Association ethnographique

Mois : février 2021 (Page 3 of 14)

Carnaval de 1879

La chronique du journal local nous informe que le carnaval a été cette année favorisé par température exceptionnelle, aussi les fêtes ont été brillantes et les bals très fréquentés. Les Loges de la parfaite Union et de Saint Jean des Arts ont ouvert et clôturé la série de réunions dansantes. Comme toujours, MM. les membres de ces Loges ont été de la plus exquise urbanité envers les nombreux invités qu’attire chez eux un accueil des plus sympathiques. Le bal du jeudi gras est venu fournir à nos excentriques le prétexte des déguisements les plus bizarres, on suivait avec plaisir  leurs évolutions, autour d’un essaim de jolis masques, dont les yeux scintillaient sous le velours noir des loups.

La soirée a été splendide et si les pierrots et les dominos ont été d’un mutisme désespérant, les danseurs ont prouvé qu’ils avaient des muscles d’acier. Est-ce bien une compensation ?

Il fut un temps pas si éloigné, où dans le couloir des galeries, trop étroit pour contenir la foule, s’engageait un feu roulant de lazzis et d’intrigues. D’indiscrets dominos y faisaient au profit de tous, la petite chronique, souvent scandaleuse, de l’année ; les rires couvraient les voix.

Aujourd’hui le silence règne le plus souvent dans ce corridor témoin jadis de si bruyants ébats, c’est à peine si l’on voit de temps en temps un masque s’y égarer au bras de son cavalier. Ils viennent pour s’isoler… écoutez en passant leur conversation, vous surprendrez entre deux soupirs, cette phrase sentimentale : « Quand donc, mon ami, allons nous déjeuner ? »

Aussi à partir de minuit, le bal n’est-il plus que dans la salle, exactement comme Mailloles n’est plus aujourd’hui que dans la ville. Jadis la population toute entière se rendait au Longchamp perpignanais. Les deux musiques de la garnison y jouaient leurs plus beaux quadrilles ; les danses catalanes étaient installées près de la fontaine d’Amour.

Dans les champs, d’aussi loin que les yeux pouvaient les découvrir, on apercevait des groupes joyeux, qui, venus dès le matin, apportant leurs provisions, faisaient circuler à la ronde le barral plein d’un rancio généreux. De modestes charrettes couvertes de laurier, ornées de rubans et transformées en char triomphal, véhiculaient les félibres catalans de circonstance, improvisant des vers ; tandis que de brillantes cavalcades et mascarades parfaitement organisées zébraient de leurs lignes brillantes cette longue file de bonnets rouges…

Si la promenade de Mailloles n’avait cette année plus rien d’original, cette année, plus rien de pittoresque, les balcons de la ville étaient en revanche, envahis dès une heure par une armée de jolis et frais visages ; de blanches mains préparaient des projectiles moins meurtriers que certaines œillades, et peu de temps après, le combat s’engageait sur toute la ligne pour ne finir qu’à six heures du soir. Pendant ce temps la joie la plus franche n’a cessé de régner. L’on a à déplorer, en fait d’accidents, que quelques yeux pochés, quelques nez escarbouillés, quelques chapeaux défoncés par certains aimables farceurs, dont le plaisir délicat consiste à lancer à tour de bras et une par une, de grosses dragées qui acquièrent dès lors la force d’un caillou.

Ces trouble-fêtes trouvent cela très drôle, nous les signalons à qui de droit afin que ces actions proscrites par le bon goût et par le respect que se doivent entre eux les citoyens, ne dégénèrent en rixes regrettables. Le carnaval n’a pas dit son dernier mot. On prépare un bal masqué pour la mi-carême. Cette fête viendra grossir la somme recueillie pour les pauvres dans les bals du Jeudi-Gras des amis de la Parfaite Union et de Saint Jean des Arts.

La quête faite au bal du Jeudi-Gras a produit 578 francs. Celle faite à la Parfaite Union 700 francs, et celle faite à Saint Jean des Arts 323 francs 50 cents. En tout 1601 francs et 50 centimes. Nous sommes heureux de faire connaître le total de ces quêtes, dont le chiffre va soulager plus d’une misère. Nous rendons grâce pour les pauvres à nos jeunes gens ; ils semblent s’être inspirés des vers de notre immortel poète Victor Hugo :

« Donnez ! Il vient un jour ou la terre nous laisse,

Vos aumônes, là-haut, vous font une richesse,

Donnez ! Afin que l’on dise il eut pitié de nous,

Afin que l’indigent que glacent les tempêtes,

Que le pauvre qui souffre à coté de vos fêtes,

Au seuil de vos palais fixe un œil moins jaloux.[1] »


[1]              E.Falip, Le journal des P.O., 1869.

