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Catégorie : Monarchie de Juillet (Page 2 of 4)

Et Ibrahim Pacha ouvre le bal…

Au début du mois de décembre 1846, on put noter l’arrivée à Port-Vendres d’un hôte singulier, Ibrahim-Pacha (1789-1848), fils du Pacha d’Égypte Memet-Ali (1769-1849). Depuis Marseille sur bateau à vapeur « le Nil », avec escorte et suite, il se rend dans la station catalane de Vernet-les-Bains afin d’y prendre les eaux.

Portrait d’Ibrahim Pacha

Dès son arrivée, sa délégation créé l’événement à cause de son accoutrement : « L’équipage a un aspect dégoûtant et rendu bizarre à cause des longs cabans blancs qui couvrent les matelots. On dirait des moines en capuchons. Une musique un peu aigre a joué la Marseillaise et la Parisienne. Ibrahim contemplait pendant ce temps là les curieux groupés sur le rivage. »

A Perpignan, les honneurs militaires lui sont rendus. Les Perpignanais regardent avec curiosité et ravissement ce pittoresque personnage : «Il est petit et replet, le cou court, le visage long, la barbe est blanche. Il se dandine beaucoup, il est vêtu magnifiquement, avec plusieurs décorations en diamants ; il a comme les personnes de sa suite, une veste rouge couverte de galons d’or, une longue ceinture de drap d’or»

A l’hôtel de l’Europe, il dort une nuit avant de rejoindre Vernet-les-Bains. «En quittant la salle à manger pour aller dans son salon, Ibrahim ayant remarqué beaucoup de dames de la société perpignanaise sur le palier de l’escalier ; il les fit entrer et leur fit offrir du café».

A Vernet-les-Bains, la présence d’un tel hôte va donner une grande notoriété à la station thermale. Ibrahim quitte Perpignan au matin du 8 janvier et arrive à Vernet-les-Bains à 6 heures du soir. Une compagnie du 8ème léger et du 15ème chasseur à cheval, destinés à faire le service auprès de sa personne, lui rendent les armes. Le conseil municipal et le curé du village lui font leur discours sous deux arcs de triomphe.

Nous savons que le séjour d’Ibrahim à Vernet lui fut agréable. En effet il aimait passer en revue les compagnies militaires et sa table comprenait toujours une vingtaine de personnes. Les soirées étaient bien organisées car les dames y étaient admises. Vers la fin janvier, le prince quitte Vernet-les-Bains pour Paris où il sera reçu au palais de l’Elysée-Bourbon. Le 8 février, de retour à Vernet, il termine sa convalescence avec de nombreuses fêtes organisées en son honneur. Le général de Castellane fit donner un bal costumé auquel Ibrahim Pacha ne put se rendre à cause de la fatigue.

Son fils, Soliman Pacha, Ibrahim Bey, son aide de camp, le colonel Bonfort, d’origine française, et les officiers d’ordonnance furent toutefois présents. Ce bal fut magnifique : « A neuf heures, les salons étaient combles ; il y avait cent dix femmes, beaucoup de jolies ; au moins six cent personnes, sauf quarante deux habits noirs, pères ou maris de femmes, auxquels il a bien fallu donner une exemption, tous les hommes étaient en uniforme ou travestis ; une musique dans la cour jouait à l’entrée de chaque femme ; les salons étaient bien éclairés ; il y avait des costumes charmants : hommes et femmes avaient rivalisé à cet égard. »

Le docteur Lallemand, grâce à la convalescence d’Ibrahim Pacha, a su promouvoir avec brio l’efficacité des eaux minérales catalanes. Venir d’Orient pour se soigner dans une station thermale française a été un coup de publicité magistral pour le village de Vernet. L’éminent praticien donna à cette station une renommée qui n’allait qu’augmenter sans cesse. Son œuvre a été considérée comme «humanitaire, nationale et roussillonnaise».

Touché par l’accueil qu’il reçut, Ibrahim Pacha fit don d’une momie égyptienne aujourd’hui présentée au Muséum d’Histoire Naturelle de Perpignan.

George Sand à Perpignan

Le grand escalier de l’Hôtel de l’Europe.

La liaison entre George Sand et le musicien Polonais Frédéric Chopin débuta certainement au début de l’été 1838. A cette date, leur intimité est naissante : «Elle me regardait profondément dans les yeux pendant que je jouais.»

