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Catégorie : Monarchie de Juillet (Page 1 of 4)

La soie, une histoire roussillonnaise

Échantillon de droguet de soie de Perpignan, manufacture royale d’étoffes et bas de soie, vers 1740, AD66.

La matière la plus noble est la soie qui était tissée à Perpignan dès avant le XVIe s. par des tisserands de la confrérie des veloutiers de soie, ainsi qu’au sein d’une manufacture royale pour la fabrication de tissus et de bas, entre 1730 et 1750. Par sa cherté et les lois somptuaires qui en interdisaient l’usage aux classes populaires, la soie était toutefois portée  par le biais du réemploi des vêtements et servait aussi à broder de fils colorés les habits, ou à orner avec galons et rubans les coiffes ou attacher les manches au corset. Les tissus de soie de basse qualité appelés bourrettes de soie étaient fabriqués en partie à Nîmes et vendues en Roussillon. On trouvait aussi des fichus de soie de Catalogne ou de Valencia vendus par les espagnols tenant échoppe sur certaines places de Perpignan.

En 1779, un édit crée la nouvelle communauté des tisserands de soye, laine et fil de Perpignan. AM HH 12.

« A l’égard des soies, le commerce en devient tous les ans plus étendu et augmentera considérablement dans la suite par la grande plantation de muriers que l’on fait tous les ans en Roussillon, ainsi que par l’émulation des particuliers à élever des vers à soie. Cette partie peut monter, lors d’une récolte médiocre à environ 20 quintaux de soie, qui passe quasi totalement dans les manufactures de Lyon et du Languedoc. On doit observer que cet objet est d’une grande importance et pourrait être porté jusqu’à 200 quintaux, si comme on s’attache à la plantation des muriers, à laquelle le pays est très propre, on avait soin de les cultiver et d’en cueillir la feuille autant qu’il faut[1]. »

Au XIXe, les procédés industriels permettent d’obtenir des soieries moins chères, des taffetas qui donnent de l’ampleur et de la tenue aux jupes et aux robes qui ne cessent de croitre en métrage. La sériciculture est restée une activité importante qui se généralise en Roussillon, notamment à Cattlar et à Ille-sur-Têt au XIXe s. Les agriculteurs, riches propriétaires sont informés par le biais de la Société Agricole Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales de ce que peut leur rapporter l’élevage du ver à soie, compte tenu du climat roussillonnais favorable et du nombre important de muriers. Sous la monarchie de Juillet, les propriétaires implantent cette production auprès de leurs métayers dans les « métairies » comme le mas Ducup ou Bresson autour de Perpignan, et à Latour de France où le marquis de Ginestous propriétaire du château de Caladroy fait venir des ouvriers du Gard, formés à la culture du ver à soie.

Victime de plusieurs maladies, notamment la grasserie, les vers à soie faillirent disparaître totalement si l’on n’avait pas eu l’idée de faire venir en remplacement des races milanaises et d’Andrinople, la race « jaune milanaise » qui cumulée avec la venue de Pasteur en 1867 permit la reprise de cette économie. Le Roussillon se spécialisa alors dans la vente des œufs ou graines qui étaient vendus dans de petites boites rondes de carton ventilées par de minuscules trous.

La décadence de cette production est due en partie à la fin du XIX e siècle aux taxes qui rendent les soies roussillonnaises peu concurrentielles face aux soies provenant de l’étranger[2].


[1] Poedavant, Le Roussilon à la fin de l’Ancien régime, SASL, 1987, p.63.

[2] Ponsaillé, J., « un intéressant document sur la venue à Ille d’un président du Conseil », CAVI, 1999, p.9,27.

Portrait de Roussillonnaise

Portrait de Roussillonnaise vers 1840-1850 -Huile sur toile, Perpignan. Musée des Arts et Traditions Populaires de la Casa Pairal

Femme portant la coiffe catalane en dentelle ainsi qu’un châle carré à réserve noire et bordure tissée de motifs cachemire. On peut distinguer le port d’un fichu uni sous le châle afin de protéger le châle précieux. Elle porte aussi des pendants d’oreilles à pendeloques.

Délaissement de l’habillement local

L’abandon du caractère si particulier des costumes locaux au profit de l’uniformité de l’habillement « parisien » est très tôt dénoncé.

Costume local et tenue de ville, Basterot et Bayot, ermitage de Galamus.

