Association ethnographique

Catégorie : Restauration (Louis 18 et Charles X) (Page 1 of 3)

La laine cachemire, un essai raté?

le châle cachemire indien, en vogue dès la fin du XVIIIe s., importé en fraude sous le Ier Empire, fut rapidement imité en France sur métier à tisser équipé d’une mécanique Jacquard.

Le protectionnisme donne l’idée au fabricant Ternaux de faire venir et d’implanter en France des chèvres du Tibet, dont le duvet pourrait servir de matière première à la confection de vraies imitations. En effet, le pelage des chèvres forme un produit intéressant pour le commerce. Ce pelage est composé de trois sortes de poils. Les plus longs ou les poils soyeux tombent sur les deux côtés du corps en se séparant sur la ligne moyenne du dos, et recouvrent le cou, le dos, les flancs et les cuisses. Sous ces longs poils, qui sont d’ordinaire assez cassants, il en existe d’autres moins rudes, nommés « jarre », qui se trouvent mêlés, dans les espèces les plus recherchées, à un poil laineux et méritant par sa finesse le nom de duvet.

La chèvre tibétaine a des oreilles larges, demi-tombantes et un duvet abondant. La couleur de ce duvet est grisâtre ; les poils soyeux, au contraire, sont blancs, gris bleuâtre, chamois clair ou noirs. Les cornes sont droites, tordues en vis et divergentes. La chèvre tibétaine, improprement appelée chèvre de Cachemire, ne se trouve dans toute sa pureté qu’aux environs de Lhassa, dans le Tibet, par le 90e degré de latitude E. C’est là que les fabricants de la vallée de Cachemire viennent s’approvisionner de duvet pour la confection de leurs précieux tissus.

Il existe, dans d’autres contrées de l’Asie, des chèvres qui, bien que différentes d’aspect, paraissent néanmoins dériver de la chèvre tibétaine. Les plus connues sont la chèvre à duvet des Kirghis de l’Oural, et la chèvre himalayenne. Cette dernière, qui habite sur le versant sud de l’Himalaya, est fréquemment employée comme bête de somme, à cause de sa force et de son agilité.

La chèvre des Kirghis a été confondue assez longtemps avec la chèvre tibétaine de Lhassa. Introduite en France au commencement de ce siècle, par MM. Ternaux et Amédée Joubert, elle ne s’y est pas propagée, parce qu’on s’est aperçu que le précieux duvet qu’elle fournit dans son pays natal disparaissait entièrement sous nos climats.

En 1808 le ministre anglais de l’Agriculture déclarait : “si la naturalisation des chèvres du Cachemire réussissait, pour nos producteurs ce serait plus avantageux que la conquête de la Toison d’’Or”.

Pourquoi si avantageuse ? Car les tisseurs de Norwich, d’Edimbourg, de Paisley, étaient occupés, depuis des années, à imiter les châles que les employés militaires et civils de la Compagnie des Indes Orientales apportaient dans leur patrie pour en faire cadeau à leurs bien-aimées. Les châles avec un motif de pousse de palmier produits dans l’Inde du Nord étaient très demandés par la mode continentale. Les imitations anglaises étaient parfaites, mais le moelleux des châles restait inimitable. “Cette supériorité, qui doit être admise par un examinateur objectif – écrivait William Moorcroft, jeune chirurgien et vétérinaire – dérive du plus grand moelleux de la laine de chèvre…”

L’industrie textile anglaise avait besoin des très fines laines du Cachemire. Et c’est ainsi que Moorcroft, en 1812, obtint de la Compagnie des Indes Orientales la permission de guider une expédition au Tibet. A son retour il embarquait 50 chèvres. Mais le troupeau fut divisé et le bateau sur lequel voyageaient les femelles fit naufrage. En Angleterre n’arrivèrent que quelques exemplaires en mauvais état. A Blaire, en Ecosse, sur les propriétés du duc d’Atholl, il n’en survécut, pendant quelques mois, que quatre.

La naturalisation des chèvres Cachemire s’avéra être un échec, mais l’expérience fut répétée quatre ans plus tard. Cette fois, ce furent les filandriers français, qui entre temps commençaient à dominer le marché européen des châles, qui tentèrent la voie de l’importation.