Le scandale de leur liaison dans le microcosme parisien pousse le couple à s’éloigner de la capitale. Le comte Marliani, consul d’Espagne,  leur conseille l’île de Majorque. Le climat des Baléares a été choisi en raison de la santé chancelante de Chopin atteint de tuberculose. George Sand et ses enfants, Maurice et Solange, partent les premiers, ils font étape à Perpignan.

Au centre de la cité catalane, ils trouvent gite chez M. Carcassonne, à l’Hôtel de l’Europe (ancien hôtel particulier des comtes de Ros). Cette bâtisse est alors l’hôtellerie la plus réputée de la cité.

Cheminée possédant encore le miroir dans lequel George Sand se mira.

Chopin les rejoint un peu plus tard. Il arrive le 31 octobre 1838 et selon George Sand, « frais comme une rose, et rose comme un navet».

Il venait tout de même de passer quatre jours en diligence. De ce bref passage dans la cité catalane, on sait peu de choses sinon que le couple s’est promené dans les rues étroites de la vieille ville. Ils auront certainement pu apprécier dans les boutiques des orfèvres les nombreux bijoux sertis de pierres semi-précieuses en vogue sous la Restauration, en grenats ou brésils (citrines).

Le Musée de la vie Romantique à Paris conserve les bijoux de l’écrivain, dont certains effectivement ornés de grenats. Les quatre voyageurs partent ensuite pour Port-Vendres. George Sand écrit alors : «Je quitte la France dans deux jours. Je vous écris du bord de la mer la plus bleue, la plus pure, la plus unie ; on dirait d’une mer de Grèce, ou d’un lac de Suisse par le plus beau jour.[1]»

Un bateau les emmène de Port-Vendres à Barcelone où ils descendent dans la meilleure auberge, l’hôtel des Quatre Nations sur la Rambla. Huit jours se passent en visites dans la capitale catalane avant de rejoindre les îles Baléares.


[1]              Argent, (J-D.), Trois petits jours de grand amour, George Sand et Frédéric Chopin à Perpignan, Collioure et Port-vendres1839, 2005, 126 p.

Passage de la reine Marie-Christine d’Espagne.

La proximité de l’Espagne fait de Perpignan la résidence intermittente du gotha et  de la noblesse espagnole lors des guerres carlistes. On note surtout le passage de Marie Christine de Bourbon (1806-1878), princesse royale des Deux-Siciles, qui fut Reine consort (1829-1833) puis régente d’Espagne (1833-1840). Son passage en 1840 fut bref. La veuve de Ferdinand VII, arrive à Port-Vendres à bord du bateau vapeur Le Mercurio le 19 octobre.

Marie Christine, reine d’Espagne

Elle séjourne à Perpignan à l’Hôtel de la Préfecture. « À Perpignan elle est descendue à l’Hôtel de la Préfecture ou elle a couché après avoir admis à sa table le Préfet, le général, le frère de Munos [1], et plusieurs autres personnes. A la suite de ce diner, un courrier a été expédié à Louis-Philippe pour lui rendre compte des évènements de Valence, et réclamer pour la jeune Isabelle, l’appui du cabinet des Tuileries [2]. »

Elle ne voulut recevoir d’honneurs, mais participa à quelques diners. Le général de Castellane dit d’elle : « sa figure est jolie, elle est femme d’esprit. Comme elle a beaucoup d’embonpoint, elle parait petite ; son embonpoint est d’autant plus frappant qu’elle ne porte pas de corset. » Le lendemain, avant de quitter Perpignan pour se remettre en route pour Marseille en passant par Montpellier, elle fit entrer, pour les saluer, les nombreuses femmes de la société qui étaient simplement venues la voir passer.

Elle reviendra peu de temps en Roussillon le 26 février 1844 pour son retour en Espagne. Passant par Sans, Avalon, Chalon, Lyon, Montpellier, la reine est accompagnée d’une suite composée de trois de ses nièces, la comtesse de Belascoai sa dame d’honneur, le duc de la Roca-Togores, grand d’Espagne, chargé de fonction de grand maître de maison, le duc de San Carlos son grand écuyer, le médecin Rubio, le chapelain Fulleda ainsi que quatorze domestiques des deux sexes.

« En février 1844, la Députation provinciale et la municipalité de Barcelone envoyèrent plusieurs de leurs membres à Perpignan, au-devant de la Reine Christine qui rentrait en Espagne. Le général de Castellane les accueillit avec cette politesse qui font chérir son nom par les Espagnols, que les divers événements politiques ont successivement forcé à chercher un refuge en France, par la frontière de Catalogne [3].»