En 1842, Henry indique que «c’est avec un vif regret que nous voyons l’insipide casquette détrôner le brillant et patriotique bonnet catalan même dans la Cerdagne. C’est ainsi que se perdent insensiblement tous les usages et costumes locaux tant respectés et si fidèlement maintenus par les ancêtres, et que les populations, en cessant d’être elles mêmes, ne sont que de pâles copies des autres et l’insignifiante répétition de ce qu’on voit partout [1]

Il est relayé en cela par Etienne Arago [2] (1802- 1892), le frère du physicien. Dans le poème romantique intitulé « Aux Roussillonnais » [3], il se lamente : «Du sud au nord, un voile de tristesse semble étendu depuis que chaque front porté si haut jadis par la jeunesse s’est engouffré sous un noir chapeau rond. Comme elle, au jour des glorieuses dates, la liberté naguère vous coiffait ! De son bonnet aux couleurs écarlates, ô mes amis, parlez, qu’avez-vous fait? La cornemuse est aussi détrônée, l’ophicléide est son usurpateur, la castagnette est même abandonnée, on a proscrit son bruit provocateur. Et de ce saut sur la main vigoureuse, où le danseur fièrement triomphait, en élevant dans les airs sa danseuse…ô mes amis, parlez, qu’avez-vous fait?  »

Joseph Sirven, dans le même bulletin lui répond en scandant : «Rassure toi, ce dépôt de nos pères, avec orgueil nous l’avons conservé [4]

L’uniformisation des modes a aussi pour cause l’augmentation des voyageurs, ces premiers touristes ou curistes qui, passant dans des régions autrefois reculées, donnent à voir les dernières modes citadines.

En 1846, les dangers de ce tourisme thermal sur les modes locales sont dénoncés. « Depuis, enfin, que s’augmente l’affluence des étrangers aux sources thermales des Pyrénées, que la fashion se répand dans toutes les vallées, que le roman à la mode pénètre dans les hameaux les plus reculés, la coiffure de feutre détrône le classique béret, et le tissu de paille fait repousser le pudique capulet que porte leurs mères [5].»

Le costume évolue tangiblement vers des formes standardisées et l’attrait pour la mode demeure l’un des fondements de la culture roussillonnaise. L’habillement catalan disparaît peu à peu comme le signe de la lente agonie d’un monde ancien. La bourgeoisie citadine, autrefois faiseuse des modes locales, semble définitivement attirée par le costume français. Paris, capitale qui se veut le vecteur hégémonique des costumes, des langues et des traditions des populations qui composent alors la France, n’a toutefois pas gagné la partie comme nous le verrons pour les périodes napoléon III et la fin du XIXe siècle.


[1]              Henry, Le guide en Roussillon, 1842, p.245.

[2]              Il fut à la fois dramaturge et homme politique et devint maire de Paris en 1870.

[3]              SASL des PO, 1840, p.348-349.

[4]              Idem, p.350-352.

[5]          Nore, (A. de), Coutumes, mythes et traditions des provinces de France, Paris, 1846.

Habillements et politique sous Louis philippe.

Le premier mai 1833, Perpignan continue de célébrer comme il se doit la fête du Roi des français, « sans pompe factice, sans ce faste dont la circonstance semblait faire un devoir en d’autres temps. On vivait en paix et en sécurité, on fêtait le monarque qui veut le bonheur de la Patrie, le bien de tous les français. La fête avait été annoncée la veille par des salves d’artillerie, une ordonnance municipale diminuait la taxe du pain : c’était un devoir dont la circonstance a fait un bienfait. Le soir de ce jour de fête, Mr Pascal, préfet du département, avait réuni à un banquet brillant à l’Hôtel de la préfecture, une nombreuse société [1] ».

L’élite se retrouve dans les salons et le peuple roussillonnais reste exclu de ces fêtes privées. A Saint Paul de Fenouillet, on en profite pour mettre à l’honneur un nouveau drapeau tout juste reçu de Paris. « Une grande partie de la population était venue se confondre à celle de la ville de Saint Paul toute entière, pour prendre part à cette fête qui s’est longtemps prolongée ».

Le règne de Louis-Philippe est malgré tout une période de répression à l’encontre de la libre expression. Le débat politique rejaillit sur la tenue vestimentaire des partisans. En 1841, lorsqu’un mauvais ténor est hué par les abonnés, les différences sociales se perçoivent au sein du théâtre de Perpignan, haut lieu de sociabilité de la capitale du Roussillon. La scène va opposer gens à habits et chapeaux, abonnés des loges et étages, et le parterre où étaient groupés les ouvriers à casquettes.

