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Catégorie : Monarchie de Juillet (Page 2 of 4)

La soie, une histoire roussillonnaise

Échantillon de droguet de soie de Perpignan, manufacture royale d’étoffes et bas de soie, vers 1740, AD66.

La matière la plus noble est la soie qui était tissée à Perpignan dès avant le XVIe s. par des tisserands de la confrérie des veloutiers de soie, ainsi qu’au sein d’une manufacture royale pour la fabrication de tissus et de bas, entre 1730 et 1750. Par sa cherté et les lois somptuaires qui en interdisaient l’usage aux classes populaires, la soie était toutefois portée  par le biais du réemploi des vêtements et servait aussi à broder de fils colorés les habits, ou à orner avec galons et rubans les coiffes ou attacher les manches au corset. Les tissus de soie de basse qualité appelés bourrettes de soie étaient fabriqués en partie à Nîmes et vendues en Roussillon. On trouvait aussi des fichus de soie de Catalogne ou de Valencia vendus par les espagnols tenant échoppe sur certaines places de Perpignan.

En 1779, un édit crée la nouvelle communauté des tisserands de soye, laine et fil de Perpignan. AM HH 12.

« A l’égard des soies, le commerce en devient tous les ans plus étendu et augmentera considérablement dans la suite par la grande plantation de muriers que l’on fait tous les ans en Roussillon, ainsi que par l’émulation des particuliers à élever des vers à soie. Cette partie peut monter, lors d’une récolte médiocre à environ 20 quintaux de soie, qui passe quasi totalement dans les manufactures de Lyon et du Languedoc. On doit observer que cet objet est d’une grande importance et pourrait être porté jusqu’à 200 quintaux, si comme on s’attache à la plantation des muriers, à laquelle le pays est très propre, on avait soin de les cultiver et d’en cueillir la feuille autant qu’il faut[1]. »

Au XIXe, les procédés industriels permettent d’obtenir des soieries moins chères, des taffetas qui donnent de l’ampleur et de la tenue aux jupes et aux robes qui ne cessent de croitre en métrage. La sériciculture est restée une activité importante qui se généralise en Roussillon, notamment à Cattlar et à Ille-sur-Têt au XIXe s. Les agriculteurs, riches propriétaires sont informés par le biais de la Société Agricole Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales de ce que peut leur rapporter l’élevage du ver à soie, compte tenu du climat roussillonnais favorable et du nombre important de muriers. Sous la monarchie de Juillet, les propriétaires implantent cette production auprès de leurs métayers dans les « métairies » comme le mas Ducup ou Bresson autour de Perpignan, et à Latour de France où le marquis de Ginestous propriétaire du château de Caladroy fait venir des ouvriers du Gard, formés à la culture du ver à soie.

Victime de plusieurs maladies, notamment la grasserie, les vers à soie faillirent disparaître totalement si l’on n’avait pas eu l’idée de faire venir en remplacement des races milanaises et d’Andrinople, la race « jaune milanaise » qui cumulée avec la venue de Pasteur en 1867 permit la reprise de cette économie. Le Roussillon se spécialisa alors dans la vente des œufs ou graines qui étaient vendus dans de petites boites rondes de carton ventilées par de minuscules trous.

La décadence de cette production est due en partie à la fin du XIX e siècle aux taxes qui rendent les soies roussillonnaises peu concurrentielles face aux soies provenant de l’étranger[2].


[1] Poedavant, Le Roussilon à la fin de l’Ancien régime, SASL, 1987, p.63.

[2] Ponsaillé, J., « un intéressant document sur la venue à Ille d’un président du Conseil », CAVI, 1999, p.9,27.

Portrait de Roussillonnaise

Portrait de Roussillonnaise vers 1840-1850 -Huile sur toile, Perpignan. Musée des Arts et Traditions Populaires de la Casa Pairal

Femme portant la coiffe catalane en dentelle ainsi qu’un châle carré à réserve noire et bordure tissée de motifs cachemire. On peut distinguer le port d’un fichu uni sous le châle afin de protéger le châle précieux. Elle porte aussi des pendants d’oreilles à pendeloques.

Délaissement de l’habillement local

L’abandon du caractère si particulier des costumes locaux au profit de l’uniformité de l’habillement « parisien » est très tôt dénoncé.