Elle assista avec les délégations à la messe en la cathédrale puis à un simulacre de guerre sur les glacis des remparts, organisé par le général de la place. Le départ fut donné pour accompagner l’altesse royale jusqu’au Perthus.

« Le trajet de Perpignan au Perthus s’est fait le 28 février par un temps affreux. La neige et la grêle s’étaient jointes à l’ouragan qui régnait ce jour-là dans toutes les contrées. Sur les routes, plusieurs charrettes furent renversées, et les chevaux entraînés dans des tourbillons, furent jetés avec leur cavalier dans les fossés. Plusieurs soldats et un officier de l’escorte de cavalerie périrent ainsi désarçonnés et jetés à bas. Enfin tant bien que mal on arriva au Perthus à dix heures, mais au grand étonnement de tout le monde, le baron de Meer, qui devait se trouver à la frontière, avec des troupes pour recevoir la reine-mère, ne paraissait pas. On ne savait à quoi attribuer ce retard et Marie-Christine voulait de toute force retourner sur ses pas. Il fallut que le général de Castellane insistât vivement auprès d’elle pour la faire revenir sur cette détermination, et encore n’y aurait il pas réussi d’après plusieurs témoins, si les chevaux de l’escorte, qui venaient de faire une si longue course, avaient été en état de repartir [4]. ».

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[1]              Il s’agit donc du frère de Agustín Fernando Muñoz y Sánchez (1818-1873), militaire espagnol et second époux de la reine et régente Marie Christine.

[2]              La Revue des Modes, Paris, 1844, p.141.

[3]              Revue générale, biographique, historique, etc. Le Biographe universel et l’historien, ed. E. Pascallet, Paris, 1845, p.225 et suiv.

[4]              Le compilateur, revue des journaux français et étrangers, 1844, p.244.

Une roussillonnaise à la mode : Antoinette Durand (1810- 1878)

Parmi les femmes qui eurent un grand rôle dans l’évolution de la mode locale, nous ne pouvons passer sous silence Antoinette Durand, née de çagarriga. Issue de la noblesse la plus ancienne du Roussillon, la jeune Antoinette allait passer une dizaine d’années à se former et recevoir une bonne éducation à l’Institution de la Légion d’Honneur, à Saint Denis près de Paris. Jeune femme à Perpignan, elle est mariée à l’un des meilleurs partis de la ville. Antoinette possède une beauté certaine mise en relief par un caractère vif, un grand esprit littéraire et une bonté religieuse assumée. Dans les correspondances qui lui furent adressées tout au long de sa vie, certains célèbreront la « limpidité de vos yeux et la délicate fraîcheur de votre figure…vos bandeaux s’harmonisent à merveille avec votre ovale parfait….je vous souhaite de rester la plus belle toujours.»

Portrait d’Antoinette Durand

Le poète Duvernuy fit rimer quelques vers en son honneur : « Madame, vous avez la beauté souveraine, La grâce de l’enfant, la pose d’une reine, Vous avez la beauté que l’on rêve la nuit lors qu’enivrés de vivre, nous écoutons des chants amoureux que nous livre une brise d’été.»

On retrouve le souvenir de la belle Antoinette notamment au travers des mémoires du général de Castellane. Lors d’un bal à l’hôtel de l’Europe, il nous apprend que «le jeune lieutenant Leflo du 2ème léger a fait à un galop monstre, sauter outre mesure la belle madame Durand de Çagarriga, épouse du banquier Justin Durand. La dame y prenait goût, le mari, pas du tout. Il lui a fait quitter la place, ce qui a été assez drôle [1].»

Suite à d’autres petits incidents, le général de Castellane quitta l’hôtel de l’Europe pour un appartement en ville à la rue Mailly. « Au bal de 1835, à cause de la pluie battante on ne compta que trois cents convives, et seulement cinquante femmes. Dans ce pays-ci, on compte sur le beau temps et les dames de la société viennent au bal à pied. Plusieurs cependant sont venues dans leur équipage de campagne. Toujours madame Durand, vit son attelage accrocher un char à bancs à glaces qui contenait les femmes du médecin, du chirurgien en chef et du directeur de l’hôpital militaire. Il fut remarqué à ce bal les toilettes, fort recherchées, des dames, il y avait de belles personnes, et abondance d’officiers pour danser.»

La jeune Antoinette était une personne très belle et pleine de vie. Son aura provenait autant de son esprit, de sa bonté et de ses amitiés littéraires, que de sa façon de paraître au quotidien comme lors des réceptions.