Annonce du bal du Jeudi gras de Perpignan de 1869

Le bal traditionnel du jeudi-Gras, interrompu, nous ne savons pourquoi l’année dernière, aura bien lieu le 11 février prochain au Théâtre.

Les cartes d’invitations vont être envoyées, et, très incessamment, nous indiquerons l’époque à laquelle les réclamations pourront être adressées à la commission, ainsi que le siège de cette commission.

Voilà une bonne nouvelle pour les marchands, qui auront à fournir les étoffes des costumes, pour les ouvriers, qui les confectionneront, pour les fournisseurs de toute sorte, qui concourront à l’ornementation de la salle, et pour les pauvres surtout, puisque, spontanément d’une voix unanime les souscripteurs se sont dit : « On quêtera pour les pauvres ! »

Nous avons beau vieillir, nous ne saurions être un Caton pour la jeunesse, lorsque nous la voyons viser, à travers une joie bruyante de quelques heures, le bonheur calme et ineffable de soulager la misère.

Quel que soit la main qui donne, nous la bénissons parce que l’aumône est tout à la fois, une œuvre chrétienne et un acte politique.

Riches, voulez-vous que les pauvres vous voient sans aigreur, sans haine, sans jalousie ? Faites comme nos jeunes gens : souvenez-vous d’eux dans vos plaisirs[1].


[1]          Blanc, (A.), Le journal des P.O., 1869.

Danses roussillonnaises sous Napoléon III

Al ball, Danses catalanes par Guiraud, Col. Ville de Perpignan.

« Enfin c’est là (Vernet) que tous les dimanches s’exécutent la danse des baills, ces danses particulières aux habitants du Roussillon, si piquantes et si originales. Ils l’aiment avec passion, et ils s’y livrent avec passion. Elle est vraiment nationale pour eux. Les hommes ouvrent ordinairement lo ball la contredanse, par un contrapas dont le rythme syncopé, accuse une origine grecque pour les uns, arabe pour les autres. 

Tantôt séparés, tantôt tenus par la main, ils forment un grand rond ou dansent sur une même ligne, puis, à un signal donné, les femmes viennent se mêler aux danseurs.

Alors la mesure devient plus précipitée, le rythme musical a changé. Rien n’est plus gracieux, plus pittoresque que cette foule d’hommes et de jeunes femmes aux couleurs éclatantes, bizarrement mêlés et toujours sans cohue.

Mais le point d’orgue ! Des groupes se forment, les cavaliers prenant leur dames sous les bras, les soulèvent ensemble et figurent une pyramide dont le sommet offre les têtes gracieuses des femmes et la base les jambes musculeuses des hommes. Les plus adroits élèvent différemment leur danseuse, et, par un tour de force et d’adresse, les placent sur la main comme sur un siège[1]


[1]          Silhol, (H.), Thermes Mercader, notice sur les eaux minérales sulfureuses de Vernet (Pyrénées-Orientales), Montpellier, 1851, p.9.

Perpignan à L’avènement de Napoléon III : étranges réglementations

« Le coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte ne pouvait manquer de produire une vive agitation dans les départements du Midi. Patrie du savant Arago, le département des Pyrénées-Orientales, appartenait presque entièrement à l’opinion démocratique, et la constitution républicaine devait nécessairement y trouver un grand nombre de défenseurs.

…/…Telle était la situation à Perpignan, chef-lieu, lorsque la nouvelle du coup d’État y arrive dans l’après-midi du 4 décembre 1851. Aussitôt un rassemblement tumultueux se forma devant la préfecture. Il fut dissipé, non sans peine par la troupe, qui fit quelques arrestations. Le lendemain, l’arrêté suivant du maire de Perpignan, était affiché sur les murs de cette ville :

Cet arrêté était signé Lloubes, maire de Perpignan et contresigné par le préfet Dulimbert.

« Considérons qu’il importe que, dans les circonstances présentes, chacun de montre à) découvert, et qu’aucun méfait ne puisse demeurer impuni,

Arrêtons :

Art. 1 : A partir de ce jour, et jusqu’à nouvel ordre, il est défendu de sortir la nuit, la tête couverte d’un capuchon ou de tout autre objet empêchant de reconnaître les personnes.

Art.2 : Il est également défendu de sortir la nuit la figure enveloppée d’écharpes, ou autres objets, pouvant empêcher de reconnaître les personnes

Art.3 : Il est également défendu de sortir déguisé de façon quelconque.