Costume local et tenue de ville, Basterot et Bayot, ermitage de Galamus.

En 1842, Henry indique que «c’est avec un vif regret que nous voyons l’insipide casquette détrôner le brillant et patriotique bonnet catalan même dans la Cerdagne. C’est ainsi que se perdent insensiblement tous les usages et costumes locaux tant respectés et si fidèlement maintenus par les ancêtres, et que les populations, en cessant d’être elles mêmes, ne sont que de pâles copies des autres et l’insignifiante répétition de ce qu’on voit partout [1]

Il est relayé en cela par Etienne Arago [2] (1802- 1892), le frère du physicien. Dans le poème romantique intitulé « Aux Roussillonnais » [3], il se lamente : «Du sud au nord, un voile de tristesse semble étendu depuis que chaque front porté si haut jadis par la jeunesse s’est engouffré sous un noir chapeau rond. Comme elle, au jour des glorieuses dates, la liberté naguère vous coiffait ! De son bonnet aux couleurs écarlates, ô mes amis, parlez, qu’avez-vous fait? La cornemuse est aussi détrônée, l’ophicléide est son usurpateur, la castagnette est même abandonnée, on a proscrit son bruit provocateur. Et de ce saut sur la main vigoureuse, où le danseur fièrement triomphait, en élevant dans les airs sa danseuse…ô mes amis, parlez, qu’avez-vous fait?  »

Joseph Sirven, dans le même bulletin lui répond en scandant : «Rassure toi, ce dépôt de nos pères, avec orgueil nous l’avons conservé [4]

L’uniformisation des modes a aussi pour cause l’augmentation des voyageurs, ces premiers touristes ou curistes qui, passant dans des régions autrefois reculées, donnent à voir les dernières modes citadines.

En 1846, les dangers de ce tourisme thermal sur les modes locales sont dénoncés. « Depuis, enfin, que s’augmente l’affluence des étrangers aux sources thermales des Pyrénées, que la fashion se répand dans toutes les vallées, que le roman à la mode pénètre dans les hameaux les plus reculés, la coiffure de feutre détrône le classique béret, et le tissu de paille fait repousser le pudique capulet que porte leurs mères [5].»

Le costume évolue tangiblement vers des formes standardisées et l’attrait pour la mode demeure l’un des fondements de la culture roussillonnaise. L’habillement catalan disparaît peu à peu comme le signe de la lente agonie d’un monde ancien. La bourgeoisie citadine, autrefois faiseuse des modes locales, semble définitivement attirée par le costume français. Paris, capitale qui se veut le vecteur hégémonique des costumes, des langues et des traditions des populations qui composent alors la France, n’a toutefois pas gagné la partie comme nous le verrons pour les périodes napoléon III et la fin du XIXe siècle.


[1]              Henry, Le guide en Roussillon, 1842, p.245.

[2]              Il fut à la fois dramaturge et homme politique et devint maire de Paris en 1870.

[3]              SASL des PO, 1840, p.348-349.

[4]              Idem, p.350-352.

[5]          Nore, (A. de), Coutumes, mythes et traditions des provinces de France, Paris, 1846.

Habillements et politique sous Louis philippe.

Le premier mai 1833, Perpignan continue de célébrer comme il se doit la fête du Roi des français, « sans pompe factice, sans ce faste dont la circonstance semblait faire un devoir en d’autres temps. On vivait en paix et en sécurité, on fêtait le monarque qui veut le bonheur de la Patrie, le bien de tous les français. La fête avait été annoncée la veille par des salves d’artillerie, une ordonnance municipale diminuait la taxe du pain : c’était un devoir dont la circonstance a fait un bienfait. Le soir de ce jour de fête, Mr Pascal, préfet du département, avait réuni à un banquet brillant à l’Hôtel de la préfecture, une nombreuse société [1] ».

L’élite se retrouve dans les salons et le peuple roussillonnais reste exclu de ces fêtes privées. A Saint Paul de Fenouillet, on en profite pour mettre à l’honneur un nouveau drapeau tout juste reçu de Paris. « Une grande partie de la population était venue se confondre à celle de la ville de Saint Paul toute entière, pour prendre part à cette fête qui s’est longtemps prolongée ».

