Association ethnographique

Catégorie : 1er Empire

Un nouveau clip en préparation

Le TCR continue d’alimenter sa chaîne Youtube avec le tournage ce lundi 19 juillet d’un clip dans les rues du Vieux Perpignan. Il s’agit cette fois-ci d’évoquer le souvenir de Françoise de Fossa, sœur bien aimée du compositeur et guitariste François de Fossa.

Un bel hommage en perspective pour celle qui a permis de conserver jusqu’à nous la correspondante abondante que lui envoya son frère durant ses séjours en Espagne, au Mexique et enfin en France.

Quelques images et une animation en attendant la fin du montage du clip.

Costumes des Catalans de Marseille, 1790 / 1820.

Aquarelles de Ange-Joseph Antoine Roux, hydrographe et peintre de marine français né à Marseille le 6 mars 1765 et mort dans la même ville le 20 avril 1835.

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Trois marins
Chantier naval
Travail dans une carrière
Provençale marseillaise et paysan
Catalans
Catalans
Catalan buvant à la régalade
Porte faix turc, et catalans
Deux marins catalans
Catalan et turcs
Catalans
Trois catalans

La soie, une histoire roussillonnaise

Échantillon de droguet de soie de Perpignan, manufacture royale d’étoffes et bas de soie, vers 1740, AD66.

La matière la plus noble est la soie qui était tissée à Perpignan dès avant le XVIe s. par des tisserands de la confrérie des veloutiers de soie, ainsi qu’au sein d’une manufacture royale pour la fabrication de tissus et de bas, entre 1730 et 1750. Par sa cherté et les lois somptuaires qui en interdisaient l’usage aux classes populaires, la soie était toutefois portée  par le biais du réemploi des vêtements et servait aussi à broder de fils colorés les habits, ou à orner avec galons et rubans les coiffes ou attacher les manches au corset. Les tissus de soie de basse qualité appelés bourrettes de soie étaient fabriqués en partie à Nîmes et vendues en Roussillon. On trouvait aussi des fichus de soie de Catalogne ou de Valencia vendus par les espagnols tenant échoppe sur certaines places de Perpignan.

En 1779, un édit crée la nouvelle communauté des tisserands de soye, laine et fil de Perpignan. AM HH 12.

« A l’égard des soies, le commerce en devient tous les ans plus étendu et augmentera considérablement dans la suite par la grande plantation de muriers que l’on fait tous les ans en Roussillon, ainsi que par l’émulation des particuliers à élever des vers à soie. Cette partie peut monter, lors d’une récolte médiocre à environ 20 quintaux de soie, qui passe quasi totalement dans les manufactures de Lyon et du Languedoc. On doit observer que cet objet est d’une grande importance et pourrait être porté jusqu’à 200 quintaux, si comme on s’attache à la plantation des muriers, à laquelle le pays est très propre, on avait soin de les cultiver et d’en cueillir la feuille autant qu’il faut[1]. »

Au XIXe, les procédés industriels permettent d’obtenir des soieries moins chères, des taffetas qui donnent de l’ampleur et de la tenue aux jupes et aux robes qui ne cessent de croitre en métrage. La sériciculture est restée une activité importante qui se généralise en Roussillon, notamment à Cattlar et à Ille-sur-Têt au XIXe s. Les agriculteurs, riches propriétaires sont informés par le biais de la Société Agricole Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales de ce que peut leur rapporter l’élevage du ver à soie, compte tenu du climat roussillonnais favorable et du nombre important de muriers. Sous la monarchie de Juillet, les propriétaires implantent cette production auprès de leurs métayers dans les « métairies » comme le mas Ducup ou Bresson autour de Perpignan, et à Latour de France où le marquis de Ginestous propriétaire du château de Caladroy fait venir des ouvriers du Gard, formés à la culture du ver à soie.