Art.4 : Les contrevenants au présent arrêté seront mis à la disposition de l’autorité compétente, pour être poursuivis conformément aux Lois.

Art.5 : Les commissaires de Police et les agents de la force publique sont chargés de l’exécution du présent arrêté. »

Pendant 48 heures, le calme parut complètement rétabli et l’on écrivait de Perpignan, le 7 décembre : Le département a repris sa physionomie accoutumée. Partout on adhère avec empressement aux mesures adoptées par le chef de l’État. L’effet produit par les dernières dépêches est immense, les honnêtes gens sont dans la joie. La tranquillité règne partout dans le département.

Cela n’était qu’à moitié vrai : si le préfet, M. Pougeard-Dulimbert et M. le Maire, de Perpignan Auguste Lloubes, avaient donné leur adhésion aux décrets du président de la République, plusieurs personnages importants dans le département l’avaient refusée, entre autre MM Cammès, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, et Cartène, ingénieur ordinaire, qui, pour ce refus, furent suspendus de leurs fonctions.

Et puis si Perpignan était tranquille, il s’en fallait de beaucoup qu’il s’en fut de même dans tout le département. A Estagel, par exemple, le dimanche 7, des groupes nombreux se formèrent dans les rues et parcoururent la ville en chantant la Marseillaise, et l’émeute ne tarda pas à devenir menaçante.

…/…Une grande agitation se manifesta également à Thuir, à Villelongue, à Collioure, à Prades. Partout furent faites de nombreuses arrestations, dans les trois arrondissements de Perpignan, de Prades et de Céret, leur nombre s’élevait à plus de  deux cents, et ce nombre fut doublé, par les captures qu’opéra ensuite l’autorité militaire[1]. »


[1]          Decembre, (J.), Alonnier (E.), Histoire des Conseils de guerre de 1852, ou Précis des événements survenus dans les départements a la suite du coup d’État de décembre 1851, Paris, 1869.

Raymond SUDRE, du monumental à la finesse de la porcelaine de Sèvres.

« Nous avons encore remarqué une Helena miniature en Sèvres et un buste d’Helena en marbre. Citons encore une Sainte-Cécile, bas-relief en bronze d’une belle allure, la Femme au givre d’une rare finesse d’exécution, etc. Mais nous avons eu surtout plaisir à nous attarder dans la contemplation du buste de Catalan, morceau détaché du monument du square, non encore inauguré Montanyes Regalades.

Ce buste de Catalan a été conçu par l’artiste dans une admirable pureté de lignes, hors de toutes conventions et exécuté à la perfection. Le monument Montanyes Regalades ne figurait pas à l’exposition de M. Sudre, en raison sans doute de ce que la manufacture de Sèvres n’a pu l’exécuter avant qu’il soit inauguré.

Mais une eau-forte éditée par la Société des Amis des Arts que M. Sudre avait exposée, en donnait une idée très vigoureuse et très exacte. Il convient de signaler la valeur intrinsèque de cette œuvre qui fut la seule du Salon de 1908 à laquelle la Société des Amis des Arts que préside le maître Bonnat fit le grand honneur de l’éditer.

En terminant cet éloge de l’exposition de Raymond Sudre, nous exprimerons le regret que la Fontaine à la Catalane qui doit orner la place de Baixas, n’ait pu figurer en miniature, dans cette exposition. Il ne nous a été permis de la juger que d’après des cartes postales ; mais l’ensemble nous a paru parfait et d’une belle venue.

Biscuit de la Catalane, figure centrale de la fontaine de Baixas.

La Catalane est fièrement campée en grandeur naturelle et rien n’est plus gracieux que son geste. Voilà encore une belle œuvre qui classe Raymond Sudre aux premiers rangs de nos artistes catalans catalanisants. »

Un Amateur Catalan, La Revue Catalane, 1910.

L’âme roussillonnaise, conférence de Jean Amade

Conférence de M. Jean Amade, professeur au Lycée de Montpellier sur l’Ame roussillonnaise. Interprétation de Lo cant del Vallespir. Grand Théâtre de Perpignan. Dimanche 22 décembre 1912, à 16 heures 