[1]              Ruffiandis, (L.), Le général de Castellane à Perpignan, SASL des PO, 1956, p.137.

Garde-robes de simplicité dans le Perpignan de 1840.

Les inventaires d’armoires, dressés par les notaires permettent d’entrer dans l’intimité des  Catalanes.

Portrait de Roussillonnaise, vers 1840, col. part.

La veuve de Jean-Baptiste Alquier qui habitait rue de la Fusterie dans le centre de Perpignan, paroisse La Réal possédait à sa mort en 1841 « deux couvertures piquées, douze chemises en toile de ménage, dix tabliers de cuisine, deux manteaux de nuit de percale, trois jupes en calicot, quatre corsets de différentes étoffes, trois autres corsets sans manche, un capuchon de basin, une douzaine de paire de bas en fil ou en coton, une robe de cachemirienne fond carmélite, une autre robe en indienne fond brun, une douzaine de coiffes en percale garnies de mousseline, une douzaine de mouchoirs de poche en fil ou coton, une douzaine de fichus en percale ou laine, quatre jupons en coton [1] ».

En 1847, toujours à Perpignan, Françoise Bonet remisait dans son armoire « une douzaine de coiffes en calicot garnies de tulle ou de mousseline, et six bandeaux de la même étoffe très usés, trente huit chemises de calicot, six paires de bas de laine et coton, dix huit mouchoirs de poche en coton de couleur, quatre fichus ou châles de laine très usés, quatre robes en indienne et une robe de laine [2] ».

À cette même date, vivant à la rue de l’église La Réal, L’épouse de Joseph Puyarniscle possédait pour habillement « six chemises de toile de ménage, dix bonnets garnis de dentelle ou de tulle et deux fichus de mousseline garnis de dentelle, quatre bonnets de coton et un bonnet de soie noire ainsi que cinquante centimètres de dentelle du pays ».

Parmi ses bijoux on notera « un clavier, une croix, un petit crucifix, le tout en argent [3]».


[1]              AD66, 3E69/1

[2]              AD66, 3E69/4

[3]              AD66, 3E69/4

Les bals masqués sous Louis Philippe

La dernière semaine qui clôture les réjouissances de carnaval est attendue avec encore plus d’envie par le tout Perpignan. Traditionnel, le bal du Jeudi-gras qui sera celui de toutes les attentions, est donné au théâtre dès 1836 pour la jeunesse de bonne famille. D’autres bals y sont organisés tout au long de la période ainsi que dans différentes salles de la ville. La jeunesse loue des salles à l’attention des grisettes, ces jeunes filles des classes  modestes. Ces réjouissances sont l’occasion de se montrer dans ses plus beaux atours. C’est alors que se déroulent les bals les plus enjoués de toute l’année. « Des bals masqués reçoivent au théâtre les différentes coteries. De ces bals masqués, les uns, pour le public payant, sont, comme partout, généralement mal composés ; les autres, donnés par des réunions de jeunes gens et composés par l’élite de la population, sont remarquables autant par la décence qui y règne, que par la beauté, l’élégance, la richesse souvent, et toujours l’infinie variété des costumes de caractère. Les vêtements de tous temps et de tous les âges, les dominos frais, somptueux, élégants, remplissent la salle, circulent dans les corridors, se succèdent et se remplacent dans les loges et les galeries pour intriguer les personnes non travesties. La décoration très bien entendue de la salle, son brillant éclairage, les vases d’orangers qui garnissent quelques fois les avenues, tout produit un de ces effets magiques, qu’au dire des voyageurs, on ne rencontre au même point dans aucune autre ville [1]