Le règne de Louis-Philippe est malgré tout une période de répression à l’encontre de la libre expression. Le débat politique rejaillit sur la tenue vestimentaire des partisans. En 1841, lorsqu’un mauvais ténor est hué par les abonnés, les différences sociales se perçoivent au sein du théâtre de Perpignan, haut lieu de sociabilité de la capitale du Roussillon. La scène va opposer gens à habits et chapeaux, abonnés des loges et étages, et le parterre où étaient groupés les ouvriers à casquettes.

A Paris, la révolution du 22 au 25 février 1848 met en place la seconde République. Un vent de liberté semble souffler sur le Roussillon : «  le 20 mars, cinquante citoyens de notre ville se sont rendus sur le territoire de Castell-Rossello, à la métairie du citoyen de Jorda, ancien tambour du passage du pont d’Arcole, et qui se retira du service avec le grade de capitaine. Par le soin de ces citoyens, et avec le concours du capitaine Jorda, le drapeau de la République a été arboré sur l’antique tour de Castell-Rossello. Il s’en est suivi d’une fête où des toasts ont été portés au maintien de la République et en l’honneur de M. Arago [2] ».

On pouvait danser un tout nouveau quadrille intitulé « France et Liberté ! » d’Henry Bohlman-Sauzeau, composition d’airs patriotiques, « le Chant du Départ, la Parisienne, Veillons au salut de l’Empire, la Marseillaise et la Victoire est à nous ! Toute la France voudra danser sur ces airs qui ont fait le tour de l’Europe [3]. »

Les arbres de la Liberté fleurissent sur toutes les places, l’un d’eux « a été béni mercredi dernier, faubourg des blanqueries (Perpignan), par le curé de la cathédrale. Les discours d’usage ont été prononcés par le chanoine Pujade, et par M. le Commissaire général. On doit procéder demain à la plantation d’un arbre de la Liberté dans la paroisse saint Jean, vis-à-vis de la place de la Loge [4]

Cette réorganisation politique va difficilement déroger aux habitudes installées, comme cette scène où l’on préféra concentrer les spectateurs au Théâtre de Perpignan lors de la venue d’artistes reconnus, et annuler ainsi les divertissements gratuits habituels du dimanche.

«Dimanche dernier, la population de Perpignan a éprouvé un désappointement qui lui a été sensible. Une foule considérable s’était portée, comme à l’ordinaire, à la promenade des Platanes, dans l’espoir d’y entendre la musique, qui depuis de longues années s’y rend sans jamais y manquer. Des dames en belles toilettes attendent sept heures sans voir la moindre trace de musiciens. Elles pensent que l’heure a été changée, mais voilà huit heures et rien ne paraît. On se demande le motif de cette absence, et on parvient à savoir que la musique a fait défaut pour ne pas nuire au théâtre. Il est beau sans doute de protéger les arts, surtout quand ils sont représentés par des artistes d’un talent éminent, comme ceux que nous possédions ce jour là, mais aujourd’hui que nous sommes tous égaux et frères, pourquoi ne pas répartir les plaisirs, de manière à ce que tout le monde puisse en jouir ? Car tout Perpignan ne peut contenir dans la salle de spectacle, et la majorité se trouvait réuni sous nos beaux platanes [5]. »

L’ordre public est alors constamment troublé lors des manifestations électorales périodiques. De 1848 à 1851 des confrontations intenses ont lieu entre les républicains, et les « blancs », c’est-à-dire les royalistes. Les danses publiques sont le cadre de ces démonstrations antagoniques où l’habillement de chacun permet de reconnaître son camp.

Dans les villages, les « blancs » sont alors maltraités, comme lors de la fête patronale du Boulou à la mi-août de l’année 1850. Trois légitimistes revêtus de jaquettes blanches, sont expulsés de la place et poursuivis. Ils sont obligés de se réfugier dans une maison jusqu’à trois heures du matin ; assiégés par plusieurs centaines de « rouges » scandant des slogans politiques.

L’étoile du Roussillon 08 septembre 1850.