Victime de plusieurs maladies, notamment la grasserie, les vers à soie faillirent disparaître totalement si l’on n’avait pas eu l’idée de faire venir en remplacement des races milanaises et d’Andrinople, la race « jaune milanaise » qui cumulée avec la venue de Pasteur en 1867 permit la reprise de cette économie. Le Roussillon se spécialisa alors dans la vente des œufs ou graines qui étaient vendus dans de petites boites rondes de carton ventilées par de minuscules trous.

La décadence de cette production est due en partie à la fin du XIX e siècle aux taxes qui rendent les soies roussillonnaises peu concurrentielles face aux soies provenant de l’étranger[2].


[1] Poedavant, Le Roussilon à la fin de l’Ancien régime, SASL, 1987, p.63.

[2] Ponsaillé, J., « un intéressant document sur la venue à Ille d’un président du Conseil », CAVI, 1999, p.9,27.

La laine cachemire, un essai raté?

le châle cachemire indien, en vogue dès la fin du XVIIIe s., importé en fraude sous le Ier Empire, fut rapidement imité en France sur métier à tisser équipé d’une mécanique Jacquard.

Le protectionnisme donne l’idée au fabricant Ternaux de faire venir et d’implanter en France des chèvres du Tibet, dont le duvet pourrait servir de matière première à la confection de vraies imitations. En effet, le pelage des chèvres forme un produit intéressant pour le commerce. Ce pelage est composé de trois sortes de poils. Les plus longs ou les poils soyeux tombent sur les deux côtés du corps en se séparant sur la ligne moyenne du dos, et recouvrent le cou, le dos, les flancs et les cuisses. Sous ces longs poils, qui sont d’ordinaire assez cassants, il en existe d’autres moins rudes, nommés « jarre », qui se trouvent mêlés, dans les espèces les plus recherchées, à un poil laineux et méritant par sa finesse le nom de duvet.

La chèvre tibétaine a des oreilles larges, demi-tombantes et un duvet abondant. La couleur de ce duvet est grisâtre ; les poils soyeux, au contraire, sont blancs, gris bleuâtre, chamois clair ou noirs. Les cornes sont droites, tordues en vis et divergentes. La chèvre tibétaine, improprement appelée chèvre de Cachemire, ne se trouve dans toute sa pureté qu’aux environs de Lhassa, dans le Tibet, par le 90e degré de latitude E. C’est là que les fabricants de la vallée de Cachemire viennent s’approvisionner de duvet pour la confection de leurs précieux tissus.

Il existe, dans d’autres contrées de l’Asie, des chèvres qui, bien que différentes d’aspect, paraissent néanmoins dériver de la chèvre tibétaine. Les plus connues sont la chèvre à duvet des Kirghis de l’Oural, et la chèvre himalayenne. Cette dernière, qui habite sur le versant sud de l’Himalaya, est fréquemment employée comme bête de somme, à cause de sa force et de son agilité.

La chèvre des Kirghis a été confondue assez longtemps avec la chèvre tibétaine de Lhassa. Introduite en France au commencement de ce siècle, par MM. Ternaux et Amédée Joubert, elle ne s’y est pas propagée, parce qu’on s’est aperçu que le précieux duvet qu’elle fournit dans son pays natal disparaissait entièrement sous nos climats.

En 1808 le ministre anglais de l’Agriculture déclarait : “si la naturalisation des chèvres du Cachemire réussissait, pour nos producteurs ce serait plus avantageux que la conquête de la Toison d’’Or”.

