprimés (indiennes). L’habillement féminin est intéressant à plus d’un titre puisque l’on retrouve l’ensemble des pièces du costume populaire : coiffes, serre-têtes, bas, jupons piqués (cotillons), corsets, tabliers, chemises.  On notera aussi des outils permettant de réaliser à domicile filage, dentelle, broderie et bien sûr piqûre ou matelassage. Production phare de Marseille, le piquage était aussi pratiqué en Roussillon.

« Inventaire des effets qui se sont trouvés dans la maison curiale du Soler, aux appartements où logeaient les citoyens dénommés Debouches, père et ses deux filles, commencé le 4 ventôse de la 2ème année de la République conformément à la réquisition qui a été faite par les citoyens G. Triquera, R. Morat, membres du district de Perpignan : dans une garde robe de couleur grise y avons trouvé 51 chemises de femmes, deux cortinages de lit complet cotonnade flammée, quatre rideaux cotonnade flammée de fenêtre, cinq rideaux de fenêtre blancs, deux rideaux d’indiennes rouges, un habit d’homme…., deux habits bleus de commandant de place galonnés avec boutonnières d’or, deux vestes rouges l’une galonnée l’autre sans galons, une veste en flanelle, deux vestes blanches, deux paires de culottes bleues, un devant de veste brodé, deux couvertes de lit blanches de filadis ou coton, une couverte de lit verte, une couverte de lit de fil ou treillis, un gros rideau de toile grossière, un étui avec deux perruques dedans, une couverture en cotonnade flammée, douze chemises d’homme, un manteau bleu, une robe de chambre en flanelle, un petit rideau blanc, trois cotillons d’indienne, cinq cotillons blancs, un cotillon de soie mêlée, un casaquin de soie jaune, un corset bleu, une robe de chambre de femme en soie jaune, une robe de chambre de femme en soie cramoisie brodée coupée en deux morceaux, deux tabliers rouges en indienne, cinq casaquins en indienne, treize corsets blancs de femme, cinq paires de poches en cotonnades, deux jupes en indiennes (rajoutées à l’inventaire), sept paires de bas de femmes blancs, deux paires de bas blancs d’homme, dix coiffes de femmes dans un panier avec treize patrons à broder, cinq serre-tête de femmes, une paire de sabots de femme, deux paquets de chiffons avec deux paires de caleçons dedans , trois paires de souliers de femmes d’étoffe en mauvais état, une bourse garnie de fuseaux à faire les dentelles, deux quenouilles avec leur fuseau et aspi, six tours de cols blancs, deux coussins à faire les dentelles, un métier pour piquer les étoffes en bois, un autre métier à broder en bois, un jeu à jouer aux dés dit jacquet, une boite en fer blanc avec des fers à friser, une bonnette de laine blanche, deux chapeaux de paille noirs [1] ».


[1]          ADPO, 1Qp 459.

Le Directoire roussillonnais (1795-1799), entre sagesse et extravagance

P. Maurin, portrait de famille.

Le XVIIIe siècle s’achève, et malgré les troubles causés par la Révolution française, la mode arrive à s’exprimer. Le Directoire, le Consulat puis l’avènement de l’Empire font rapidement disparaître les extravagances des derniers feux de l’Ancien régime. Le classicisme simplifie la mise des Catalanes. A l’extrême fin de l’Ancien-régime, les portraits peints de Catalanes montrent des citadines portant le costume « traditionnel ». Les femmes du portrait de la famille Maurin [1], portent le caraco à manches trois-quart, des tabliers en indienne, des fichus blancs.

Celles des portraits de Jacques Gamelin (1738-1803) ont des spencers à la mode [2]. Toutes arborent ostentatoirement de grandes coiffes de mousseline dont la passe retombe sur les côtés, serrées par des rubans de soie colorés noués sur le haut de la tête. La mode néo-classique des jeunes femmes ne nuit pas à la tenue traditionnelle.

Jacques Gamelin, la Perpignanaise, musée de Carcassonne.

Merveilleuses et incroyables

La mode dite des « Incroyables » touche aussi le Roussillon. Commençant dès les années 1790, se généralisant de 1795 à 1799, à l’apogée du Directoire, ce courant vestimentaire se définit comme un renouveau de la parure féminine et masculine. On appelle ces personnes en vogue les « incroyables », les réfractaires les qualifient aussi de «Ridicules ». Perpignan connaît cette mode importée directement de la capitale et dont Frion est le principal représentant. Natif de la ville, le jeune inspecteur du conservatoire national des arts et métiers, Jean-Baptiste Frion (1773-1819) avait un goût immodéré pour la mode. Son portrait est réalisé à Perpignan par le peintre Jacques Gamelin en 1796. Frion porte un habit gris et rose, et dans une pose un peu maniérée, car il avait non seulement une taille imposante mais aussi des «goûts et des habitudes, en toutes les manières, même jusqu’aux caprices, des femmes». Avec une personnalité remarquable qui en fit l’un des modèles de grands peintres comme David ou Vien, il fût l’émissaire des nouveautés vestimentaires lors de ses passages à Perpignan. Sur son portrait, l’habit à pan croisé est largement ouvert sur la poitrine, découvrant un gilet de couleur claire porté avec une cravate « écrouellique [3] ». Le pantalon collant est accompagné de bottes tout aussi serrées, un chapeau haut de forme à cocarde dans une main et une canne à pommeau dans l’autre. La frivolité se lit à la fois dans la coiffure longue et peu soignée tout comme dans l’abondance de bijoux : boucle d’oreille, épingle de jabot, châtelaine et montre en or pendant à la ceinture.