À cette époque, les rapports de la gendarmerie et de l’armée sont remplis de récits d’échauffourées. Généralement, elles se produisent suite aux chants, aux danses et à la consommation de vin lors des fêtes villageoises. Certains habitants portant bonnets rouges, se lancent dans des farandoles bruyantes, au son des tambours, sous les drapeaux rouges ou tricolores. C’est l’occasion pour eux de chanter à nouveau : « Vive la République démocratique et sociale ! », « Vive la guillotine ! », « Guerre et mort aux Blancs ! ». Des jets rituels de pierres des deux camps ennemis s’ensuivent. À Perpignan, de telles rixes avaient aussi lieu, parfois quotidiennement juste avant 1851 et la prise de pouvoir de Napoléon III.


[1]              JPO, 1833.

[2]              JPO, 1848, 31/03.

[3]              JPO, 1848, 21/03.

[4]              JPO, 1848, 21/04.

[5]              JPO, 1848, 30/05.

Et Ibrahim Pacha ouvre le bal…

Au début du mois de décembre 1846, on put noter l’arrivée à Port-Vendres d’un hôte singulier, Ibrahim-Pacha (1789-1848), fils du Pacha d’Égypte Memet-Ali (1769-1849). Depuis Marseille sur bateau à vapeur « le Nil », avec escorte et suite, il se rend dans la station catalane de Vernet-les-Bains afin d’y prendre les eaux.

Portrait d’Ibrahim Pacha

Dès son arrivée, sa délégation créé l’événement à cause de son accoutrement : « L’équipage a un aspect dégoûtant et rendu bizarre à cause des longs cabans blancs qui couvrent les matelots. On dirait des moines en capuchons. Une musique un peu aigre a joué la Marseillaise et la Parisienne. Ibrahim contemplait pendant ce temps là les curieux groupés sur le rivage. »

A Perpignan, les honneurs militaires lui sont rendus. Les Perpignanais regardent avec curiosité et ravissement ce pittoresque personnage : «Il est petit et replet, le cou court, le visage long, la barbe est blanche. Il se dandine beaucoup, il est vêtu magnifiquement, avec plusieurs décorations en diamants ; il a comme les personnes de sa suite, une veste rouge couverte de galons d’or, une longue ceinture de drap d’or»

A l’hôtel de l’Europe, il dort une nuit avant de rejoindre Vernet-les-Bains. «En quittant la salle à manger pour aller dans son salon, Ibrahim ayant remarqué beaucoup de dames de la société perpignanaise sur le palier de l’escalier ; il les fit entrer et leur fit offrir du café».

A Vernet-les-Bains, la présence d’un tel hôte va donner une grande notoriété à la station thermale. Ibrahim quitte Perpignan au matin du 8 janvier et arrive à Vernet-les-Bains à 6 heures du soir. Une compagnie du 8ème léger et du 15ème chasseur à cheval, destinés à faire le service auprès de sa personne, lui rendent les armes. Le conseil municipal et le curé du village lui font leur discours sous deux arcs de triomphe.

Nous savons que le séjour d’Ibrahim à Vernet lui fut agréable. En effet il aimait passer en revue les compagnies militaires et sa table comprenait toujours une vingtaine de personnes. Les soirées étaient bien organisées car les dames y étaient admises. Vers la fin janvier, le prince quitte Vernet-les-Bains pour Paris où il sera reçu au palais de l’Elysée-Bourbon. Le 8 février, de retour à Vernet, il termine sa convalescence avec de nombreuses fêtes organisées en son honneur. Le général de Castellane fit donner un bal costumé auquel Ibrahim Pacha ne put se rendre à cause de la fatigue.

Son fils, Soliman Pacha, Ibrahim Bey, son aide de camp, le colonel Bonfort, d’origine française, et les officiers d’ordonnance furent toutefois présents. Ce bal fut magnifique : « A neuf heures, les salons étaient combles ; il y avait cent dix femmes, beaucoup de jolies ; au moins six cent personnes, sauf quarante deux habits noirs, pères ou maris de femmes, auxquels il a bien fallu donner une exemption, tous les hommes étaient en uniforme ou travestis ; une musique dans la cour jouait à l’entrée de chaque femme ; les salons étaient bien éclairés ; il y avait des costumes charmants : hommes et femmes avaient rivalisé à cet égard. »

Le docteur Lallemand, grâce à la convalescence d’Ibrahim Pacha, a su promouvoir avec brio l’efficacité des eaux minérales catalanes. Venir d’Orient pour se soigner dans une station thermale française a été un coup de publicité magistral pour le village de Vernet. L’éminent praticien donna à cette station une renommée qui n’allait qu’augmenter sans cesse. Son œuvre a été considérée comme «humanitaire, nationale et roussillonnaise».