Guillaume Ternaux (1763-1833), manufacturier des Ardennes, seconda sous le Directoire le maire de Reims Jobert-Lucas, auquel il s’associa pour installer, en 1812, dans la vallée de la Suippe, à Bazancourt, la première filature industrielle. Ils donnèrent une forte impulsion au commerce de Reims par la beauté et la perfection de leurs schalls (châles), de leurs casimirs (drap soyeux, chaîne coton, trame de laine) et de leurs gilets. Ternaux, qui fut membre de l’administration municipale de Sedan en 1792, plus ou moins compromis avec Lafayette, dut émigrer. Il voyagea en Allemagne, en Angleterre, où il étudia les différentes fabrications des étoffes. De retour en France, il fonda de nombreuses fabriques à Louviers, avec tout l’outillage et les perfectionnements qui constituaient alors un réel progrès.

Il acclimata en France les chèvres du Tibet et créa sous le nom de « cachemire de Ternaux » un châle qui fut très répandu. Ternaux accueillit favorablement le retour des Bourbons, qui lui semblaient devoir ramener la paix. Il fut anobli sous la Restauration, député de l’Eure de 1818 à 1822, puis de la Haute-Vienne en 1827 et 1830. Il épousa Françoise Lecomte . Il repose au Cimetière d’Auteuil.

Guillaume Ternaux, fatigué des difficultés pour trouver la matière première à travers la Russie, finança une expédition en Orient afin d’acquérir 1289 animaux achetés au Kirghizistan en 1818. « On mande à Marseille, que le second navire qui porte 500 chèvres du Tibet, viennent d’arrivera Toulon ou ce troupeau parait en bon état, il n’a perdu qu’une vingtaine de bêtes pendant la traversée ; tandis que les 560 chèvres arrivées à Marseille par le premier navire se trouvent réduites à 160, encore sont elles attaquées par la gale, au point que pour les traiter de cette maladie, on sera obligé de les tondre, ce qui fait craindre que leur duvet ne repousse pas après cette opération. Il est malheureux que cette tentative éminemment patriotique ait aussi mal répondu au succès qu’en attendait M.Ternaux, dans l’intérêt de nos manufactures. L’on sait que sur les 100 chèvres que M.Ternaux avait cédé au gouvernement, 40 étaient destinées à notre département, ou il règne une température convenable à ces précieux animaux, et pour les mérinos, dont la qualité des laines est supérieure à celle des établissements de l’intérieur de la France et même de l’Espagne[1]. »

« M.Tessier, membre de l’Institut, responsable général des bergeries royales, est venu visiter le bel établissement de Mérinos qui existe dans ce département et se concerter avec M.Ollivier, qui en est le régisseur, relativement aux chèvres de Cachemire destinées à cet établissement. M.Tessier a jugé que le climat et l’état des localités conviendraient parfaitement à ces animaux. Il s’est porté vendredi de cette ville (Perpignan) et se rend à Marseille. »

« Les 150 chèvres de Cachemire dont cent pour le compte du gouvernement et 50 appartenant à M.Ternaux sont heureusement arrivées aujourd’hui 9 juillet sur la plage de Saint-Laurent-de-la-Salanque. C’est au zèle et aux soins empressés de M. Ollivier, régisseur de la bergerie royale, qui était allé les prendre à Marseille, que ces précieux animaux sont déjà rendus dans l’établissement qui leur était destiné aux environs de Perpignan. »

En 1819, « Les chèvres du Tibet, que nous avons vu arriver à la bergerie royale des Mérinos, malades et fort maltraitées du voyage, commencent à se montrer dans un état prospère, grâce à l’habileté et à la connaissance de M. Ollivier. »

« Les chèvres du Tibet sont dans un état de santé parfait, le duvet est déjà apparent sur elles. Depuis 15 jours, les boucs exhalent une odeur un peu forte, ce qui indique, pour cette espèce, la saison de la saillie ; on remarque que cette odeur est moins désagréable que celle qu’exhalent les boucs indigènes. Déjà une grande partie des chèvres est fécondée et très probablement toutes donneront au printemps prochain un ou plusieurs produits. On les voit aujourd’hui aller gaiement au pâturage, bondir sur les coteaux de la rivière Têt, jouer ensemble dans les prairies, et retourner ensuite avec empressement dans leurs étables où elles trouvent une bonne nourriture et une agréable boisson. »