La volonté d’avoir le plus beau costume donne lieu à des scènes proches de l’hystérie comme dans ce court récit paru en 1840 dans l’Album Roussillonnais. « Mais c’est désolant ! Les heures se succèdent avec une rapidité qui m’effraie, encore une qui tombe ! Et ma modiste…ma délicieuse parure ! Et ces phrases arrivaient lentes et entrecoupées sur les lèvres, obligées qu’elles étaient de faire place à des soupirs qui s’échappaient d’une poitrine haletante. Et une tristesse profonde, une désespérante impatience plissaient aujourd’hui ce front, la veille si riant d’espoir et d’amour. Que de fois Jenny montrait à la fenêtre son gentil visage puis l’en retirait pour le poser attentivement à la porte. Mais rien, absolument rien ne venait dissiper ses inquiétudes. Tout ce qui avait de domestiques au logis avait couru chez la modiste : il fallait vite l’explication de cet impardonnable retard. La petite cloche de l’horloge St Jean annonce l’approche de la huitième heure, le désespoir de Jenny est à son comble. Le bal va s’ouvrir et une fatale incurie la condamne à un mortel éloignement. Comprenez-vous mes jolies lectrices tout ce qu’il y a de terrible, d’horripilant, dans ces quelques mots de ne pas aller au bal, alors que depuis huit jours, on nourrit les projets les plus séduisants, les plus irisés, qu’on savoure d’avance les délices de cette périodique soirée du jeudi-gras ? La pauvre femme allait, je crois, succomber à sa douleur…Tout à coup un pas retenti dans l’escalier, on monte…Enfin ! Tout ce que put dire Jenny, d’un ton où perçaient à la fois le contentement et la crainte. La modiste se confond en excuses, sa faute est rapidement oubliée, la jolie robe en crêpe bleu ciel à double tunique fut son meilleur avocat. Le plaisir du présent efface bien vite les peines du passé. Aussi la jeune dame ne songea plus qu’aux apprêts. Les Parisiennes sont renommées pour leur amour de la parure, mais les dames de Perpignan ne leur cèdent en rien. On m’a raconté d’une dame aimable et jolie, que pour briller dans un bal de notre ville, elle avait jadis employé le talent d’un des plus habiles coiffeurs de la capitale et était revenue en poste de Paris, la tête ornée dans le dernier goût. On a vu dans la fête de jeudi des prodiges de coquetterie, un déploiement de luxe radieux. C’était une féerie, une réunion privilégiée, une foule de charmants visages et de délicieux costumes. La salle était décorée avec le plus grand éclat, des flots de lumières lui donnaient une magnifique splendeur, et produisaient sur cette cohue aux mille couleurs, un effet magique et ravissant. Hommes et femmes, dominos des deux sexes s’y pressaient ardents et joyeux, et attendaient le gai signal des contredanses. Le nombreux orchestre dirigé par monsieur Garouste, à peine se fait-il entendre, que tout est envahi par les quadrilles, tout flotte, c’est un désordre qui donne des vertiges. Toutes les loges, toutes les galeries sont remplies de spectateurs [2]. »


[1]              Henry, (D.M.J.), Le guide en Roussillon ou itinéraire du voyageur dans le Département des Pyrénées-Orientales, 1842, p.164-167.

[2]               Album Roussillonnais, 1840, p.11.

Carnaval et ses costumes

A Perpignan, à la période du carnaval des habitudes sociales établies depuis longtemps à l’intérieur de la cité ainsi que dans ses faubourgs font partie d’une période de grand froid où il convient à toute la population de la ville de se défouler avant l’entrée en carême. Le mardi gras, donne lieu à une bataille de dragées dans les rues de la ville. Le général de Castellane en fait le récit.

«En me promenant à cheval, j’ai eu beaucoup de peine à convaincre le brigadier des lanciers qui me suivait, qu’on n’en voulait pas à ma personne. Il était tout prêt disposé à charger les masques. Les dragées sont faites exprès pour ces divertissements, ce sont des espèces de pierres que seuls les polissons des rues ramassent et mangent. En passant devant les fenêtres de Mr Jaume, beaucoup de jolies jeunes personnes étaient aux fenêtres et m’en ont accablé [1]. »

Le jour qui suit, « quand le mercredi des cendres s’apprête à courber les fronts pénitents sous les austérités du carême, la population perpignanaise se répand sur la route d’Espagne. C’est un vieil usage traditionnel comme à Paris la promenade de Longchamp à Pâques. Jadis on poussait jusqu’à la Villa Gothorum, bourg romain qui s’est éteint vers le quatorzième siècle sous le nom de Mailloles, maintenant, ainsi que les parisiens s’arrêtent au rond-point des Champs-Élysées, les Perpignanais s’arrêtent à mi-chemin sur une pelouse plantée d’arbres au bord d’une fontaine, connue sous le nom d’abord de bagatelle, et plus tard sous celui de Fontaine d’Amour [2]».

La pérégrination vers la Fontaine d’Amour agit comme un rituel institué depuis des siècles.