Touché par l’accueil qu’il reçut, Ibrahim Pacha fit don d’une momie égyptienne aujourd’hui présentée au Muséum d’Histoire Naturelle de Perpignan.

George Sand à Perpignan

Le grand escalier de l’Hôtel de l’Europe.

La liaison entre George Sand et le musicien Polonais Frédéric Chopin débuta certainement au début de l’été 1838. A cette date, leur intimité est naissante : «Elle me regardait profondément dans les yeux pendant que je jouais.»

Le scandale de leur liaison dans le microcosme parisien pousse le couple à s’éloigner de la capitale. Le comte Marliani, consul d’Espagne,  leur conseille l’île de Majorque. Le climat des Baléares a été choisi en raison de la santé chancelante de Chopin atteint de tuberculose. George Sand et ses enfants, Maurice et Solange, partent les premiers, ils font étape à Perpignan.

Au centre de la cité catalane, ils trouvent gite chez M. Carcassonne, à l’Hôtel de l’Europe (ancien hôtel particulier des comtes de Ros). Cette bâtisse est alors l’hôtellerie la plus réputée de la cité.

Cheminée possédant encore le miroir dans lequel George Sand se mira.

Chopin les rejoint un peu plus tard. Il arrive le 31 octobre 1838 et selon George Sand, « frais comme une rose, et rose comme un navet».

Il venait tout de même de passer quatre jours en diligence. De ce bref passage dans la cité catalane, on sait peu de choses sinon que le couple s’est promené dans les rues étroites de la vieille ville. Ils auront certainement pu apprécier dans les boutiques des orfèvres les nombreux bijoux sertis de pierres semi-précieuses en vogue sous la Restauration, en grenats ou brésils (citrines).

Le Musée de la vie Romantique à Paris conserve les bijoux de l’écrivain, dont certains effectivement ornés de grenats. Les quatre voyageurs partent ensuite pour Port-Vendres. George Sand écrit alors : «Je quitte la France dans deux jours. Je vous écris du bord de la mer la plus bleue, la plus pure, la plus unie ; on dirait d’une mer de Grèce, ou d’un lac de Suisse par le plus beau jour.[1]»

Un bateau les emmène de Port-Vendres à Barcelone où ils descendent dans la meilleure auberge, l’hôtel des Quatre Nations sur la Rambla. Huit jours se passent en visites dans la capitale catalane avant de rejoindre les îles Baléares.


[1]              Argent, (J-D.), Trois petits jours de grand amour, George Sand et Frédéric Chopin à Perpignan, Collioure et Port-vendres1839, 2005, 126 p.

Passage de la reine Marie-Christine d’Espagne.

La proximité de l’Espagne fait de Perpignan la résidence intermittente du gotha et  de la noblesse espagnole lors des guerres carlistes. On note surtout le passage de Marie Christine de Bourbon (1806-1878), princesse royale des Deux-Siciles, qui fut Reine consort (1829-1833) puis régente d’Espagne (1833-1840). Son passage en 1840 fut bref. La veuve de Ferdinand VII, arrive à Port-Vendres à bord du bateau vapeur Le Mercurio le 19 octobre.

Marie Christine, reine d’Espagne

Elle séjourne à Perpignan à l’Hôtel de la Préfecture. « À Perpignan elle est descendue à l’Hôtel de la Préfecture ou elle a couché après avoir admis à sa table le Préfet, le général, le frère de Munos [1], et plusieurs autres personnes. A la suite de ce diner, un courrier a été expédié à Louis-Philippe pour lui rendre compte des évènements de Valence, et réclamer pour la jeune Isabelle, l’appui du cabinet des Tuileries [2]. »

Elle ne voulut recevoir d’honneurs, mais participa à quelques diners. Le général de Castellane dit d’elle : « sa figure est jolie, elle est femme d’esprit. Comme elle a beaucoup d’embonpoint, elle parait petite ; son embonpoint est d’autant plus frappant qu’elle ne porte pas de corset. » Le lendemain, avant de quitter Perpignan pour se remettre en route pour Marseille en passant par Montpellier, elle fit entrer, pour les saluer, les nombreuses femmes de la société qui étaient simplement venues la voir passer.

