Un écrivain romantique est l’auteur anonyme d’une très belle prose dédiée aux jeunes femmes de Perpignan. Logé à l’Hôtel de l’Europe, il scande son attrait pour ces grisettes croisées dans les rues de la ville.

« Gentilles grisettes, l’ornement de ma ville natale, mon livre et moi, nous tombons à vos pieds. Prenez ce livre, feuilletez le de vos doigts potelés, il a été fait pour amuser vos loisirs. L’héroïne du roman est une de vos compagnes, l’auteur un de vos compatriotes, les lieux de la scène sont ceux que chaque jour vous parcourez, voilà déjà je pense de quoi me concilier votre faveur en piquant votre curiosité. Après cela, pour émouvoir vos jeunes cœurs de filles, j’ai compté sur la peinture naïve d’une passion profondément sentie, tout comme pour exciter votre gaîté, j’ai espéré que quelque saillie heureuse viendrait par ici par là se glisser au bout de ma plume. Peut être ai-je trop présumé de mes forces, mais après tout, je ne prétends pas à ces résultats gigantesques que nos romanciers les plus célèbres n’ont pas toujours obtenu; ainsi vous ne fondrez point en larme en me lisant et vous ne pâmerez pas non plus de rire: à moi écrivain modeste un demi-succès; à moi une palpitation légère qui soulève tant soit peu votre sein, un sourire imperceptible qui vienne errer sur vos lèvres, une larme si vous voulez à l’endroit le plus pathétique, une seule larme pas plus grosse qu’une tête d’épingle, c’en est assez pour moi, je suis récompensé.

Gentilles grisettes, vous seriez des étoiles dans le ciel, ici vous êtes des perles fines, perles semées par le bon Dieu sur le pavé de nos rues et dans nos places publiques; perles dans nos promenades, perles à vos croisées et sur le seuil de vos maisons. L’habitant accoutumé à vous voir jamais ne s’en rassasie et l’étranger qui arrive pour la première fois s’arrête sur votre aspect, frappé tout d’abord de votre costume pittoresque et nouveau pour lui. Ce petit bonnet évasé sur le front, arrondi avec art vers les tempes, ces yeux noirs sous le tulle, ces pieds mignons, cette démarche vive et légère, tout cet ensemble de grâce et de coquetterie le ravit, le transporte, il reste en contemplation devant vous, l’y voilà comme une statue, il y serait encore, mais la cloche du dîner s’est faite entendre à l’hôtel de l’Europe, il se retire et silencieux rempli de votre image, rêvant au bonheur de vous revoir pour vous dire qu’il vous aime, et peut être nourrissant au fond de son cœur l’espoir de votre cœur en retour. Gentilles grisettes, daignez accueillir mon hommage, mon livre et moi, nous sommes à vos pieds[1] ».


[1]          Anonyme, vers 1840, ADPO, fonds Ducup de Saint Paul. Il pourrait s’agir d’un fils de la famille Carcassonne, propriétaires sous la Restauration du fameux hôtel.