Jacques Gamelin, portrait de Frion, Musée Rigaud de Perpignan.

Même en haut Vallespir, à Saint Laurent de Cerdans ou à Arles sur Tech, les femmes suivent aussi cette mode grâce aux nombreux colporteurs ainsi qu’aux achats effectués à la foire de Céret. En 1790, on pouvait y acheter des boutons en paysage, une ceinture « aux trois grâces, un manchon à l’Angola, une flèche en or (broche) pour le fichu, ainsi qu’un parapluie de soie [4].» En 1792, ces nombreux achats à Arles, aux foires de Céret ou auprès de colporteurs, permettent de constituer un vestiaire complet avec fichu d’indienne à la mode, gilet rouge et noir, boucle de ceinture pour femme, pendants d’oreilles en or, garniture de petits boutons, bas de soie ainsi que de nombreux tissus pour confection. Vers 1800, Perpignan ne compte pas moins de 26 perruquiers, 28 marchands d’étoffes au détail, 3 gantiers, 2 bijoutiers, 7 chapeliers et 130 tailleurs d’habits [5].


[1]              Tableau de Jacques Maurin daté de 1794, exposé à Paris en 1874. Il représente la famille du peintre, l’enfant sur les genoux de sa mère étant Antoine Maurin qui fut lithographe. Sont aussi représentés Jacques Gamelin et son fils.  Albert Charles Auguste Racinet, le Costume Historique, livraison 15, 1888.

[2]              Musée des Beaux Arts de Carcassonne, inv. 480.

[3]              Les écrouelles sont une maladie d’origine tuberculeuse provoquant des fistules purulentes localisées sur les ganglions lymphatiques du cou. Le roi de France, le jour du sacre avait le pouvoir de les guerrir.

[4]              AD66, 8 J 88., Livre de comptes.

[5]              Delon (J.), Le Roussillon après la révolution, texte annoté par Etienne Fresnay, SASL des PO, 1993, p.80.

Modes roussillonnaises et Révolution française

Le citoyen PRADAL de Perpignan par Gamelin, Col. Part. Perpignan.

Sous la Révolution, des fêtes républicaines sont destinées à réchauffer l’enthousiasme, entre les arrestations et les exécutions capitales. «Il faut des processions et des fêtes à un peuple superstitieux et fanatisé : eh bien ! Nous en célébrerons souvent.»

Avec son compère Milhaud, Soubrany organisa notamment une fête le 29 janvier 1793, lorsque les vainqueurs de Toulon furent accueillis dans les rues de Perpignan et défilèrent au son de la musique. « Leur tenue, écrivait Soubrany, est admirable; ils portent sur le front cet air mâle et confiant qu’inspire la victoire. »

Puis, le 8 février ou 20 pluviôse, ce fut une fête donnée par le club de Perpignan. Ce jour-là, un décadi, fut solennisé par la Société populaire. Une fillette âgée de cinq ans, nommée jusqu’alors Marie-Antoinette, reçut au pied d’un arbre de la Liberté le prénom romain de Virginie.

Le mois suivant, une autre fête fut préparée pour inaugurer le temple de la Raison, dans la cathédrale. Le 7 mars, des détachements de la garnison et des différents corps de l’armée, quatre hommes et un tambour par bataillon se réunissaient sur la place et se rendaient, précédés de la gendarmerie nationale et d’un escadron de hussards, au logis de Dugommier, pendant que le canon tonnait du haut des remparts et que la musique jouait de toutes parts la Marseillaise et ah ça ira. Dugommier et son état-major se joignent au cortège des représentants du peuple et des autorités constituées, jusqu’au temple de la Raison.

Costume patriotique d’enfant.

«En tête marchaient deux cent filles ou femmes vêtues d’une robe blanche serrée à la taille par une ceinture tricolore, des enfants que leurs mères tenaient par la main, et des vieillards. Après plusieurs hymnes patriotiques, soldats, bourgeois, et le peuple gagnèrent l’Esplanade ou était dressé un autel de la patrie et un bûcher où s’entassaient des tableaux de saints et de saintes. Sur le désir de Soubrany, une fillette de cinq ans, une jeune fille de seize ans et une femme mariée mirent le feu à cet amas. La cérémonie se termina par un repas public et par des danses. Des tables étaient dressées devant chaque maison. Sitôt rassasiés, républicains et républicaines exécutèrent une grande farandole[1]. »


[1]          Chuquet, (A.), Dugommier (1738-1794), Paris, p.150.