Elle reviendra peu de temps en Roussillon le 26 février 1844 pour son retour en Espagne. Passant par Sans, Avalon, Chalon, Lyon, Montpellier, la reine est accompagnée d’une suite composée de trois de ses nièces, la comtesse de Belascoai sa dame d’honneur, le duc de la Roca-Togores, grand d’Espagne, chargé de fonction de grand maître de maison, le duc de San Carlos son grand écuyer, le médecin Rubio, le chapelain Fulleda ainsi que quatorze domestiques des deux sexes.

« En février 1844, la Députation provinciale et la municipalité de Barcelone envoyèrent plusieurs de leurs membres à Perpignan, au-devant de la Reine Christine qui rentrait en Espagne. Le général de Castellane les accueillit avec cette politesse qui font chérir son nom par les Espagnols, que les divers événements politiques ont successivement forcé à chercher un refuge en France, par la frontière de Catalogne [3].»

Elle assista avec les délégations à la messe en la cathédrale puis à un simulacre de guerre sur les glacis des remparts, organisé par le général de la place. Le départ fut donné pour accompagner l’altesse royale jusqu’au Perthus.

« Le trajet de Perpignan au Perthus s’est fait le 28 février par un temps affreux. La neige et la grêle s’étaient jointes à l’ouragan qui régnait ce jour-là dans toutes les contrées. Sur les routes, plusieurs charrettes furent renversées, et les chevaux entraînés dans des tourbillons, furent jetés avec leur cavalier dans les fossés. Plusieurs soldats et un officier de l’escorte de cavalerie périrent ainsi désarçonnés et jetés à bas. Enfin tant bien que mal on arriva au Perthus à dix heures, mais au grand étonnement de tout le monde, le baron de Meer, qui devait se trouver à la frontière, avec des troupes pour recevoir la reine-mère, ne paraissait pas. On ne savait à quoi attribuer ce retard et Marie-Christine voulait de toute force retourner sur ses pas. Il fallut que le général de Castellane insistât vivement auprès d’elle pour la faire revenir sur cette détermination, et encore n’y aurait il pas réussi d’après plusieurs témoins, si les chevaux de l’escorte, qui venaient de faire une si longue course, avaient été en état de repartir [4]. ».

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[1]              Il s’agit donc du frère de Agustín Fernando Muñoz y Sánchez (1818-1873), militaire espagnol et second époux de la reine et régente Marie Christine.

[2]              La Revue des Modes, Paris, 1844, p.141.

[3]              Revue générale, biographique, historique, etc. Le Biographe universel et l’historien, ed. E. Pascallet, Paris, 1845, p.225 et suiv.

[4]              Le compilateur, revue des journaux français et étrangers, 1844, p.244.

Une roussillonnaise à la mode : Antoinette Durand (1810- 1878)

Parmi les femmes qui eurent un grand rôle dans l’évolution de la mode locale, nous ne pouvons passer sous silence Antoinette Durand, née de çagarriga. Issue de la noblesse la plus ancienne du Roussillon, la jeune Antoinette allait passer une dizaine d’années à se former et recevoir une bonne éducation à l’Institution de la Légion d’Honneur, à Saint Denis près de Paris. Jeune femme à Perpignan, elle est mariée à l’un des meilleurs partis de la ville. Antoinette possède une beauté certaine mise en relief par un caractère vif, un grand esprit littéraire et une bonté religieuse assumée. Dans les correspondances qui lui furent adressées tout au long de sa vie, certains célèbreront la « limpidité de vos yeux et la délicate fraîcheur de votre figure…vos bandeaux s’harmonisent à merveille avec votre ovale parfait….je vous souhaite de rester la plus belle toujours.»

Portrait d’Antoinette Durand

Le poète Duvernuy fit rimer quelques vers en son honneur : « Madame, vous avez la beauté souveraine, La grâce de l’enfant, la pose d’une reine, Vous avez la beauté que l’on rêve la nuit lors qu’enivrés de vivre, nous écoutons des chants amoureux que nous livre une brise d’été.»