« En sortant de Perpignan par la porte Saint-Martin, on prend la route d’Espagne, et après une très petite course, on arrive à la Fontaine d’Amour, source d’eau fraîche et pure qui coule au bas d’un mur qui soutient la route, sur le côté d’une petite esplanade où tous les ans vient expirer le carnaval dans une promenade de toute la population de la ville. Il est peu de pays ou le caractère des habitants offre plus de gaîté et ou l’on aime autant le plaisir. De toutes les occasions de s’y livrer, le carnaval est celle que l’on exploite avec le plus d’ardeur. Perpignan est peut-être aujourd’hui la ville de France où le goût des mascarades se conserve dans toute son énergie : c’est la Venise de la France. Quiconque a vu un carnaval à Perpignan a pu se convaincre que cette période de joyeuses extravagances est loin d’y être à son déclin. Il a pu s’assurer qu’elle a, au contraire, dans ce pays beaucoup de vie et beaucoup d’avenir. Se masquer ici est un besoin, plus même qu’un besoin, pour le peuple c’est du délire. Quand le nouvel an paraît, une sorte de frénésie s’empare de la population. Des milliers de masques sont en étalage, de nombreux magasins de costumes pour travestissement s’ouvrent dans tous les quartiers [3].

Guiraud, scène de carnaval, Col. Ville de Perpignan.

Chacun endosse son vêtement de saturnales chacun se couvre du masque, depuis le simple carton grossièrement barbouillé jusqu’au satin richement travaillé, jusqu’au loup de velours garni de blondes. Les mascarades courent dans les rues sautant et gambadant. Evohé ! Evohé ! Jamais les bacchants et les bacchantes n’ont été plus transportés de folle joie, non pas comme les furibondes peintures des modernes, où tout est à l’exagération, mais comme les gracieux bas-reliefs de l’Antiquité. Jamais les places publiques d’Athènes et de Rome n’ont retenti le jour et la nuit de plus joyeux transports. Depuis le premier jour de l’an jusqu’au mercredi des cendres, il ne se passe guère de jours où l’on ne rencontre de masques dans les rues, en nombre plus ou moins grand, les dimanches principalement.

Comme partout les festins se multiplient et le gibier quadruple de valeur. Quand vient ensuite la dernière semaine, le plaisir ne connaît plus de bornes : le carnaval est près de sa fin, chacun semble s’y cramponner pour s’efforcer de le retenir, l’ardeur redouble pour les plaisirs dont le terme expire : cette semaine là, toutes les têtes sont à l’envers. Des centaines de tambours parcourent les rues, vous assourdissent, à qui mieux-mieux. La tambourinade est l’un des amusements passionnés du peuple. Des mascarades à caractère vont exécuter leurs différentes scènes sur les places publiques, et à cet égard il y a des progrès depuis quelques années. Autrefois on ne voyait guère dans les rues que de mascarades insignifiantes. Maintenant de jolies parties s’organisent parmi les jeunes gens et il en résulte de belles mascarades, très variées, souvent bouffonnes et originales, quelques fois fort spirituelles.

Les bals qui ont marqué la durée du carnaval se multiplient cette semaine et mettent en émoi tous les marchands de nouveauté, toutes les modistes, toutes les femmes de chambre. Les derniers jours, les rues des quartiers reculés sont désertes, toute la population se concentre dans les rues les plus passantes ou des bandes de masques se montrent tour à tour précédées de tambours, accompagnées de musiciens, escortées à grand tumulte par tous les polissons de la ville. Le goût des mascarades a existé de tous temps en Roussillon et nous trouvons dans la correspondance de Louvois avec l’Intendant de la Province, qu’au XVIIe siècle, ce genre de divertissement, au lieu de commencer avec le carnaval comme aujourd’hui, commençait immédiatement après les fêtes de Noël, au jour des Innocents. La multitude de villageois et campagnards qui accouraient, à ces époques, dans Perpignan, pour être témoins de ces joyeuses folies, avait même donné de l’inquiétude à l’autorité pour la sureté de la place. Le premier jour de carême est proprement dit, ici, le dernier jour de carnaval, qui nous l’avons dit, va rendre son dernier soupir dans la promenade à la fontaine d’Amour.

Ce jour-là, tous les habitants de Perpignan, à peu d’exceptions près, se portent dans l’après-midi, sur la partie de route qui s’étend entre la ville et la fontaine, et la couvre en entier. Les masques circulent encore parmi les promeneurs, si on peut conserver le nom de promenade à un aussi grand encombrement de personnes, disant leur dernier mot à ceux qu’ils veulent intriguer au milieu du flot des gens de tout âge, de tout sexe, de toute condition.