Pourquoi si avantageuse ? Car les tisseurs de Norwich, d’Edimbourg, de Paisley, étaient occupés, depuis des années, à imiter les châles que les employés militaires et civils de la Compagnie des Indes Orientales apportaient dans leur patrie pour en faire cadeau à leurs bien-aimées. Les châles avec un motif de pousse de palmier produits dans l’Inde du Nord étaient très demandés par la mode continentale. Les imitations anglaises étaient parfaites, mais le moelleux des châles restait inimitable. “Cette supériorité, qui doit être admise par un examinateur objectif – écrivait William Moorcroft, jeune chirurgien et vétérinaire – dérive du plus grand moelleux de la laine de chèvre…”

L’industrie textile anglaise avait besoin des très fines laines du Cachemire. Et c’est ainsi que Moorcroft, en 1812, obtint de la Compagnie des Indes Orientales la permission de guider une expédition au Tibet. A son retour il embarquait 50 chèvres. Mais le troupeau fut divisé et le bateau sur lequel voyageaient les femelles fit naufrage. En Angleterre n’arrivèrent que quelques exemplaires en mauvais état. A Blaire, en Ecosse, sur les propriétés du duc d’Atholl, il n’en survécut, pendant quelques mois, que quatre.

La naturalisation des chèvres Cachemire s’avéra être un échec, mais l’expérience fut répétée quatre ans plus tard. Cette fois, ce furent les filandriers français, qui entre temps commençaient à dominer le marché européen des châles, qui tentèrent la voie de l’importation.

Guillaume Ternaux (1763-1833), manufacturier des Ardennes, seconda sous le Directoire le maire de Reims Jobert-Lucas, auquel il s’associa pour installer, en 1812, dans la vallée de la Suippe, à Bazancourt, la première filature industrielle. Ils donnèrent une forte impulsion au commerce de Reims par la beauté et la perfection de leurs schalls (châles), de leurs casimirs (drap soyeux, chaîne coton, trame de laine) et de leurs gilets. Ternaux, qui fut membre de l’administration municipale de Sedan en 1792, plus ou moins compromis avec Lafayette, dut émigrer. Il voyagea en Allemagne, en Angleterre, où il étudia les différentes fabrications des étoffes. De retour en France, il fonda de nombreuses fabriques à Louviers, avec tout l’outillage et les perfectionnements qui constituaient alors un réel progrès.

Il acclimata en France les chèvres du Tibet et créa sous le nom de « cachemire de Ternaux » un châle qui fut très répandu. Ternaux accueillit favorablement le retour des Bourbons, qui lui semblaient devoir ramener la paix. Il fut anobli sous la Restauration, député de l’Eure de 1818 à 1822, puis de la Haute-Vienne en 1827 et 1830. Il épousa Françoise Lecomte . Il repose au Cimetière d’Auteuil.

Guillaume Ternaux, fatigué des difficultés pour trouver la matière première à travers la Russie, finança une expédition en Orient afin d’acquérir 1289 animaux achetés au Kirghizistan en 1818. « On mande à Marseille, que le second navire qui porte 500 chèvres du Tibet, viennent d’arrivera Toulon ou ce troupeau parait en bon état, il n’a perdu qu’une vingtaine de bêtes pendant la traversée ; tandis que les 560 chèvres arrivées à Marseille par le premier navire se trouvent réduites à 160, encore sont elles attaquées par la gale, au point que pour les traiter de cette maladie, on sera obligé de les tondre, ce qui fait craindre que leur duvet ne repousse pas après cette opération. Il est malheureux que cette tentative éminemment patriotique ait aussi mal répondu au succès qu’en attendait M.Ternaux, dans l’intérêt de nos manufactures. L’on sait que sur les 100 chèvres que M.Ternaux avait cédé au gouvernement, 40 étaient destinées à notre département, ou il règne une température convenable à ces précieux animaux, et pour les mérinos, dont la qualité des laines est supérieure à celle des établissements de l’intérieur de la France et même de l’Espagne[1]. »

« M.Tessier, membre de l’Institut, responsable général des bergeries royales, est venu visiter le bel établissement de Mérinos qui existe dans ce département et se concerter avec M.Ollivier, qui en est le régisseur, relativement aux chèvres de Cachemire destinées à cet établissement. M.Tessier a jugé que le climat et l’état des localités conviendraient parfaitement à ces animaux. Il s’est porté vendredi de cette ville (Perpignan) et se rend à Marseille. »