En 1820, « l’établissement est dans un état des plus prospères. Le domaine royal est sans contredit le premier et le mieux administré du royaume. 120 chevreaux sont nés et portent déjà sur leur peau ce riche et précieux duvet qui couvre le corps de leur père et mère…la race tibétaine a gagné à se trouver sous le beau soleil du Midi. Aussi dans peu d’années, nous aurons des Cachemires comme il est facile d’avoir des Mérinos. Nos élégantes petites maîtresses vont se bien trouver de ceci, à moins que la mode et le luxe orgueilleux ne les rendent inconstantes et ne leur fasse préférer quelque nouveau tissu qui n’aura ni le moelleux ni la beauté du duvet tibétain. La mode a ses bizarreries, et nos françaises sont bien capables d’envoyer plus loin qu’au Tibet les complaisants voyageurs chargés de satisfaire leurs frivoles caprices. Il est positif maintenant que les chèvres importées par M. Ternaux prospèreront en France, et que ce sera dans le Roussillon qu’elles se trouveront le mieux : honneur soit rendu au bon français qui le premier a eu la pensée et a exécuté ce beau dessein. Des sommes immenses ne sortiront plus de France pour ne plus y rentrer. Grâces soient rendues à M. Ollivier, cet administrateur plein de zèle qui s’acquitte si soigneusement de ses travaux et qui peut s’enorgueillir de leur résultat. »

Ternaux obtient quelques beaux résultats aux expositions de 1819 et 1820 : »on voyait entassé dans l’endroit qui lui avait été donné au Louvre, des draps, des couvertures, des tapis, des schalls et des écharpes de 4500 francs, des jupons de femme réduits à 46 francs…un des produits les plus remarquables de cette classe est une pièce de cachemire fabriquée (par M. Mindelang fils ainé de Paris) avec le duvet des chèvres kirghizes, élevées à la bergerie royale de Perpignan…ce duvet a été filé au n.210. L’étoffe en est admirablement travaillée, fine soyeuse et transparente come la mousseline[2].

En 1822, le troupeau s’élève à 233 chèvres et avec l’aide de Mr Jaubert de Passa qui facilita l’acclimatation en ouvrant l’un de ses domaines au pied du Canigou, une cinquantaine de jeunes chèvres et un bouc ont été réunis à cet endroit pour plus de rendements. L’administration décide aussi d’en acclimater dans les hautes Alpes ainsi que d’effectuer des croisements. Le Conseil a parfaitement senti qu’il n’appartenait qu’à l’expérience d’éclairer l’opinion, qu’il s’agissait uniquement d’essai, et que le temps pourrait seul démontrer si l’importation des chèvres-cachemires doit avoir les heureux effets qu’on attend[3].

Or, toutes les fois que des chèvres de cette race ont été déplacées, que ce soit vers la France, l’Angleterre ou les Amériques, le nouveau climat a rendu leur toison rêche après quelques saisons, leur faisant perdre à jamais leur texture duveteuse. Il fut donc envisagé de les placer plus haut dans les Pyrénées, ou de les croiser avec les races autochtones.


[1] Médiathèque Perpignan, microfilms.3gp807. Feuille d’affiches, annonces et avis divers du département des Pyrénées-Orientales.

[2] Annuaire historique universel pour 1823, aris, C.Lesur, p.870-871.

[3] Annales de l’industrie nationale et étrangère ou Mercure Technologique, 1822, p.133.

La Duchesse de Berry et la chanson populaire La Bepa.

Bien connue en Roussillon, la chanson catalane « la Bepa » fut utilisée par les royalistes locaux comme hymne afin de glorifier la duchesse de Berry. On retrouve dans les paroles un sens politique, notamment dans l’usage du tablier que la Bépa ne cesse de laver.

« La «bépa», c’était la duchesse de Berry, qui, à leur grès, n’agissait pas assez vite et perdait un temps précieux. Mais où est-elle ? Mais que fait-elle ? Et l’on consolait aussitôt ces impatients en répondant : Elle est à la rivière, elle lave le tablier !

Ce tablier, c’était le drapeau tricolore qu’il fallait laver, c’est-à-dire qu’il fallait faire disparaître le rouge et le bleu, pour n’y laisser que le blanc, avec les fleurs de lys, bien entendu. Et le refrain s’en expliquait assez : flors de liri, lliri, flor de lliri blanch[1]»


[1]              Amade, (J.), Mélanges de folklore, 1935, p.138. Amade cite Rodolphe Bonet, avocat à Céret.

Passage en Roussillon de leurs majestés siciliennes

La duchesse de Berry

En 1829, le passage à Perpignan de la duchesse de Berry, de son père, le Roi des Deux-Siciles et de sa belle-mère Marie-Isabelle d’Espagne fut un événement d’une grande magnificence. Ils rejoignent Madrid où Marie-Isabelle exercera la charge de régente du trône d’Espagne. Descendus à l’Hôtel de la Préfecture, les honneurs civils et militaires leur sont rendus hormis la remise des clefs de la ville.

