Toile de coton peinte (XVIIIe s.)

À la fin du XVIIe siècle, le coton apparaît en grande quantité sur le marché européen. Cette nouvelle matière permet de réaliser des toiles de coton peintes appelées aussi indiennes. À sa mort en 1683, le notaire Jean Ranchoup possède une parure de toilette et des mouchoirs en toiles peintes [1].

Leur succès, dû à la facilité d’entretien et à la persistance des couleurs, suscite un grand nombre de mesures protectionnistes dès 1686 [2]. Commence alors une période de 73 ans de prohibition, ce qui n’empêche nullement les Perpignanaises de jouir de toiles achetées en contrebande.

Proche de la frontière, le Roussillon est prédisposé à ce commerce illicite. Des exemples dans les archives relatent cela, comme cet âne brun sans propriétaire intercepté à la porte Saint-Martin, le 12 juillet 1725.

Il était « chargé d’un ballot contenant six pièces d’indiennes entières tirant en tout 99 cannes et 5 pams ». Une autre fois, ce sont deux frères qui sont arrêtés à la porte de Canet. L’un d’eux « portait sous sa chemise une pièce d’indienne fond bleu à fleurs rouges et vertes tirant quatre cannes et un pan ainsi que d’autres coupons ». Natifs de Sant-Miquel en Catalogne, les frères Casadavall étaient marchands à Saint Laurent de Cerdans [3].

Paul Sandby RA, 1731–1809, British, London Cries: A Man with a Bundle, Old Clothes, undated

Au prolongement du Vallespir, la ville d’Olot est alors l’un des principaux centres d’indiennerie de Catalogne [4].

Pour qui se fait prendre, la répression est sévère allant du brûlement public des étoffes saisies, tels les deux tabliers arrachés à des servantes et exposés en place de la Loge en 1723 [5] à de lourdes amendes et des peines de prison au Castillet pour des marchands peu scrupuleux.

Durant cette période de prohibition, la Compagnie des Indes était seule habilitée à importer et vendre des mousselines et toiles de coton. En 1748, le contrôle de l’administration est rigoureux. Les officiers comptabilisent les toiles de coton invendues de chaque boutique patentée de Perpignan.

Bazazin aîné, Sèbe et Lastrapes, Pancou-Lavigne, Tabariès et la veuve Mouran ont en effet encore en stock des coupons d’indiennes à l’ancienne marque qui au mois de mars 1749, sont munis des nouveaux plombs apposés gratuitement [6]. Cela permet à l’administration de savoir combien il en reste.

L’année 1759 [7] marque la fin de cette prohibition. C’est alors l’avènement des productions provençales et montpelliéraines [8]. Des cotonnades chatoyantes envahissent la garde robe des Roussillonnaises, marquant dès lors le glas du trafic illicite des toiles peintes de la Catalogne voisine.

A quelques dizaines de kilomètres de Perpignan, dans la région de Prades, l’établissement d’une manufacture d’indiennes est même envisagé dans les années 1775 dans le vaste bâtiment désaffecté de l’abbaye Saint Michel de Cuixa, motivé par le fait que «n’en ayant aucune (fabrique) de cette espèce dans la Province[9].» Ce projet sera toutefois abandonné.

L’habillement féminin recèle alors un fort caractère méditerranéen avec un goût prononcé pour les cotonnades chatoyantes [10]. Leur commerce transite par la côte catalane alors livrée à une intense circulation maritime allant de Marseille vers les villes de Valencia, Alicante et Cadix.


[1]              ADPO, 3 E 1/6006.

[2]              Arrêt prolongé par Louvois, in « Façon Arlésienne, étoffes et costumes au XVIIIème siècle », catalogue d’exposition, 1998, p.112.

[3]              ADPO, 1 C 1040.

[4]              Historia politica, societat i cultura dels paisos catalans, 1995, T.5, p.275/279

[5]          Expertisés, les tabliers provenaient d’une fabrique genevoise.

[6]              ADPO, 1 C 1040, les plombs sont conservés dans la liasse.

[7]              Arrêt du 5 sept. 1759, voir « Le coton et la mode, 1000 ans d’aventures », Musée Galliéra, Paris, 10 nov.2000/11 mars 2001.

[8]              Chante, (A), « Les manufactures d’indiennes à Montpellier au XVIIIème siècle », colloque de Montpellier, 1997, p.143.

[9]              Colomer, (C.), Le clergé régulier en Roussillon sous l’Ancien Régime, B.S.A.S.L., CIVe vol., p. 278.

[10]            Le travail de recherche commence à mettre en lumière l’importance du trafic maritime méditerranéen ainsi que la contrainte du climat sur le choix des coupes et des matières : Aziza Gril-Mariotte, «La consommation des indiennes à Marseille (fin XVIIIe-début XIXe siècle)», in Rives nord-méditerranéennes, Les textiles en Méditerranée (XVe-XIXe siècle),