
Autres rites de la vie des roussillonnais, les fêtes religieuses organisées dans les ermitages donnent lieu à des rassemblements où s’exprime la richesse des costumes catalans. Sous la Restauration, l’Église catholique retrouve ses prérogatives. La nomination en 1823 de l’évêque François de Saunhac-Belcastel sur le siège de Perpignan, resté longtemps vacant, ainsi que la restauration de la royauté, redonnent à la religion la place dans l’espace public qu’elle possédait avant la Révolution Française. C’est le retour à de très nombreuses fêtes et processions et la création de nouvelles décorations dans les églises. La reprise en main des populations rurales par le clergé s’obtient notamment en ressuscitant les aplecs, ces rassemblements villageois autour d’un sanctuaire à une date précise.
« Outre les fêtes de villages, la dévotion a été la cause de grandes réunions qui appellent les Roussillonnais à jour fixe autour d’ermitages vénérés. Il y en a beaucoup comme cela dans le pays, les plus vénérés sont ceux de Saint Ferréol, de Domanova, et enfin celui de Nuria où les jeunes femmes qui demandent un enfant dans leurs prières se plongent la tête dans un vase profond. Ces réunions comptent quelquefois jusqu’à dix à douze mille personnes selon l’importance de l’ermitage et la réputation du saint. Les Roussillonnais accourent du haut et du bas du pays. Les hommes ont revêtu leurs plus riches habits pour cette solennité aussi bien mondaine que religieuse: le bonnet de laine rouge, qui pend sur l’épaule, est fièrement posé sur le côté du front, l’espadrille, sorte de sandale catalane faite en corde, s’enroule autour de la jambe, retenue par de rubans de couleur éclatantes croisés en losange, la longue ceinture de soie ou de laine rouge presse la taille et vient se nouer coquettement sur la hanche; la veste à boutons de cuivre se balance sur le bras comme le dolman du hussard. Les femmes portent le corset de velours, la jupe écarlate qui laisse voir la jambe fine et le pied leste, et la coiffe blanche rejetée gracieusement sur le derrière de la tête, avec une bande de dentelle cintrée comme une arcade au-dessus des cheveux nattés sur le front. D’autres, celles qui descendent des hauts plateaux du Capcir, enveloppent leurs cheveux tordus et serrés dans un réseau de soie qui s’effile jusqu’au gland flottant sur les épaules, les femmes de la Cerdagne croisent un mouchoir de soie à carreaux sur leur tête, deux bouts pendant sur le cou tandis que les deux autres se nouent sous le menton[1].»
Le plus important de ces aplecs se déroule à Font-Romeu en Cerdagne. «Tout est spectacle à Font-Romeu le jour de la fête. C’en est un, en effet, et des plus curieux, que cette grande variété de costumes, qui, à la vérité, s’est considérablement effacée depuis quelques années, mais qui offrait encore, il y a un quart de siècle, les différences bien tranchées et faisait facilement distinguer, dans les femmes surtout, la Languedocienne de l’habitante du Pays de Foix, la Capcinaise, à la robe bordée d’une sorte de méandre de couleur brillante et quelques fois d’un galon d’or ou d’argent, de la Cerdane au costume gracieux que, par esprit patriotique autant que par coquetterie, ne manquait jamais de prendre ce jour-là celle qui portait habituellement la robe à la mode de France. Une nuance différenciait également le vêtement des Catalanes suivant les localités d’où elles provenaient. Le costume de la Cerdane ou Cerdagnole élégante, se compose, aux jours de fête, d’un réseau de soie rose, amarante, cramoisie ou noire descendant très bas, et terminé par une longue queue garnie de petites houppes à boutons et à grains d’argent ou d’acier, placé sur le haut de la tête et laissant à découvert les cheveux du front bien partagés, lissés et repoussés derrière les oreilles, et noué par de larges et longs rubans dont les anses et les bouts retombent de chaque coté des tempes; d’un fichu de mousseline brochée appliqué sur ce réseau et se colorant légèrement de la teinte du transparent; de longues pendeloques descendant sur les épaules et brillantes des pierreries fines ou fausses dont elles sont chargées; d’un corset de beau drap, de gros de Naples ou de velours bien serré à la taille ; d’un fichu de soie rose, blanche, noire ou de toute autre couleur, brodé en or tout à l’entour, parsemé de fleurs en or et soie, et bordé d’une ruche de mousseline ou de tulle ou même d’une frange d’or; d’une jupe à très petits plis en drap ou indienne; d’un tablier arrêté par des lacets plats dont les bouts pendent par devant; de bas blancs ou gris de lin pour les plus élégantes. La chemise qui est fendue par devant comme celle des hommes, est fermée au dessous du cou, par un bouton à deux têtes chargées d’une pierre de couleur; et la bordure du fichu, dont les eux bouts vont s’engager sous une ceinture de ruban, descendant à coté l’un de l’autre, forment sur le sein une manière de jabot d’un effet aussi pittoresque que gracieux. C’est aussi un spectacle, en descendant de la Miranda (Font-Romeu) que la vue au milieu des pins, des rochers et de la pelouse, de cette multitude de chevaux, de mules, de baudets qui, isolés ou par groupes, et pour la plupart abandonnés à eux-mêmes, paissent l’herbe qui naît du sol. Vous y voyez les selles, les bardelles éparses un peu partout, et à leur forme vous jugez de quel canton elles proviennent.
Les selles des femmes, toutes à reins et dans le goût espagnol, sont, les unes profondément encaissées de trois cotés, couvertes de broderies en laine de toutes couleurs, les autres fermées de deux cotés seulement et ayant pour dossier une basane matelassée, bordée, comme les cotés de longues franges et de crépine de soie cramoisie, avec rosaces brodées, avec houppes et glands attachés à tous les angles et pendant de toutes les parties du harnais; d’autre sont de véritables fauteuils pliants dont les bois présentent une suite de pommes, comme les meubles du Moyen-âge dont ces selles sont contemporaines.
Les selles des hommes n’offrent pas moins de variété. A la couleur éclatante des housses, à la forme des caparaçons, à la hauteur des pommeaux et des troussequins, aux étriers en bois, aux plumets, aux pompons, aux flocs qui ornent les têtières, on reconnaît facilement les montures des Espagnols et celles des riches pagès de l’extrême frontière. Les personnes qui arrivent isolément à Font-Romeu, sont généralement celles qui viennent des cantons les plus éloignés, les habitants des villages circonvoisins y montent ordinairement réunis par populations. Les bandes des villages français, ayant à leur tête leurs juglars (ménétriers) et accompagnés de leur maire et de leur curé ; celle des villages catalans ayant aussi leurs musiciens, leur pasteur et leur alcalde, accourent de la Cerdagne et des points les plus voisins de la Catalogne.
Un autre tableau qui ne frappe et n’intéresse pas moins, c’est du haut de la Miranda, en laissant tomber ses regards à ses pieds, celui de cette quantité immense de personnes se mouvant sur le plateau même de Font-Romeu, de ces innombrables bonnets catalans dont la vive écarlate produit, de cette distance, l’effet le plus singulier.[2].»
[1] Les Français peints par eux-mêmes, encyclopédie morale du XIXème siècle, volume 3, L. Curmer, éditeur, p. 101.
[2] Henry, le guide en Roussillon, 1842, p. 244-247.
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