Le maire André Grosset accueille le Roi avec sa suite dans une calèche découverte à l’entrée de la ville, « au milieu d’un concours immense de population[1]», il les accompagne dans les rues de Perpignan jusqu’à la Préfecture ou un repas réunit toutes les personnalités civiles et militaires de la ville et des arrondissements.

Le lendemain, les infants partent très tôt pour l’Espagne.  Le Roi et sa famille prennent le temps de visiter la citadelle.

« A son retour, le Roi et sa famille ont parcouru en calèche découverte les place où se tient actuellement la foire de la Saint Martin, et se sont rendus à la cathédrale. L’église était remplie de fidèles. Après l’Exaudit, leurs altesses ont bien voulu honorer de leur présence une fête champêtre que le corps municipal avait préparé ou plutôt improvisé sur les glacis. »

Les danses catalanes étaient jouées à l’intérieur de l’enclos habituel, et «une jeune et très belle demoiselle de Perpignan, a eu la pensée de profiter de cette occasion pour présenter des fleurs à ces augustes personnages. L’à-propos était des plus heureux et son bouquet a été agréé avec des marques visibles de satisfaction. »

S’en suivit une série de cadeaux, souvent précieux, octroyés à des personnes méritantes. «Avant son départ, sa majesté sicilienne a fait cadeau d’une tabatière en or, ornée de son chiffre en diamants, à monsieur Romain, préfet du département, et lui a remis en même temps vingt et une montres en or, pour être distribuées à Messieurs les officiers de la gendarmerie qui l’ont escorté pendant toute sa route depuis les Alpes jusqu’aux Pyrénées. Chaque montre porte une étiquette qui indique sa destination. M. le baron Guiraud de Saint-Marsal, colonel directeur du Génie, a également reçu de sa majesté une montre

La duchesse de Berry quant à elle accompagne le convoi jusqu’à la frontière et s’en retourne à Perpignan « en déclarant qu’elle reprenait l’incognito. M. le Baron Romain, M. le Vicomte d’Arnaud, et M. Delon, secrétaire général de la Préfecture, ont eu l’honneur de dîner avec son altesse royale et de l’accompagner ensuite au spectacle. Des couplets analogues à l’heureuse circonstance qui a procuré à la ville de Perpignan la présence de tant d’augustes personnages, ont été chantés. Madame a paru les entendre avec satisfaction, et a prêté ensuite une bienveillante attention à la représentation de Madame Saint-Agnès, pièce écrite avec esprit et qui a été fort bien jouée. Son altesse royale est allée le 13, visiter le cloître d’Elne, où se trouvent quelques restes de monuments antiques. Elle s’est rendue, de là, à Collioure et à Port-Vendres

Le journal de l’époque évoque pour ces manifestations populaires un véritable sentiment de vénération et d’amour des Catalans pour cette altesse si belle et si brillante.

Les habitants s’étaient empressé « de se parer de leurs habits de fête, de se porter sur ses pas et de lui offrir des fleurs comme gage d’un bonheur inespéré ».

A Collioure, les habitants s’étaient joints aux autorités et à l’arrivée comme au départ, les acclamations se font entendre. Arrivés à Port-Vendres, après avoir examiné l’obélisque, les magasins du port et le fanal, le cortège monte à bord d’embarcations, partant de la presqu’île et rejoignant le quai de l’obélisque où se trouvait le brick le Brennus. Pendant sa promenade en mer, «les croisées des maisons qui bordent les deux côtés du port étaient occupées par des dames qui agitaient leurs mouchoirs, et mêlaient leurs acclamations avec celles de la foule qui se pressait sur les quais».

A Perpignan, les monuments sont illuminés chaque soir et la préfecture se pare d’un décor éphémère du à l’architecte Prosper de Basterot. Quelques jours plus tard, toute ferveur est retombée, les lampions et les décors sont enlevés. «Ces ornements d’une fête ont tous disparus. L’heureux souvenir de la présence de son altesse royale Madame, duchesse de Berry, et de ses augustes parents, reste et ne se perdra point[2].»


[1]              Le défenseur de la monarchie et de la charte, 20 nov. 1829, n.11.

[2]              JPO, 1829, 28/11.

Honneurs au Roi Charles X en Roussillon

La Saint Charles est l’occasion pour Charles X de créer chaque année, à date fixe, une « fête du Roi » nationale, supprimant ainsi la Saint Louis célébrée lors du règne précédent. La première de ces célébrations eut lieu en 1825, lors de son sacre.