« Les 150 chèvres de Cachemire dont cent pour le compte du gouvernement et 50 appartenant à M.Ternaux sont heureusement arrivées aujourd’hui 9 juillet sur la plage de Saint-Laurent-de-la-Salanque. C’est au zèle et aux soins empressés de M. Ollivier, régisseur de la bergerie royale, qui était allé les prendre à Marseille, que ces précieux animaux sont déjà rendus dans l’établissement qui leur était destiné aux environs de Perpignan. »

En 1819, « Les chèvres du Tibet, que nous avons vu arriver à la bergerie royale des Mérinos, malades et fort maltraitées du voyage, commencent à se montrer dans un état prospère, grâce à l’habileté et à la connaissance de M. Ollivier. »

« Les chèvres du Tibet sont dans un état de santé parfait, le duvet est déjà apparent sur elles. Depuis 15 jours, les boucs exhalent une odeur un peu forte, ce qui indique, pour cette espèce, la saison de la saillie ; on remarque que cette odeur est moins désagréable que celle qu’exhalent les boucs indigènes. Déjà une grande partie des chèvres est fécondée et très probablement toutes donneront au printemps prochain un ou plusieurs produits. On les voit aujourd’hui aller gaiement au pâturage, bondir sur les coteaux de la rivière Têt, jouer ensemble dans les prairies, et retourner ensuite avec empressement dans leurs étables où elles trouvent une bonne nourriture et une agréable boisson. »

En 1820, « l’établissement est dans un état des plus prospères. Le domaine royal est sans contredit le premier et le mieux administré du royaume. 120 chevreaux sont nés et portent déjà sur leur peau ce riche et précieux duvet qui couvre le corps de leur père et mère…la race tibétaine a gagné à se trouver sous le beau soleil du Midi. Aussi dans peu d’années, nous aurons des Cachemires comme il est facile d’avoir des Mérinos. Nos élégantes petites maîtresses vont se bien trouver de ceci, à moins que la mode et le luxe orgueilleux ne les rendent inconstantes et ne leur fasse préférer quelque nouveau tissu qui n’aura ni le moelleux ni la beauté du duvet tibétain. La mode a ses bizarreries, et nos françaises sont bien capables d’envoyer plus loin qu’au Tibet les complaisants voyageurs chargés de satisfaire leurs frivoles caprices. Il est positif maintenant que les chèvres importées par M. Ternaux prospèreront en France, et que ce sera dans le Roussillon qu’elles se trouveront le mieux : honneur soit rendu au bon français qui le premier a eu la pensée et a exécuté ce beau dessein. Des sommes immenses ne sortiront plus de France pour ne plus y rentrer. Grâces soient rendues à M. Ollivier, cet administrateur plein de zèle qui s’acquitte si soigneusement de ses travaux et qui peut s’enorgueillir de leur résultat. »

Ternaux obtient quelques beaux résultats aux expositions de 1819 et 1820 : »on voyait entassé dans l’endroit qui lui avait été donné au Louvre, des draps, des couvertures, des tapis, des schalls et des écharpes de 4500 francs, des jupons de femme réduits à 46 francs…un des produits les plus remarquables de cette classe est une pièce de cachemire fabriquée (par M. Mindelang fils ainé de Paris) avec le duvet des chèvres kirghizes, élevées à la bergerie royale de Perpignan…ce duvet a été filé au n.210. L’étoffe en est admirablement travaillée, fine soyeuse et transparente come la mousseline[2].

En 1822, le troupeau s’élève à 233 chèvres et avec l’aide de Mr Jaubert de Passa qui facilita l’acclimatation en ouvrant l’un de ses domaines au pied du Canigou, une cinquantaine de jeunes chèvres et un bouc ont été réunis à cet endroit pour plus de rendements. L’administration décide aussi d’en acclimater dans les hautes Alpes ainsi que d’effectuer des croisements. Le Conseil a parfaitement senti qu’il n’appartenait qu’à l’expérience d’éclairer l’opinion, qu’il s’agissait uniquement d’essai, et que le temps pourrait seul démontrer si l’importation des chèvres-cachemires doit avoir les heureux effets qu’on attend[3].

