
Le Roussillon a toujours eu des gitans, qualifiés à cette époque du terme de gitanos. Leur habillement et leurs coutumes ont étonné bien des voyageurs. Les érudits roussillonnais vont aussi les regarder comme un objet d’étude. Leurs origines obscures et leur mode de vie donnèrent lieux à un grand nombre de dissertations.
« Ces jours derniers, un jeune couple de l’espèce en question (sic) entra, avec un cortège homogène, dans l’oratoire de l’Hospice civil de cette ville, vers les six heures du matin. Taille svelte, vêtement propre et élégant, peigne à la girafe surmonté d’un foulard rattaché sous le menton, telle était la fiancée. Le galant avait aussi assez bonne façon. « A la promissencia, a la pila !», s’écrièrent ils tous d’abord, en se dirigeant vers les fonts baptismaux des enfants trouvés. Là, ils se mettent à genoux et disent tout bas leurs patenôtres. On se lève, la donzelle se poste debout vis à vis de la statue de la sainte Vierge et la salue en élevant à la hauteur de la tète ses mains étendues, en les portant en avant, à droite et à gauche. Elle lui adresse une prière précipitamment et en des termes étranges. Bref elle termine son invocation par un gros crachat expectoré avec effort lequel avait sans doute un sens emblématique et mystique. En même temps, elle prend la main du futur époux et, la tenant appliquée contre son cœur, elle prononce son engagement. Vint le tour du camarade, mais il n’avait pas trop étudié son rôle et ne sut que répéter mot pour mot la formule que lui souffla sa prétendue. Après quoi, celle-ci se signe trois fois sur le ventre, en appuyant très fortement le tranchant de sa main le long et en travers d’une extrémité à l’autre. Une vieille au col tors s’approche d’elle, et lui posant une main sur l’épaule, marmonne dévotieusement je ne sais quel orémus, ou quelle bénédiction. Ils vont tous enfin se ranger autour du bénitier, et la mariée les asperge à pleine main. Jusque là rien que d’édifiant, mais à peine sont ils à la porte que d’un ton des plus énergiques, madame recommande à monsieur l’article de la fidélité conjugale, le menaçant pas moins, s’il l’oublie, que de lui arracher quoi… ? Une épaule : « t’arrencaria una espatlla, t’arrencaria una espatlla », lui crie-t-elle plusieurs fois. Galanterie pour galanterie, le mari brandissant sur elle un gourdin, lui promet de son coté avec de gros et vilains jurons, de lui casser les os, de lui arracher les yeux ou le foi, en cas de forfaiture. On doit croire que de pareils compliments ne se trouvent que dans le rituel gitanesque, d’autant plus qu’ils parurent scandaleux et sinistres à un grave personnage de la noce. « Vaya, vaya.. ».disait-il, et redisait-il sentencieusement, « tots avui quedaran amics ». C’est à dire qu’il n’assurait qu’un seul jour d’amitié aux nouveaux conjoints.[1]»

En 1842, le perpignanais Henry, auteur d’un guide du voyageur, note les détails de leur habillementfort semblable au costume catalan : « Sur les bords du glacis de l’avancée, on voit réunis par groupes, des individus au teint enfumé, cheveux lissés, traits du visage fortement prononcés, stature haute et élancée, vêtus d’un pantalon montant sur la poitrine avec un gilet descendant à peine de quelques doigts sous les aisselles, veste toute aussi courte garnie souvent de boutons de métal en boule, suspendus à un long chaînon, bonnet rouge ou noir, tantôt descendant jusqu’au milieu du dos, tantôt deux fois replié au-dessus de la tête, et souvent coiffés d’un mouchoir plié en bandeau appliqué sur le front et noué par derrière, ceinture rouge ou noire à laquelle sont ordinairement suspendues les morailles, des cordes, une trousse de cuir contenant de larges et très longs ciseaux à lame arquées d’une façon particulière : ce sont des gitanos, des bohémiens…[2] »
Enfin, l’érudit Jaubert de Réart[3] se démarque de ses contemporains par une vision humaniste porté sur la population gitane du Roussillon. Son discours se passe de commentaires : « La plupart des auteurs qui on écrit sur les gitanos, s’efforcent de nous les dépeindre sous les couleurs les plus défavorables. Trop généraliser en cette matière comme en toute autre est une erreur que repoussent la raison et l’observation impartiale. Parce que l’on taxe la Nation française de légèreté et d’inconstante, il ne faut pas en induire que tous les français sont d’un caractère léger et inconstant ; comme aussi toutes les circassiennes ne sont pas toutes belles, les Anglais n’ont pas tous le spleen. Il ne faut pas mettre non plus sur la même ligne tous les bohémiens, tous n’habitent point sous les ponts ou dans les chapelles ruinées, se nourrissant de mets immondes et vivant, comme l’on dit, sans foi ni lois. Il en est parmi le nombre qui, vus sans prévention, ne seraient peut-être pas jugés indignes de cette société qui les repousse, et l’on peut dire que ce qui influe le plus sur le sort d’un grand nombre d’entre eux, comme sur celui de tous les hommes, c’est la misère qui dégrade tout ce qu’elle touche[4]. »
[1] Le Publicateur, 1833, P.Puiggary, « Mariage entre bohémiens », p.135.
[2] Henry, (D.M.J), Le guide en Roussillon, édition Alzine, Perpignan, 1842, p.10-11.
[3] Né à Perpignan en 1792, membre du conseil d’arrondissement et de la société philomatique de Perpignan.
[4] Le Publicateur, 1834, Jaubert de Réart, le grand beiram des bohémiens, p.4-5.
Laisser un commentaire