Notre ami M. Jean Amade a donné, le dimanche 22 décembre dernier, au théâtre de Perpignan et sous les auspices de l’Association polytechnique, une conférence sur l’Ame roussillonnaise, au cours de laquelle a été interprété Lo Cant del Vallespir, dont nous avions parlé ici même lors des belles fêtes de Céret en juillet 1911. Une heure avant la conférence, la salle se trouvait déjà tellement pleine qu’il devenait impossible d’entrer : les couloirs eux- mêmes étaient inaccessibles, ainsi que les coulisses. Jamais, croyons-nous, on n’avait vu tant de monde à une conférence. Nous nous en réjouissons de tout cœur, car cette conférence fut une véritable manifestation catalane. Y a-t-il une âme roussillonnaise et quelles en sont les manifestations ou expressions ? Comment pouvons-nous contribuer à la maintenir toujours aussi vivante et agissante ? Tel était le sujet que devait traiter M. Jean Amade. Le conférencier montra que cette âme se personnifiait dans la race, dont les caractères expriment les tendances principales de l’âme roussillonnaise, et indiqua par quels moyens on pouvait conserver à notre race toutes ses vertus propres : éducation morale, éducation physique. Puis il marqua nettement les rapports très étroits qui unissent notre race, et par conséquent l’âme roussillonnaise, à la terre, au paysage, invitant ses compatriotes à garder aussi intimes et constants ces liens précieux qui sont pour nous comme une sauvegarde et une garantie.

Mais c’est peut-être surtout par la langue que se traduit le mieux l’âme de notre race, et c’est en elle qu’on la sent le mieux palpiter : cultivons donc cette langue avec amour, ne la laissons pas se perdre, et luttons pour elle sans défaillance. D’autre part, c’est par la tradition que l’âme d’un pays se transmet et se prolonge : développons par conséquent en nous, autour de nous, le respect de la tradition, utilisant même pour elle les forces nouvelles qui, au premier abord, semblent la combattre. Enfin, puisque le folklore est une matérialisation populaire, si l’on peut dire, de l’âme régionale, tournons vers lui notre attention et faisons-le entrer dans notre vie quotidienne ; c’est un pieux et agréable devoir. M. Jean Amade a dit un mot, en passant, de l’art sous ses différentes formes, mais sans y insister parce qu’il avait déjà fait, il y a quelques années, une conférence sur l’art catalan. I1 agrémenta sa conférence sur l’âme roussillonnaise par des récitations ou lectures de certains poèmes, comme lo Gall de Santjoan d’Oun Tal, qui obtint un vif succès, Aniversari du Pastorellet de la Vall d’Arles et Ayres de Nadal de Joseph-Sebastià Pons, qui furent accueillis l’un et l’autre avec des applaudissements chaleureux par l’auditoire.

En terminant, notre ami dit que, dans la France entière, se produit un admirable réveil des forces régionales, et que l’idée régionaliste fait chaque jour de grands progrès dans tous les esprits. Rien ne découragera, d’ailleurs, les ardents patriotes qui ont entrepris de donner un sang nouveau à la nation. Le public, qui avait écouté avec une attention et un intérêt soutenus toute la conférence, dont nous ne pouvons donner malheureusement qu’une idée bien incomplète, salua les dernières et si énergiques paroles de M. Jean Amade par une longue et enthousiaste ovation, montrant par là qu’il approuvait les nobles idées développées avec clarté et défendues avec éloquence par notre vaillant ami, dont l’infatigable persévérance ne connaît pas d’obstacles et trouve toujours des raisons nouvelles de se multiplier. Nous ne dirons qu’un mot de l’exécution du Cant del Vallespir.

Elle fut parfaite, elle fut admirable. Cette merveilleuse cantate du jeune maître M. Déodat de Sévérac est un chef-d’œuvre digne de rester. Nous avons passé, en l’entendant, des minutes délicieuses, inoubliables ; nous aurions voulu l’entendre une fois encore, l’entendre longtemps, avec ses phrases passionnées, colorées, émouvantes, où semblait chanter et se plaindre toute la terre de Roussillon. Une centaine de choristes et de musiciens, venus de Céret, les damés en bonnet catalan et les hommes en barretina, (l’ensemble étant dirigé par M. Louis Roque, directeur de l’Harmonie du Vallespir, qui prêtait aussi son concours), tels furent les héros, on peut bien le dire, de cette magnifique manifestation, qui obtint auprès du public un immense succès.

Après la cantate, les mêmes artistes interprétèrent Montanyes Regalades, sous la direction de M. Adrien Amade, père du conférencier. Ce fut également un triomphe. Félicitons le ténor Rancourt, qui nous fit si bien comprendre la poésie de cette vieille mélopée. Mais félicitons surtout Madame Sors et Monsieur Henri Sabaté, qui chantèrent avec tant d’âme les soli de la cantate. En résumé, nous devons être contents et fiers de la superbe fête catalane du 12 décembre. Elle comptera certainement dans l’histoire de la Renaissance roussillonnaise. Et tout cela ne peut que réjouir le cœur des bons Catalans du Roussillon.

Louis Pastre.

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