Un an plus tard, le 29 mai 1825, on voit à Perpignan des salves d’artilleries, la distribution de pain aux indigents, une messe en la cathédrale. Dès une heure de l’après midi, commencent les danses sur la place de la Loge.

Deux fontaines de vin y sont aussi établies. « A quatre heures de l’après-midi, il sera jeté sur le peuple sur la dite place de la Loge de la dragée et quelques pièces de monnaie, par le corps municipal. A cinq heures de l’après-midi, un exercice d’équitation aura lieu gratuitement sur l’esplanade de la Réal. A huit heure il y aura des illuminations à l’hôtel de la Préfecture, à celui de la Mairie, et à tous les édifices publics, et les diverses salles de la Mairie seront ouvertes au public. Les habitants sont invités à orner les croisées de leurs maisons de drapeaux blancs, et à les illuminer pendant la nuit[1]. »

Après les prières et les exercices militaires diurnes, « la nuit offre un autre genre de plaisir. Une immense population parcourait les rues pour voir les illuminations, et s’arrêtait de préférence sur la place de la Loge, où les cafés qui forment la ligne opposée à l’hôtel de la Mairie, avaient voulus rivaliser avec cet édifice public. Le café Désarnaud méritait surtout d’être distingué. Les maisons des habitants ne laissaient également rien à désirer sous ce rapport. On voyait partout les démonstrations de la joie publique[2]

Le journal local est expansif, et probablement excessif face à l’adhésion réelle de l’ensemble des Roussillonnais pour cette monarchie retrouvée. Tous, semble -t-il, participent dans leurs plus belles tenues à ces réjouissances collectives.

«Vive le Roi ! Vivent les bourbons ! Les Perpignanais répondront toujours avec les plus vifs transports à ce cri français, à cette acclamation vraiment nationale. Leurs cœurs ne cesseront jamais de battre pour la légitimité. Le Roi et les Bourbons ! Tel sera en tout temps le cri d’honneur de la ville très fidèle. Mais un devoir d’équité nous rappelle aux autres villes et communes des Pyrénées-Orientales.

Les Roussillonnais partagent les mêmes sentiments, et l’ont constamment démontré. La saint Charles leur en a fourni une nouvelle occasion, ils l’ont saisie avec une vive ardeur. Les chefs-lieux des arrondissements, ceux des cantons, les communes de Caudiès, d’Elne, Saint Laurent de la Salanque, Bompas, Collioure, Arles, Saint Laurent de Cerdans, Ille, Villefranche, etc, auraient les mêmes droits, il faudrait tout nommer. Il est juste cependant de signaler entre toutes, la ville de Prats de Mollo.

Les vœux, les prières pour attirer les bénédictions du ciel sur le monarque, les démonstrations d’amour, de dévouement et d’allégresse ont été partout vives et unanimes, mais les détails offrent ici un caractère plus piquant, plus propre à donner une juste idée de ce que ont été les autres fêtes du département…/…

A sept heures du soir, les autorités civiles, accompagnées d’un grand nombre d’habitants, que précédait un corps de musique, parcoururent les divers quartiers de la ville, la plupart illuminés.  Ils vinrent ensuite allumer un feu de joie sur la place Charles X, et des danses publiques succédèrent à cette annonce de la fête. Les salves se renouvelèrent le lendemain matin, dès le point du jour.

A dix heures les diverses autorités se réunirent à l’église pour assister à une grand-messe. Après la messe, des distributions de vivres et d’argent furent faites aux indigents. Un banquet de quarante couverts ou se trouvaient réunis tous les fonctionnaires et divers notables de la ville, eut lieu à midi et divers toasts furent portés. Une fontaine de vin fut ouverte au peuple sur la place Charles X.

Les danses publiques et divers autres divertissements continuèrent jusqu’au soir. Un feu d’artifice tiré à huit heures devant l’hôtel de la mairie fut l’occasion de quelques instants d’une agréable interruption. La ville était illuminée sur ces entrefaites, et les danses publiques recommencèrent pour ne s’achever qu’à dix heures du soir. Un bal paré auquel ont assisté M. le lieutenant du Roi de la place, M.M. les officiers de la garnison, et tous les notables de la ville fut ouvert, plus tard, chez monsieur le Maire et prolongé jusqu’au lendemain[3]. »

A Prades, ces fêtes se terminent aussi par un bal brillant et populaire donné par le corps des officiers du troisième régiment d’infanterie de ligne.