Or, toutes les fois que des chèvres de cette race ont été déplacées, que ce soit vers la France, l’Angleterre ou les Amériques, le nouveau climat a rendu leur toison rêche après quelques saisons, leur faisant perdre à jamais leur texture duveteuse. Il fut donc envisagé de les placer plus haut dans les Pyrénées, ou de les croiser avec les races autochtones.


[1] Médiathèque Perpignan, microfilms.3gp807. Feuille d’affiches, annonces et avis divers du département des Pyrénées-Orientales.

[2] Annuaire historique universel pour 1823, aris, C.Lesur, p.870-871.

[3] Annales de l’industrie nationale et étrangère ou Mercure Technologique, 1822, p.133.

Fêtes patronales des villages roussillonnais

Les mémoires du notaire Ferriol contiennent une description précise des fêtes villageoises roussillonnaises. Celle-ci se déroule sous l’Empire.

« Je ne dois pas oublier de raconter que dans ces grandes circonstances, les quêteuses de la Vierge (en catalan : les « pabordesses »), jeunes filles choisies parmi celles réputées plus sages comme les rosières, paraissaient dans leurs plus beaux atours, dans diverses maisons, vers le milieu du repas et déposaient sur la table leurs petites corbeilles ornées de broderie et de rubans, ou chacun vient déposer son offrande.

Et que la compagnie (cobla) de musiciens catalans, loués pour la circonstance, ayant en tête tous les directeurs de la danse en grand costume, une fleur ou un ruban à la boutonnière de leur habit, pénètre aussi dans les maisons pour y donner son aubade pendant le dîner et que les jeunes gens chefs de la danse entrent dans la salle à manger avec leurs grands plats de cuivre servant à la quête, qu’ils placent sur la table afin que chaque convive leur vienne en aide par quelque secours aux fins des frais de leur entreprise.

Dans le temps où je parle, la danse catalane, toujours en  vogue, était pure. C’était alors la véritable danse nationale. Elle n’avait pas subi les mélanges qu’on lui a fait éprouver depuis, et qui sont la cause d’une grande dégénération [1].»


[1]              ADPO, 59 J 18.

L’économie locale au service du vêtement

Hora Siccama, Homme portant la barretina, vers 1847, Vallespir, fonds iconographique AD66.

Le début du XIXe siècle est encore propice à la fabrication locale de tissus utilisés pour l’habillement catalan.

On fabrique avec la laine du Roussillon des bonnets de laine rouge, les barretines [1]. « L’on conçoit difficilement que le pays, qui, avant l’introduction des mérinos, possédait les plus belles laines du royaume, en ait tiré si peu parti. Il en est de même des autres productions, les campagnes du Roussillon sont couvertes de mûriers, et les soies qui en proviennent ne sont mises en œuvre que dans les ateliers étrangers.

L’industrie de ce département semble, ainsi que nous l’avons déjà annoncé, avoir été anéantie par celle des pays qui l’avoisinent ; elle n’est guère connue que par les dentelles de Perpignan.

Un genre d’industrie se fait remarquer dans les montagnes du Roussillon ; il consiste dans la fabrication de bas de laine à l’aiguille. Les tricoteuses du Capcir et de la Cerdagne sont si nombreuses et si habiles, qu’il est peu de pays en France ou leurs ouvrages ne soient vendus par les colporteurs [2]

Souvent ce sont les Cerdans eux-mêmes qui, à l’automne, vont vendre « l’immense quantité de bas fabriqués et tricotés par eux pendant la durée de l’hiver précédent [3]. »

Au début du XIXe siècle, les campagnes conservent le costume national [4]. Une description de 1813 indique « un bonnet rouge, une camisole courte rouge ou brune sous laquelle est un gilet blanc, des souliers de cordes qu’on appelle espadègnes, quelquefois lacées en forme de brodequins composent en général le costume du paysan roussillonnais. Les femmes roussillonnaises se font remarquer par la vivacité de leur physionomie [5]»


[1]              Mas, (G.), Les premiers préfets du département des P.O., (1799-1814), Maîtrise d’histoire contemporaine, 1998, annexe 24.