Des cavalcades de jeunes gens élégamment travestis, des équipages, des voitures découvertes, s’y frayent un passage. Les musiques des régiments de la garnison, dont la galanterie militaire régale la population, sont réparties sur la petite esplanade et sur la longueur de l’avenue d’une métairie en face de la fontaine, qu’encombrent des masses compactes de promeneurs, des marchands de fruits, de gâteaux et de friandises, des cabaretiers ambulants font leur étalage aux abords de l’avenue. Des groupes du peuple, répandus au milieu des champs et des prairies environnantes, se livrent à la joie, en consommant les provisions dont ils ont eu soin de se provisionner, pendant que, sur la pelouse, au delà du ruisseau qui traverse la petite esplanade de la fontaine, les ménétriers locaux ou jutglars, font danser au son des hautbois, du petit tambourin et de la cornemuse, la danse catalane [4]


[1]              Ruffiandis, (L.), Le général de Castellane à Perpignan, SASL des PO, 1956, p. 138. La famille Jaume habitaient un hôtel particulier de la rue de la Vieille Intendance.

[2]          Les Français peints par eux-mêmes, encyclopédie morale du XIXème siècle, volume 3, L. Curmer, éditeur, page 94.

[3]       Album Roussillonnais, 1840, on pouvait acheter ses déguisements notamment auprès de Mr Camille, artiste du Théâtre de Perpignan.

[4]          Henry, (D.M.J.), Le guide en Roussillon ou itinéraire du voyageur dans le Département des Pyrénées-Orientales, 1842, p.164-167.

Cérémonies pour le passage des élites

Dans la bonne société roussillonnaise, il est d’usage de savoir danser. Cette discipline entre dans l’éducation des jeunes gens. A Perpignan les cours de danse du professeur Emanuel Sarda, natif de la ville, se déroulent dans les années 1830 au 6 de la rue saint Dominique. Titulaire d’un brevet de danse, successeur d’un certain Derouy, « il donne des leçons aux jeunes gens des deux sexes, jusqu’à dix heures du soir ». Il propose aussi des leçons particulières auprès des familles les plus fortunées[1]. Il est à supposer que l’on y apprend les danses de salon autant que les danses catalanes qui sont pratiquées couramment lors des fêtes.

De grandes occasions obligent à revêtir des tenues sortant de l’ordinaire, comme lors de la réception du duc et de la duchesse d’Orléans à Perpignan le 10 septembre 1839.

Ingres, portrait du Duc d’Orléans

« A la Préfecture, de jeunes personnes vêtues de bleu et de blanc ont offert des fleurs à la princesse royale. On possède une gravure des costumes très parisiens de ces jeunes gens».

Après un dîner de 80 couverts, les altesses se sont rendues à la promenade des Platanes. Elles y ont écouté la musique du régiment jouant des airs à la mode, puis au rond-point, ont admiré les traditionnelles danses catalanes.

Le soir, «assistant au bal, recevant une députation de trois cent quatre vingt notables de la ville, la duchesse a donné des parures, à madame Pascal, la femme du préfet, au général de Saint Joseph, à monsieur Pons, à Mademoiselle Jaume».

C’est une véritable parade de mode qui se déroule alors. «Madame la Duchesse d’Orléans a acheté une collection de boucles d’oreilles de diverses formes que portent nos Catalanes ; on a fait aussi, par ses ordres, plusieurs bonnets de paysannes et de grisettes qu’elle emportera. Mr de Basterot, architecte du département, a reçu de son altesse royale deux boutons en diamants, comme un souvenir et un témoignage de satisfaction pour quatre jolis dessins dont il lui avait fait hommag[2] ».


[1]              JPO, 1833.

[2]          Relation de la venue du Duc et de la Duchesse d’Orléans à Perpignan en 1839, Le journal des P.O., 1839, Supplément N°37.p.155.

L’époque du général de Castellane.

Portrait de Perpétue de Llucia, Col. part. Millas.

Sous la Monarchie de juillet, Boniface de Castellane(1788-1862) qui a participé comme colonel de hussards à l’expédition d’Espagne(1823) est nommé maréchal de camp, à Perpignan en 1833. En 1837, nommé lieutenant-général, il prend à nouveau le commandement de la division de Perpignan de 1838 à 1847.

«Je comptais rester à l’Hôtel de l’Europe, ne pensant pas séjourner plus d’un mois à Perpignan, le mois changea en quatorze ans. Il en est ainsi souvent des prévisions humaines[1].»

La période est alors très tendue, ce qui n’empêche pas le général d’organiser son premier bal, «où avec les deux cents officiers de la garnison, il y avait quatre cent personnes. On a compté quarante six femmes, et on dit que c’est énorme pour un premier bal. On prétend que j’ai fait un tour de force à Perpignan, parce qu’il y avait des gens de toute opinion[2].»