Rivesaltes a déployé « la plus grande pompe, et ses habitants se sont livrés unanimement à la joie la plus expansive. Après les cérémonies religieuses, on a ouvert les danses publiques, qui, pendant toute la journée, ont été très brillantes. Mais c’est le soir principalement que le peuple s’est le plus réjoui. La place était éclairée par plus de deux mille lampions, symétriquement arrangés sur les diverses façades, figurant les dessins les plus variés.

A neuf heures et demi, l’attente publique a été satisfaite par un feu d’artifice, que l’administration municipale a eu le soin de faire préparer par l’artiste de Perpignan si bien fâmé pour ce genre de spectacles, le nommé Mr Bousquet. C’est dire que tout a réussi, que la jouissance qu’il a procuré à plus de quatre mille spectateurs a été complète.

Il est à remarquer qu’un grand nombre d’habitants des communes voisines étaient accourus pour jouir de ce divertissement. Après le feu d’artifice, les danses se sont encore prolongées jusqu’à minuit, et de nouveaux amusements ont commencés.

Une quantité de pétards serpenteaux, lancés sur la foule, y répandaient momentanément l’épouvante et le désordre, les dames même les plus élégantes n’étaient pas à l’abri, il y a eu des cris, des coiffes et des dentelles trouées, des robes légèrement roussies, sans que personne n’ait songé à se fâcher, tant la réjouissance était grande. C’était une véritable fête de famille[4]

A Perpignan les années suivantes, les festivités commencent par une messe à la cathédrale suivie d’un Te Deum. En 1827, « à six heures, un grand dîner a été donné pour les élites de la ville par le baron de Rottenbourg, lieutenant général, commandant la division. Puis ce fut au tour du Préfet, le marquis d’Auberjon, de recevoir ses hôtes pour un bal brillant qui s’est prolongé tard dans la nuit».

Places et rues étaient illuminées. C’est à madame la marquise d’Auberjon, épouse du Préfet, que revint l’honneur d’allumer depuis le grand balcon du Théâtre, donnant sur la place Royale, « le dragon qui a communiqué le feu à la première pièce de l’artifice[5]


[1]              JPO, 1825, p.367.

[2]              JPO, 1825, p.371.

[3]              JPO, 1825, p.130, 131.

[4]              JPO, 1825, p.373, 374.

[5]              JPO, 1827, p.595.

Laine cachemire, une histoire roussillonnaise

On ne saurait passer sous silence la production de châles parisiens confectionnés avec le duvet de chèvres du Tibet élevées à la bergerie royale (Mas Coll) de Perpignan. Arrivées par bateau à Marseille sous l’impulsion de l’industriel Ternaux, les chèvres sont installées à Perpignan en 1818.

En 1820, de nombreux chevreaux étaient déjà nés, laissant présager que « dans peu d’années, nous aurons des cachemires comme il est facile d’avoir des mérinos. Nos élégantes petites maîtresses vont se bien trouver de ceci, à moins que la mode et le luxe orgueilleux ne les rendent inconstantes et ne leur fasse préférer quelque nouveau tissu qui n’aura ni le moelleux, ni la beauté du duvet tibétain. La mode a ses bizarreries, et nos françaises sont bien capables d’envoyer plus loin qu’au Tibet les complaisants voyageurs chargés de satisfaire leurs frivoles caprices[1]

A l’exposition de 1824 une pièce de cachemire, fabriquée par M. Hildenlang fils ainé de Paris, avec le duvet de ces fameuses chèvres de race kirguises, attire l’attention :

« L’étoffe en est admirablement travaillée, fine et soyeuse, et transparente comme la mousseline[2]

En 1828, le Calendrier de Perpignan (Alzine éditeur) précise que c’est M. Audusson qui est régisseur de l’établissement des mérinos et des chèvres du Tibet du Mas Coll.

On parle alors du succès de l’« industrie qui a rendu le Cachemire célèbre, la fabrication des châles. Monsieur Ternaux voulut se procurer les animaux qui portent le duvet si précieux dans leur toison. Tout le monde sait ce qu’il entreprit dans ce but, secondé par le savant Jaubert, et comment l’un et l’autre enrichirent la France d’un troupeau de chèvres kirguises[3]».

L’entreprise fut malheureusement un échec. Les chèvres ne s’acclimatèrent pas aux changements de température de la plaine du Roussillon. Il y fait, certes, très froid l’hiver par tramontane, mais étouffant l’été.


[1]              Feuille d’affiches, annonces et avis divers, 1820, p.321.

[2]          Annuaire historique universel, 1824, p.871.