On retrouve le souvenir de la belle Antoinette notamment au travers des mémoires du général de Castellane. Lors d’un bal à l’hôtel de l’Europe, il nous apprend que «le jeune lieutenant Leflo du 2ème léger a fait à un galop monstre, sauter outre mesure la belle madame Durand de Çagarriga, épouse du banquier Justin Durand. La dame y prenait goût, le mari, pas du tout. Il lui a fait quitter la place, ce qui a été assez drôle [1].»

Suite à d’autres petits incidents, le général de Castellane quitta l’hôtel de l’Europe pour un appartement en ville à la rue Mailly. « Au bal de 1835, à cause de la pluie battante on ne compta que trois cents convives, et seulement cinquante femmes. Dans ce pays-ci, on compte sur le beau temps et les dames de la société viennent au bal à pied. Plusieurs cependant sont venues dans leur équipage de campagne. Toujours madame Durand, vit son attelage accrocher un char à bancs à glaces qui contenait les femmes du médecin, du chirurgien en chef et du directeur de l’hôpital militaire. Il fut remarqué à ce bal les toilettes, fort recherchées, des dames, il y avait de belles personnes, et abondance d’officiers pour danser.»

La jeune Antoinette était une personne très belle et pleine de vie. Son aura provenait autant de son esprit, de sa bonté et de ses amitiés littéraires, que de sa façon de paraître au quotidien comme lors des réceptions.


[1]              Ruffiandis, (L.), Le général de Castellane à Perpignan, SASL des PO, 1956, p.137.

Garde-robes de simplicité dans le Perpignan de 1840.

Les inventaires d’armoires, dressés par les notaires permettent d’entrer dans l’intimité des  Catalanes.

Portrait de Roussillonnaise, vers 1840, col. part.

La veuve de Jean-Baptiste Alquier qui habitait rue de la Fusterie dans le centre de Perpignan, paroisse La Réal possédait à sa mort en 1841 « deux couvertures piquées, douze chemises en toile de ménage, dix tabliers de cuisine, deux manteaux de nuit de percale, trois jupes en calicot, quatre corsets de différentes étoffes, trois autres corsets sans manche, un capuchon de basin, une douzaine de paire de bas en fil ou en coton, une robe de cachemirienne fond carmélite, une autre robe en indienne fond brun, une douzaine de coiffes en percale garnies de mousseline, une douzaine de mouchoirs de poche en fil ou coton, une douzaine de fichus en percale ou laine, quatre jupons en coton [1] ».

En 1847, toujours à Perpignan, Françoise Bonet remisait dans son armoire « une douzaine de coiffes en calicot garnies de tulle ou de mousseline, et six bandeaux de la même étoffe très usés, trente huit chemises de calicot, six paires de bas de laine et coton, dix huit mouchoirs de poche en coton de couleur, quatre fichus ou châles de laine très usés, quatre robes en indienne et une robe de laine [2] ».

À cette même date, vivant à la rue de l’église La Réal, L’épouse de Joseph Puyarniscle possédait pour habillement « six chemises de toile de ménage, dix bonnets garnis de dentelle ou de tulle et deux fichus de mousseline garnis de dentelle, quatre bonnets de coton et un bonnet de soie noire ainsi que cinquante centimètres de dentelle du pays ».

Parmi ses bijoux on notera « un clavier, une croix, un petit crucifix, le tout en argent [3]».


