Au XVIIIe siècle, la société est globalement divisée en trois catégories dont le style vestimentaire est très différencié.

La paysannerie conserve le costume catalan le plus traditionnel. Il est rudimentaire et adapté au labeur.

La noblesse catalane adopte la mode française afin de montrer son désir de ressembler à la haute noblesse parisienne. Elle y est incitée par les fonctionnaires venus de la capitale ou d’autres régions françaises.

Entre les deux, la bourgeoisie juxtapose des tenues à la fois catalanes et françaises en créant une mode originale d’une grande singularité [1]. Malheureusement nous n’avons que peu d’exemples écrits et de portraits qui puissent nous indiquer les grandes lignes de cette mode ultra locale.

Nous avons un indice, le costume des « donzelles » ou jeunes filles nécessiteuses que des confréries des quatre paroisses de la ville dotaient et habillaient lors de loteries. Celui-ci est qualifié de costume « à l’Aragonaise », ce qui prouve l’existence d’un costume traditionnel riche, avec un caractère se voulant rappel de l’antique période où la Province était sous tutelle des rois d’Aragon. Les édiles locales gardent en mémoire que les privilèges et droits divers de la cité venaient essentiellement de cette époque et qu’il fallait à tout prix en conserver usage et mémoire.

Tenue d’artisane ou menestrale de Perpignan, seconde moitié du XVIIIe s.

À Perpignan, l’adoption d’un style vestimentaire pour chacune des strates sociales correspond à un fonctionnement quasi semblable à celui d’autres villes du Midi, comme Arles en Provence [2].

Le costume roussillonnais témoigne de l’envie de différentiation, telle une opposition politique par les codes vestimentaires. La bourgeoisie catalane se veut alors fidèle à ses racines, à sa langue et aux franchises locales des cités et des bourgs [3]. Quelques inventaires démontrent la richesse et la diversité des tenues, des matériaux et des accessoires de mode dans des familles où, par le jeu de la bourgeoisie honorée, les riches marchands se font octroyer via le Consulat ou bien directement par le roi un semblant d’anoblissement.

  • Modes des bourgeoises honorées de Perpignan

L’épouse du noble Antoine Tabariès de Grandsaignes vivait à Perpignan en plein milieu du XVIIIe siècle. Femme aux revenus aisés, elle possédait une garde robe importante. Le 26 janvier 1763 suite au décès de son mari, sa maison située place de la Loge est inventoriée. Nous connaissons ainsi les goûts de cette perpignanaise en matière de mode, où la soie rivalise avec les indiennes. On perçoit la présence de piqûres de Marseille ainsi que le succès du marly, ancêtre du tulle, inventé en 1675.

« Un grand cabinet en bois de noyer avec sa serrure et clef dans lequel sont enfermés les effets de la dite dame Mars de Grandsaignes, et l’ayant fait ouvrir, nous avons trouvé ce qui suit : une robe de chambre en satin de Hollande fond vert avec doublure, garniture et ajustement, une robe de satin vert avec garniture, doublure et ajustement, une robe en gros de Tours broché et garniture, une robe de moire grise et sa jupe, une robe de perse et sa garniture, une robe en indienne fond jaune, une robe en batavia mordoré jaune, une robe en gros de Tours noir, une robe en peau de soie noir, une robe et jupe de satin rayé, une robe et tablier de persienne fond vert et fleurs blanches, une robe de taffetas blanc, une robe et jupe en taffetas chiné fonds gris, une robe et jupe en indienne fond blanc à guirlandes et bouquets, un mantelet de satin blanc, un couvrepied satin blanc et doublé de taffetas, une coiffure bavolet barbes fonds et manches à trois rangs et collerette de Maline rebrodée, une coiffe bavolet et fonds en dentelle de Valenciennes, une paire de manches à trois rangs d’entoilage avec une petite Valenciennes,  une autre paire de manches à trois rangs d’entoilage avec une Maline rebrodée, une paire de manches à trois rangs de mousseline garnie d’une petite dentelle, une paire de manches à trois rangs de mousseline brodée et garnie d’une dentelle, une respectueuse (coiffe) de marly, quatre respectueuses garnies de marly, six bonnets ronds garnis d’une petite dentelle, huit bonnets ronds garnis de marly, trois coiffes de marly et trois collerettes de marly, un mantelet de marly noir garni d’une blonde, un manchon d’un petit gris, un mantelet de gaze garni d’une blonde, un mantelet noir vieux, trois éventails usés, trente chemises de différentes toiles, vingt cinq mouchoirs de couleur, neuf mouchoirs blancs, deux porte peignes, dix bonnets piqués, sept fichus de tête, six paires de bas de fil usés, huit coiffes de mousseline et quatre petites coiffes, trois fichus de col garnis de mousseline, deux jupons de basin garnis en falbalas, deux jupons de basin sans garniture, cinq jupons de basin ou Rouen, deux jupons blancs piqués, dix corsets, deux mantelets de lit, deux mantelets simples, deux manteaux de lit sans garniture, deux jupons de basin neuf sans garniture, trois paires de manches à trois rangs de mousseline brodée, quatorze paires de manches à deux rangs de mousseline brodée ou rayée, trois petits bonnets de blonde avec leur barbe et deux cordons de blonde, une paire de boucles d’oreilles à entourage avec des petits diamants dans les entredeux, quatre paires de boucles d’oreilles de pierres fausses de diverses couleurs, deux paires de boucles de souliers, une paire de boucles à bracelets et une paire de crochets pour femme le tout en pierres fausses, une petite bague en alliance d’un diamant et d’un rubis en cœur surmonté d’une petite couronne avec des petits diamants à chaque côté du corps [4].»

Costume d’Artisane, vers 1790, reconstitution par le TCR, sortie été 2020.
Lors de la venue de l’Hermione à Port-Vendres, les différentes classes sociales des femmes du Roussillon.

[1]              Le Guennec, A., « Modes régionales en France au XVIIIe siècle : illusion ou réalité ? », Modes en miroir, la France et la Hollande au temps des Lumières », catalogue d’exposition, Paris-Musées, 2005, p.206-209. L’exemple breton est transposable à toutes les régions périphériques du royaume.

[2]              Façon arlésienne, étoffes et costumes au XVIIIe s., catalogue d’exposition, p.17, 1998, ainsi que pour la ville de Marseille, Les Belles de Mai, deux siècles de mode à Marseille, catalogue d’exposition, p.43, 2002.

[3]              Pour juger de l’ouverture aux idées des Lumières et par là même à la mode française, voir : Larguier, G. (sous la dir.), Les Lumières en Roussillon au XVIIIe s, hommes, idées, lieux, ed.Trabucaire, 2008.

[4]              ADPO, 1 E 847