[2]              Dralet, (M.), Description des Pyrénées, T.1, Paris, 1813, p.182-183.

[3]              AD66, 2J35, situation économique, rapport du préfet, 1814.

[4]              Henry, D.M.J., « Danses catalanes exécutées en présence de S.A.R. Madame, duchesse d’Angoulème », ed. Tastu, Perpignan, mai 1823, p.19.

[5]              Dralet, (M.), Description des Pyrénées, T.1, Paris, 1813, p.175.

Mode Empire dans les hauts cantons

Portrait de femme en miniature, école française, vers 1800, col. part.

En 1802, les femmes aisées des hauts cantons autour de Saint Laurent de Cerdans se parent de fichus d’indiennes carrés, achetés à la foire de Céret.

Les étoffes et habits proposés aux foires régulières, sont complétés par les marchandises livrées par des colporteurs, par exemple « 6 pans et demi d’indienne terre d’Égypte à bouquets jaunes pour la confection ».

Des étoffes ont des usages très précis comme en 1811 ce métrage d’étoffe en laine puce dite du vœu de sainte Thérèse, afin de confectionner le suaire d’un enfant.

Le châle (orthographié schall) y fait bien sûr son apparition : « madras en laine fonds bleu, et un autre schall en laine fonds blanc [1] ».

Robe en coton imprimé, Design Hub Barcelone.

L’avènement de l’Empire sonne le glas de toutes excentricités. Un costume sobre et élégant s’impose aux adeptes de la mode parisienne, costume ayant désormais les caractéristiques morales attendues. La mode se répand plus facilement auprès des classes populaires grâce à la baisse des prix des toiles fines de coton et des indiennes. Le châle en cachemire se généralise et devient un élément important du costume traditionnel.

La coiffe dite « catalane » adopte alors sa forme définitive. Vers 1804, Catherine Erra, de Millas « était une femme bien faite, elle était propre et bien mise, surtout les jours de fête, lorsqu’elle portait sa jupe neuve ou qu’elle arborait sa coiffe des dimanches [2]

Simple en semaine, elle est remplacée par une coiffe en mousseline brodée les jours de fête. Les bijoux comme l’esclavage, des boucles d’oreilles fileuses ou carbassettes en or creux sont portées par les paysannes aisées alors que les pierres fines ou fausses serties sur or sont plutôt l’apanage des seules bourgeoises.

La croix jeannette en or creux avec son cœur est toujours d’usage dans les milieux modestes. La femme aisée préférera une croix badine, de petite taille, en or et grenats ou en argent et roses de diamants.

Jeune femme à la mode, vers 1800, col. part. Perpignan.

[1]              ADPO, 8 J 88.

[2]              ADPO, 59 J 18, souvenirs de la famille Ferriol.

La garde robe d’une famille d’émigrés pendant la Révolution Française en 1794.

Travaux d’aiguille dans un intérieur de l’extrême fin du XVIIIe s.

Ce document a été rédigé à une période troublée de l’histoire du Roussillon. Des membres de l’administration révolutionnaire sont appelés à inventorier au village du Soler, les affaires laissées sur place par la famille Debouches. Le père de famille était militaire, proche du pouvoir royaliste. Il a probablement rejoint comme tant d’autres la Catalogne frontalière afin d’éviter la prison.