[1]              AD66, 3E69/1

[2]              AD66, 3E69/4

[3]              AD66, 3E69/4

Les bals masqués sous Louis Philippe

La dernière semaine qui clôture les réjouissances de carnaval est attendue avec encore plus d’envie par le tout Perpignan. Traditionnel, le bal du Jeudi-gras qui sera celui de toutes les attentions, est donné au théâtre dès 1836 pour la jeunesse de bonne famille. D’autres bals y sont organisés tout au long de la période ainsi que dans différentes salles de la ville. La jeunesse loue des salles à l’attention des grisettes, ces jeunes filles des classes  modestes. Ces réjouissances sont l’occasion de se montrer dans ses plus beaux atours. C’est alors que se déroulent les bals les plus enjoués de toute l’année. « Des bals masqués reçoivent au théâtre les différentes coteries. De ces bals masqués, les uns, pour le public payant, sont, comme partout, généralement mal composés ; les autres, donnés par des réunions de jeunes gens et composés par l’élite de la population, sont remarquables autant par la décence qui y règne, que par la beauté, l’élégance, la richesse souvent, et toujours l’infinie variété des costumes de caractère. Les vêtements de tous temps et de tous les âges, les dominos frais, somptueux, élégants, remplissent la salle, circulent dans les corridors, se succèdent et se remplacent dans les loges et les galeries pour intriguer les personnes non travesties. La décoration très bien entendue de la salle, son brillant éclairage, les vases d’orangers qui garnissent quelques fois les avenues, tout produit un de ces effets magiques, qu’au dire des voyageurs, on ne rencontre au même point dans aucune autre ville [1]

La volonté d’avoir le plus beau costume donne lieu à des scènes proches de l’hystérie comme dans ce court récit paru en 1840 dans l’Album Roussillonnais. « Mais c’est désolant ! Les heures se succèdent avec une rapidité qui m’effraie, encore une qui tombe ! Et ma modiste…ma délicieuse parure ! Et ces phrases arrivaient lentes et entrecoupées sur les lèvres, obligées qu’elles étaient de faire place à des soupirs qui s’échappaient d’une poitrine haletante. Et une tristesse profonde, une désespérante impatience plissaient aujourd’hui ce front, la veille si riant d’espoir et d’amour. Que de fois Jenny montrait à la fenêtre son gentil visage puis l’en retirait pour le poser attentivement à la porte. Mais rien, absolument rien ne venait dissiper ses inquiétudes. Tout ce qui avait de domestiques au logis avait couru chez la modiste : il fallait vite l’explication de cet impardonnable retard. La petite cloche de l’horloge St Jean annonce l’approche de la huitième heure, le désespoir de Jenny est à son comble. Le bal va s’ouvrir et une fatale incurie la condamne à un mortel éloignement. Comprenez-vous mes jolies lectrices tout ce qu’il y a de terrible, d’horripilant, dans ces quelques mots de ne pas aller au bal, alors que depuis huit jours, on nourrit les projets les plus séduisants, les plus irisés, qu’on savoure d’avance les délices de cette périodique soirée du jeudi-gras ? La pauvre femme allait, je crois, succomber à sa douleur…Tout à coup un pas retenti dans l’escalier, on monte…Enfin ! Tout ce que put dire Jenny, d’un ton où perçaient à la fois le contentement et la crainte. La modiste se confond en excuses, sa faute est rapidement oubliée, la jolie robe en crêpe bleu ciel à double tunique fut son meilleur avocat. Le plaisir du présent efface bien vite les peines du passé. Aussi la jeune dame ne songea plus qu’aux apprêts. Les Parisiennes sont renommées pour leur amour de la parure, mais les dames de Perpignan ne leur cèdent en rien. On m’a raconté d’une dame aimable et jolie, que pour briller dans un bal de notre ville, elle avait jadis employé le talent d’un des plus habiles coiffeurs de la capitale et était revenue en poste de Paris, la tête ornée dans le dernier goût. On a vu dans la fête de jeudi des prodiges de coquetterie, un déploiement de luxe radieux. C’était une féerie, une réunion privilégiée, une foule de charmants visages et de délicieux costumes. La salle était décorée avec le plus grand éclat, des flots de lumières lui donnaient une magnifique splendeur, et produisaient sur cette cohue aux mille couleurs, un effet magique et ravissant. Hommes et femmes, dominos des deux sexes s’y pressaient ardents et joyeux, et attendaient le gai signal des contredanses. Le nombreux orchestre dirigé par monsieur Garouste, à peine se fait-il entendre, que tout est envahi par les quadrilles, tout flotte, c’est un désordre qui donne des vertiges. Toutes les loges, toutes les galeries sont remplies de spectateurs [2]. »


[1]              Henry, (D.M.J.), Le guide en Roussillon ou itinéraire du voyageur dans le Département des Pyrénées-Orientales, 1842, p.164-167.

[2]               Album Roussillonnais, 1840, p.11.

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