[3]          Montor, (A. de), Encyclopédie des gens du monde: répertoire universel des sciences …, 1834, volume 4, p.421.

Ateliers, boutiques et boutiquiers de Perpignan sous Charles X.

En 1825, le sier Saisset, qui tenait boutique à la suite de son père à la rue Saint Jean, liquide son stock et avise ses clients des ragots qui courent sur son compte.

« Les personnes qui croiraient trouver des choses antiques dans son magasin, doivent être détrompées, attendu qu’il n’a du fonds de feu son père qu’un faible reste d’étoffes, des mousselines et quelques objets de bonneterie et de passementerie. Les marchandises qu’il offre datent de 1816, 1817 et des années suivantes. »

Viennent alors quelques informations sur les différents textiles en solde. « Toiles de coton, basin, mousseline, percale et calicot, draps fins, royales, casimirs unis et à poils, articles en laine et coton pour gilets, velours unis, à cotes et imprimés, étoffes dites mousselines de Rouen, percalines, prunelles, etc. ; indiennes de Jouy et autres de bonne qualité, schalls en indienne, percale, mousseline et madras, cravates en percale, mousseline et autres[1]. »

échantillons de cotons imprimés, livre de comptes d’un marchand de Céret, AD66.

Le sieur Quinta, arrivant de Paris, ouvre au 22 rue Mailly son activité de tailleur, « dans le goût le plus moderne[2]

Lors d’expositions de produits de l’Industrie qui ont lieu à paris au palais du Louvre, sont présentés en 1819 et 1823 les fabriques de draps du département et les soies grège de la fabrique Pugens cadet et sœur de Perpignan. Laine et soie sont les principales matières travaillées en Roussillon.

Toutefois, en 1828, les sieurs Illaire et Dupont installent dans le quartier des fabriques une teinturerie et imprimerie sur indiennes, « face à la Poste aux lettres[3]. » Les petits imprimés sur coton, souvent foncés, servent à réaliser robes et caracos d’été. D’autres imprimés plus vifs, les andrinoples, cotonnades rouge turc fabriquées à Mulhouse, sont à cette époque très prisées des Catalanes.

Enfin la parure des femmes ne saurait de passer des soins du cheveu et du parfum. Le coiffeur Bach, rue Notre Dame, réorganise son salon de façon moderne en 1827.

« Les linges et les peignoirs ne servent qu’une seule fois. Il fait des Tours d’un nouveau genre, à touffes élastiques, très avantageux pour la coiffure des Dames, et d’autres indéfrisables, montés dans un genre nouveau. On trouvera dans son magasin un grand assortiment de parfumeries fines et une poudre pour teindre les cheveux[4]. »


[1]              JPO, 1825, p.196.

[2]              JPO, 1825, p.128.

[3]              JPO, 1828, p.171.

[4]              JPO, 1827, p.594.

Danses et festivités populaires sous Charles X.

Voyage pittoresque dans les Pyrénées françaises et dans les départements adjacents, d’après les dessins de M. Meeling, Paris chez Treuttel et Würtz, 1826-1830

En 1825, «le jour de la fête de saint Christophe, les danses catalanes, qui ont lieu à Perpignan chaque années, pendant toute la belle saison, ont été ouvertes au Vernet. Mr Henry, bibliothécaire de la Ville, a publié une brochure fort curieuse sur ces danses[1]

Ces danses sont à la fois des réjouissances mais aussi l’occasion pour les jeunes gens de se mesurer entre eux.

A cette même fête, « une vive querelle engagée par des amateurs, et dans laquelle des coups de poings ont été généreusement échangés, a clôturé les danses catalanes qui avaient été ouvertes au Vernet[2]

A Céret, les festivités durent les trois derniers jours de juillet, avec des danses publiques, de brillantes courses de taureaux, avec «des animaux vigoureux de la plus belle espèce, et pour entourer cet événement, toute la pompe dont il est susceptible. Les musiciens seront aussi du meilleurs choix, tous les amusements seront publics et gratuits[3]

Ces réjouissances populaires traduisent un fort caractère catalan et ou hommes et femmes font des efforts pour s’habiller du mieux possible, selon leur degré de fortune.

Nous trouvons un autre récit tout en circonspection d’une fête improvisée au quartier la Réal, sous forme de théâtre populaire, en catalan. Cette piécette comprenait des costumes catalans, d’ecclésiastiques et travestis :

«Un spectacle connu vulgairement sous le nom de Ball de Serrallongue avait attiré quelques centaines de curieux, sur la pace des esplanades, le lundi de Pâques, moins pour en jouir que pour profiter des beaux jours du printemps, et suivre en quelque sorte machinalement la foule. A représentation avait lieu dans un enclos construit à dessein, et le public y était admis moyennant une rétribution de cinquante centimes pour les premières places, de vingt-cinq pour les secondes. Mais lorsqu’on était parvenu dans l’enceinte, la force seule disposait du droit et du choix des places.