Ainsi l’inventaire ne contient ni les habits emportés sur eux, ni aucun bijou, un bien facile à conserver sur soi afin de subsister dans les périodes difficiles. Le restant des habits et textiles trouvés sur place font une grande part à la fois aux productions de laine (flanelle, laine blanche…), de soie (soie cramoisie, soie jaune) et de coton à motifs tissés (cotonnades flammées) et à motifs imprimés (indiennes). L’habillement féminin est intéressant à plus d’un titre puisque l’on retrouve l’ensemble des pièces du costume populaire : coiffes, serre-têtes, bas, jupons piqués (cotillons), corsets, tabliers, chemises.  On notera aussi des outils permettant de réaliser à domicile filage, dentelle, broderie et bien sûr piqûre ou matelassage. Production phare de Marseille, le piquage était aussi pratiqué en Roussillon.

« Inventaire des effets qui se sont trouvés dans la maison curiale du Soler, aux appartements où logeaient les citoyens dénommés Debouches, père et ses deux filles, commencé le 4 ventôse de la 2ème année de la République conformément à la réquisition qui a été faite par les citoyens G. Triquera, R. Morat, membres du district de Perpignan : dans une garde robe de couleur grise y avons trouvé 51 chemises de femmes, deux cortinages de lit complet cotonnade flammée, quatre rideaux cotonnade flammée de fenêtre, cinq rideaux de fenêtre blancs, deux rideaux d’indiennes rouges, un habit d’homme…., deux habits bleus de commandant de place galonnés avec boutonnières d’or, deux vestes rouges l’une galonnée l’autre sans galons, une veste en flanelle, deux vestes blanches, deux paires de culottes bleues, un devant de veste brodé, deux couvertes de lit blanches de filadis ou coton, une couverte de lit verte, une couverte de lit de fil ou treillis, un gros rideau de toile grossière, un étui avec deux perruques dedans, une couverture en cotonnade flammée, douze chemises d’homme, un manteau bleu, une robe de chambre en flanelle, un petit rideau blanc, trois cotillons d’indienne, cinq cotillons blancs, un cotillon de soie mêlée, un casaquin de soie jaune, un corset bleu, une robe de chambre de femme en soie jaune, une robe de chambre de femme en soie cramoisie brodée coupée en deux morceaux, deux tabliers rouges en indienne, cinq casaquins en indienne, treize corsets blancs de femme, cinq paires de poches en cotonnades, deux jupes en indiennes (rajoutées à l’inventaire), sept paires de bas de femmes blancs, deux paires de bas blancs d’homme, dix coiffes de femmes dans un panier avec treize patrons à broder, cinq serre-tête de femmes, une paire de sabots de femme, deux paquets de chiffons avec deux paires de caleçons dedans , trois paires de souliers de femmes d’étoffe en mauvais état, une bourse garnie de fuseaux à faire les dentelles, deux quenouilles avec leur fuseau et aspi, six tours de cols blancs, deux coussins à faire les dentelles, un métier pour piquer les étoffes en bois, un autre métier à broder en bois, un jeu à jouer aux dés dit jacquet, une boite en fer blanc avec des fers à friser, une bonnette de laine blanche, deux chapeaux de paille noirs [1] ».


[1]          ADPO, 1Qp 459.

Le Directoire roussillonnais (1795-1799), entre sagesse et extravagance

P. Maurin, portrait de famille.

Le XVIIIe siècle s’achève, et malgré les troubles causés par la Révolution française, la mode arrive à s’exprimer. Le Directoire, le Consulat puis l’avènement de l’Empire font rapidement disparaître les extravagances des derniers feux de l’Ancien régime. Le classicisme simplifie la mise des Catalanes. A l’extrême fin de l’Ancien-régime, les portraits peints de Catalanes montrent des citadines portant le costume « traditionnel ». Les femmes du portrait de la famille Maurin [1], portent le caraco à manches trois-quart, des tabliers en indienne, des fichus blancs.

