Au début du mois de décembre 1846, on put noter l’arrivée à Port-Vendres d’un hôte singulier, Ibrahim-Pacha (1789-1848), fils du Pacha d’Égypte Memet-Ali (1769-1849). Depuis Marseille sur bateau à vapeur « le Nil », avec escorte et suite, il se rend dans la station catalane de Vernet-les-Bains afin d’y prendre les eaux.

Portrait d’Ibrahim Pacha

Dès son arrivée, sa délégation créé l’événement à cause de son accoutrement : « L’équipage a un aspect dégoûtant et rendu bizarre à cause des longs cabans blancs qui couvrent les matelots. On dirait des moines en capuchons. Une musique un peu aigre a joué la Marseillaise et la Parisienne. Ibrahim contemplait pendant ce temps là les curieux groupés sur le rivage. »

A Perpignan, les honneurs militaires lui sont rendus. Les Perpignanais regardent avec curiosité et ravissement ce pittoresque personnage : «Il est petit et replet, le cou court, le visage long, la barbe est blanche. Il se dandine beaucoup, il est vêtu magnifiquement, avec plusieurs décorations en diamants ; il a comme les personnes de sa suite, une veste rouge couverte de galons d’or, une longue ceinture de drap d’or»

A l’hôtel de l’Europe, il dort une nuit avant de rejoindre Vernet-les-Bains. «En quittant la salle à manger pour aller dans son salon, Ibrahim ayant remarqué beaucoup de dames de la société perpignanaise sur le palier de l’escalier ; il les fit entrer et leur fit offrir du café».

A Vernet-les-Bains, la présence d’un tel hôte va donner une grande notoriété à la station thermale. Ibrahim quitte Perpignan au matin du 8 janvier et arrive à Vernet-les-Bains à 6 heures du soir. Une compagnie du 8ème léger et du 15ème chasseur à cheval, destinés à faire le service auprès de sa personne, lui rendent les armes. Le conseil municipal et le curé du village lui font leur discours sous deux arcs de triomphe.

Nous savons que le séjour d’Ibrahim à Vernet lui fut agréable. En effet il aimait passer en revue les compagnies militaires et sa table comprenait toujours une vingtaine de personnes. Les soirées étaient bien organisées car les dames y étaient admises. Vers la fin janvier, le prince quitte Vernet-les-Bains pour Paris où il sera reçu au palais de l’Elysée-Bourbon. Le 8 février, de retour à Vernet, il termine sa convalescence avec de nombreuses fêtes organisées en son honneur. Le général de Castellane fit donner un bal costumé auquel Ibrahim Pacha ne put se rendre à cause de la fatigue.

Son fils, Soliman Pacha, Ibrahim Bey, son aide de camp, le colonel Bonfort, d’origine française, et les officiers d’ordonnance furent toutefois présents. Ce bal fut magnifique : « A neuf heures, les salons étaient combles ; il y avait cent dix femmes, beaucoup de jolies ; au moins six cent personnes, sauf quarante deux habits noirs, pères ou maris de femmes, auxquels il a bien fallu donner une exemption, tous les hommes étaient en uniforme ou travestis ; une musique dans la cour jouait à l’entrée de chaque femme ; les salons étaient bien éclairés ; il y avait des costumes charmants : hommes et femmes avaient rivalisé à cet égard. »

Le docteur Lallemand, grâce à la convalescence d’Ibrahim Pacha, a su promouvoir avec brio l’efficacité des eaux minérales catalanes. Venir d’Orient pour se soigner dans une station thermale française a été un coup de publicité magistral pour le village de Vernet. L’éminent praticien donna à cette station une renommée qui n’allait qu’augmenter sans cesse. Son œuvre a été considérée comme «humanitaire, nationale et roussillonnaise».

Touché par l’accueil qu’il reçut, Ibrahim Pacha fit don d’une momie égyptienne aujourd’hui présentée au Muséum d’Histoire Naturelle de Perpignan.