Spectateurs et acteurs étaient presque confondus, et exposés aux ardeurs du soleil. Le nombre des acteurs était d’environ quatre-vingt, rangés en deux files, et dont quelques uns étaient travestis en femmes, et un en moine. Des voleurs sollicitaient la faveur d’être admis dans la bande d’un chef de brigands, et racontaient alternativement l’histoire de leurs méfaits. Tel était le sujet de cette représentation qui a duré depuis une heure de l’après midi jusqu’à cinq heures du soir. La scène se passait en rase terre, et le dialogue était en langage vulgaire[4]. » Quelques jours plus tard, le chroniqueur explique : « On n’a pas besoin de dire que les oreilles les moins délicates ont pu souvent être blessées[5]


[1]              JPO, 1825, p.427.

[2]              JPO, 1825, p.438.

[3]              JPO, 1827, p.448.

[4]              C’est-à-dire en langue catalane, propice à toutes sortes d’expressions très imagées.

[5]              JPO, 1825, p.299.

Quand les premiers touristes anglais visitent le Roussillon.

John Scott et John Taylor partagent auprès de leurs lecteurs anglais leur voyage en Roussillon. On peut noter quelques informations sur les costumes, fort intéressantes :

« Les vêtements des hommes, comme leur langage, sont plus proche du Catalan que du Languedocien : vestes courtes, pantalons hauts, et quelquefois une ceinture rouge. Mais, ce qui est, de loin, la partie la plus visible, c’est le couvre-chef, un bonnet tricoté en laine, de couleur pourpre vif, d’une longueur d’environ deux pieds, et d’égale longueur jusqu’à l’extrémité qui est légèrement arrondie. L’extrémité longue pend, ou bien sur le côté, ou bien est repliée sur la calotte, par ce que plus pratique, ou bien par coquetterie.

A. Bayot, intérieur de ménage (Roussillon), vers 1830.

Le bonnet est chaud et confortable et, quand il est propre, ce qui est généralement le cas dans les régions riches du Bas Roussillon, il est vraiment très élégant. Pour les pieds de ceux qui n’ont pas encore adopté les chaussures françaises, ils portent les espadrilles catalanes, une sandale de tresse, avec un tout petit talon et une empeigne, et attaché autour de la cheville avec un ruban bleu.

Les bas qu’ils portent avec ces sandales, s’ils en portent, n’ont pas de pieds seulement un petit lien sous la semelle pour les maintenir.

Le vêtement des femmes des campagnes, en dehors de Perpignan, n’est pas ostentatoire. On rencontre rarement la variété de couleurs que les Provençales adorent, ou l’éternel orange-brun des grisettes montpelliéraines.

Elles semblent préférer des couleurs sombres et ternes, des gris de différentes teintes, souvent en rayures larges ou parfois pourpres, la seule couleur criarde qui leur plaise.

Leurs corsages courts, serrés à la taille et leurs jupons épais, froncés de façon énorme dans le dos sont très semblables au Languedoc. Mais, pour la coiffe, c’est seulement tout à fait au nord du Roussillon que l’on observe encore la petite coiffe étroite, plissée, le chapeau noir plat et large de l’autre province.

Plus au Sud, c’est le ret catalan et le mouchoir. Ce ret est un filet noir, de 2 à 3 pieds de long, placé sur la tête comme les bonnets des hommes sauf qu’il est serré fermement autour de la tête avec un ruban noir. L’extrémité longue pend derrière le dos et se termine par un gland élégant.

A. Bayot, costume de Cerdagne, jeunes femmes en ret et fichu., vers 1830.

Au dessus de cela se trouve un mouchoir en tricorne, noué sous le menton, pour montrer au dessus du front les rubans des rets. Le troisième coin dépasse au dos de la tête. Avec cette coiffe, leur front rond, dénudé et leurs traits proéminents, brillants et brûlés par le soleil, elles ne paraissent certainement pas, en général, très gracieuses ou ravissantes.

Pourtant je l’ai quelquefois vu porté de façon extrêmement seyante[1]


[1]              John Scott,John Taylor, « Sketches of manners in the south of France, n1, The Roussilonnais », The London Magazine, 1827, Volume 17.

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