L’émulation pour ces bals privés impulse  à Perpignan une période faste. Le préfet lui-même organise chaque année son propre bal. Celui de 1834 compta quatre cent personnes. Celui de 1835, organisé par Castellane dans son nouveau logis de la rue Mailly, n’en compta que trois cent à cause de la pluie battante, et seulement cinquante femmes.

Lors d’un autre bal, Castellane remarque : «On s’étonne que, dans une ville de dix huit mille âmes, on puisse réunir autant de jolies femmes mises avec recherche. Les Roussillonnaises ont généralement de la grâce. Elles sont surtout remarquables par leurs yeux noirs, beaux et vifs».

Cette élite féminine issue de la bourgeoisie commerçante, de la noblesse ou du commandement militaire, fait et défait la mode à Perpignan. En 1842, un grand bal costumé fut l’occasion de réunir dans l’un des hôtels particuliers de la ville, plus de cinq cent personnes. Les femmes ont rivalisé entre elles à qui aurait le plus beau costume. Castellane indique dans ses mémoires :«Chacun est d’accord pour dire que c’est le plus beau bal de particuliers qu’on eût vu ici ; le fait est qu’à Paris, je n’ai jamais vu de bal costumé plus beau».


[1]              Rouffiandis, (L.), Le général de Castellane à Perpignan, SASL des PO, 1956, p.127-157.

[2]              Idem, p.136.

Épitre dédicatoire aux grisettes de Perpignan

Un écrivain romantique est l’auteur anonyme d’une très belle prose dédiée aux jeunes femmes de Perpignan. Logé à l’Hôtel de l’Europe, il scande son attrait pour ces grisettes croisées dans les rues de la ville.

« Gentilles grisettes, l’ornement de ma ville natale, mon livre et moi, nous tombons à vos pieds. Prenez ce livre, feuilletez le de vos doigts potelés, il a été fait pour amuser vos loisirs. L’héroïne du roman est une de vos compagnes, l’auteur un de vos compatriotes, les lieux de la scène sont ceux que chaque jour vous parcourez, voilà déjà je pense de quoi me concilier votre faveur en piquant votre curiosité. Après cela, pour émouvoir vos jeunes cœurs de filles, j’ai compté sur la peinture naïve d’une passion profondément sentie, tout comme pour exciter votre gaîté, j’ai espéré que quelque saillie heureuse viendrait par ici par là se glisser au bout de ma plume. Peut être ai-je trop présumé de mes forces, mais après tout, je ne prétends pas à ces résultats gigantesques que nos romanciers les plus célèbres n’ont pas toujours obtenu; ainsi vous ne fondrez point en larme en me lisant et vous ne pâmerez pas non plus de rire: à moi écrivain modeste un demi-succès; à moi une palpitation légère qui soulève tant soit peu votre sein, un sourire imperceptible qui vienne errer sur vos lèvres, une larme si vous voulez à l’endroit le plus pathétique, une seule larme pas plus grosse qu’une tête d’épingle, c’en est assez pour moi, je suis récompensé.

Gentilles grisettes, vous seriez des étoiles dans le ciel, ici vous êtes des perles fines, perles semées par le bon Dieu sur le pavé de nos rues et dans nos places publiques; perles dans nos promenades, perles à vos croisées et sur le seuil de vos maisons. L’habitant accoutumé à vous voir jamais ne s’en rassasie et l’étranger qui arrive pour la première fois s’arrête sur votre aspect, frappé tout d’abord de votre costume pittoresque et nouveau pour lui. Ce petit bonnet évasé sur le front, arrondi avec art vers les tempes, ces yeux noirs sous le tulle, ces pieds mignons, cette démarche vive et légère, tout cet ensemble de grâce et de coquetterie le ravit, le transporte, il reste en contemplation devant vous, l’y voilà comme une statue, il y serait encore, mais la cloche du dîner s’est faite entendre à l’hôtel de l’Europe, il se retire et silencieux rempli de votre image, rêvant au bonheur de vous revoir pour vous dire qu’il vous aime, et peut être nourrissant au fond de son cœur l’espoir de votre cœur en retour. Gentilles grisettes, daignez accueillir mon hommage, mon livre et moi, nous sommes à vos pieds[1] ».


[1]          Anonyme, vers 1840, ADPO, fonds Ducup de Saint Paul. Il pourrait s’agir d’un fils de la famille Carcassonne, propriétaires sous la Restauration du fameux hôtel.

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