A Paris, la révolution du 22 au 25 février 1848 met en place la seconde République. Un vent de liberté semble souffler sur le Roussillon : «  le 20 mars, cinquante citoyens de notre ville se sont rendus sur le territoire de Castell-Rossello, à la métairie du citoyen de Jorda, ancien tambour du passage du pont d’Arcole, et qui se retira du service avec le grade de capitaine. Par le soin de ces citoyens, et avec le concours du capitaine Jorda, le drapeau de la République a été arboré sur l’antique tour de Castell-Rossello. Il s’en est suivi d’une fête où des toasts ont été portés au maintien de la République et en l’honneur de M. Arago [2] ».

On pouvait danser un tout nouveau quadrille intitulé « France et Liberté ! » d’Henry Bohlman-Sauzeau, composition d’airs patriotiques, « le Chant du Départ, la Parisienne, Veillons au salut de l’Empire, la Marseillaise et la Victoire est à nous ! Toute la France voudra danser sur ces airs qui ont fait le tour de l’Europe [3]. »

Les arbres de la Liberté fleurissent sur toutes les places, l’un d’eux « a été béni mercredi dernier, faubourg des blanqueries (Perpignan), par le curé de la cathédrale. Les discours d’usage ont été prononcés par le chanoine Pujade, et par M. le Commissaire général. On doit procéder demain à la plantation d’un arbre de la Liberté dans la paroisse saint Jean, vis-à-vis de la place de la Loge [4]

Cette réorganisation politique va difficilement déroger aux habitudes installées, comme cette scène où l’on préféra concentrer les spectateurs au Théâtre de Perpignan lors de la venue d’artistes reconnus, et annuler ainsi les divertissements gratuits habituels du dimanche.

«Dimanche dernier, la population de Perpignan a éprouvé un désappointement qui lui a été sensible. Une foule considérable s’était portée, comme à l’ordinaire, à la promenade des Platanes, dans l’espoir d’y entendre la musique, qui depuis de longues années s’y rend sans jamais y manquer. Des dames en belles toilettes attendent sept heures sans voir la moindre trace de musiciens. Elles pensent que l’heure a été changée, mais voilà huit heures et rien ne paraît. On se demande le motif de cette absence, et on parvient à savoir que la musique a fait défaut pour ne pas nuire au théâtre. Il est beau sans doute de protéger les arts, surtout quand ils sont représentés par des artistes d’un talent éminent, comme ceux que nous possédions ce jour là, mais aujourd’hui que nous sommes tous égaux et frères, pourquoi ne pas répartir les plaisirs, de manière à ce que tout le monde puisse en jouir ? Car tout Perpignan ne peut contenir dans la salle de spectacle, et la majorité se trouvait réuni sous nos beaux platanes [5]. »

L’ordre public est alors constamment troublé lors des manifestations électorales périodiques. De 1848 à 1851 des confrontations intenses ont lieu entre les républicains, et les « blancs », c’est-à-dire les royalistes. Les danses publiques sont le cadre de ces démonstrations antagoniques où l’habillement de chacun permet de reconnaître son camp.

Dans les villages, les « blancs » sont alors maltraités, comme lors de la fête patronale du Boulou à la mi-août de l’année 1850. Trois légitimistes revêtus de jaquettes blanches, sont expulsés de la place et poursuivis. Ils sont obligés de se réfugier dans une maison jusqu’à trois heures du matin ; assiégés par plusieurs centaines de « rouges » scandant des slogans politiques.

L’étoile du Roussillon 08 septembre 1850.

À cette époque, les rapports de la gendarmerie et de l’armée sont remplis de récits d’échauffourées. Généralement, elles se produisent suite aux chants, aux danses et à la consommation de vin lors des fêtes villageoises. Certains habitants portant bonnets rouges, se lancent dans des farandoles bruyantes, au son des tambours, sous les drapeaux rouges ou tricolores. C’est l’occasion pour eux de chanter à nouveau : « Vive la République démocratique et sociale ! », « Vive la guillotine ! », « Guerre et mort aux Blancs ! ». Des jets rituels de pierres des deux camps ennemis s’ensuivent. À Perpignan, de telles rixes avaient aussi lieu, parfois quotidiennement juste avant 1851 et la prise de pouvoir de Napoléon III.


[1]              JPO, 1833.

[2]              JPO, 1848, 31/03.

[3]              JPO, 1848, 21/03.

[4]              JPO, 1848, 21/04.

[5]              JPO, 1848, 30/05.

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