Celles des portraits de Jacques Gamelin (1738-1803) ont des spencers à la mode [2]. Toutes arborent ostentatoirement de grandes coiffes de mousseline dont la passe retombe sur les côtés, serrées par des rubans de soie colorés noués sur le haut de la tête. La mode néo-classique des jeunes femmes ne nuit pas à la tenue traditionnelle.

Jacques Gamelin, la Perpignanaise, musée de Carcassonne.

Merveilleuses et incroyables

La mode dite des « Incroyables » touche aussi le Roussillon. Commençant dès les années 1790, se généralisant de 1795 à 1799, à l’apogée du Directoire, ce courant vestimentaire se définit comme un renouveau de la parure féminine et masculine. On appelle ces personnes en vogue les « incroyables », les réfractaires les qualifient aussi de «Ridicules ». Perpignan connaît cette mode importée directement de la capitale et dont Frion est le principal représentant. Natif de la ville, le jeune inspecteur du conservatoire national des arts et métiers, Jean-Baptiste Frion (1773-1819) avait un goût immodéré pour la mode. Son portrait est réalisé à Perpignan par le peintre Jacques Gamelin en 1796. Frion porte un habit gris et rose, et dans une pose un peu maniérée, car il avait non seulement une taille imposante mais aussi des «goûts et des habitudes, en toutes les manières, même jusqu’aux caprices, des femmes». Avec une personnalité remarquable qui en fit l’un des modèles de grands peintres comme David ou Vien, il fût l’émissaire des nouveautés vestimentaires lors de ses passages à Perpignan. Sur son portrait, l’habit à pan croisé est largement ouvert sur la poitrine, découvrant un gilet de couleur claire porté avec une cravate « écrouellique [3] ». Le pantalon collant est accompagné de bottes tout aussi serrées, un chapeau haut de forme à cocarde dans une main et une canne à pommeau dans l’autre. La frivolité se lit à la fois dans la coiffure longue et peu soignée tout comme dans l’abondance de bijoux : boucle d’oreille, épingle de jabot, châtelaine et montre en or pendant à la ceinture.

Jacques Gamelin, portrait de Frion, Musée Rigaud de Perpignan.

Même en haut Vallespir, à Saint Laurent de Cerdans ou à Arles sur Tech, les femmes suivent aussi cette mode grâce aux nombreux colporteurs ainsi qu’aux achats effectués à la foire de Céret. En 1790, on pouvait y acheter des boutons en paysage, une ceinture « aux trois grâces, un manchon à l’Angola, une flèche en or (broche) pour le fichu, ainsi qu’un parapluie de soie [4].» En 1792, ces nombreux achats à Arles, aux foires de Céret ou auprès de colporteurs, permettent de constituer un vestiaire complet avec fichu d’indienne à la mode, gilet rouge et noir, boucle de ceinture pour femme, pendants d’oreilles en or, garniture de petits boutons, bas de soie ainsi que de nombreux tissus pour confection. Vers 1800, Perpignan ne compte pas moins de 26 perruquiers, 28 marchands d’étoffes au détail, 3 gantiers, 2 bijoutiers, 7 chapeliers et 130 tailleurs d’habits [5].


[1]              Tableau de Jacques Maurin daté de 1794, exposé à Paris en 1874. Il représente la famille du peintre, l’enfant sur les genoux de sa mère étant Antoine Maurin qui fut lithographe. Sont aussi représentés Jacques Gamelin et son fils.  Albert Charles Auguste Racinet, le Costume Historique, livraison 15, 1888.

[2]              Musée des Beaux Arts de Carcassonne, inv. 480.

[3]              Les écrouelles sont une maladie d’origine tuberculeuse provoquant des fistules purulentes localisées sur les ganglions lymphatiques du cou. Le roi de France, le jour du sacre avait le pouvoir de les guerrir.

[4]              AD66, 8 J 88., Livre de comptes.

[5]              Delon (J.), Le Roussillon après la révolution, texte annoté par Etienne Fresnay, SASL des PO, 1993, p.80.