P. Maurin, portrait de famille vers 1781 (gravé par Urabieta)

Jean-Baptiste Carrère est l’auteur du volume des « Voyages pittoresques » consacré à la Province du Roussillon, paru en 1787. Ses descriptions présentent un grand intérêt, par leur précision. Elles sont assorties de gravures [1]qui s’inscrivent dans le courant encyclopédique, Carrère étant lui-même médecin. Savants et érudits s’attachent alors à décrire chaque « pays » ou province avec les éléments représentatifs comme les costumes. Afin d’insister sur les particularités de ceux portés en Roussillon, Carrère indique : « nous nous bornerons ici au costume national du peuple, celui des personnes élevées ne diffère point du reste de la France».  En effet, contrairement à la période précédente, noblesse et haute bourgeoisie sont au fait de la mode parisienne par des voyages à la capitale, la circulation des almanachs des modes ou encore l’achat de poupées appelées pandores [2]. Ces poupées, véritables copies miniatures de tenues à la mode, sont ensuite recopiées en taille réelle.

La fin du XVIIIe s. indique bien un clivage culturel et social entre la classe dirigeante à la dernière mode et le reste de la population fidèle au costume traditionnel.

Ménestrale de Perpignan, dessin aquarellé de Beugnet pour le Carrere, 1787, Cabinet des Estampes, Paris.

Dans cette seconde catégorie, Carrère y distingue deux classes, celle de la bourgeoisie moyenne des artisans et des propriétaires fonciers, en catalan menestrals et pagesos [3] et celle de la paysannerie. Il cite en cela « l’habit à la ménestrale et l’habit à la Catalane. La forme en est à peu près la même, il ne diffère que par le degré d’élégance. Le premier est celui des femmes des artisans, et assez communément des bonnes bourgeoises et des bonnes fermières des campagnes ; le dernier est celui des paysannes. Elles ont toutes un capuchon noir, de serge ou d’étoffe de soie, les premières le portent toujours sur la tête ; les dernières le plient le plus souvent et le tiennent sur le bras. »

Catalane, aquarelle de Beugnet pour le Carrère, 1787, cabinet des Estampes, Paris.

Malheureusement, incapable ou peu enclin à détailler un habillement féminin, Carrère nous laisse à nos propres interrogations, en ajoutant : « La description des formes de leurs habits est assez difficile et longue ; on le verra plus aisément dans les figures que nous avons fait graver ». L’auteur explore ensuite un autre domaine géographique très représentatif du costume vernaculaire : «Le costume des femmes du Capcir et de la Cerdagne est différent de celui du reste de la province. Elles couvrent leur tête d’un filet, réseau de fil ou de soie de couleur, ou bien d’une simple mousseline, qui n’en recouvre que la moitié, et laisse à découvert les cheveux du devant.»

Catalane en résille, vers 1820.

Nous constatons l’usage dans le sud du Roussillon et en Cerdagne de la résille couvrant les cheveux et non de la coiffe blanche en tissu. La manière de porter le fichu ou mocador de cap en catalan, très en arrière sur la tête y est particulière, tout comme l’usage d’un capuchon à pointe recourbée vers le haut. « Elles portent par-dessus un capuchon, rond devant, pointu derrière et tombant jusqu’à la ceinture. Il est de laine blanche pour le peuple, d’une laine plus fine ou de mousseline pour les plus riches. Elles ont au col une fraise de mousseline ou de dentelle. Leur habit est une sorte de corset, il est contenu dans une espèce d’écartement par une busquière triangulaire, garnie de baleines de fer, couverte de belles étoffes, mais très bigarrées, et maintenues par des lacets, rubans et cordons de différentes couleurs [4].» Nous trouvons donc le corps rigide ou busc recouvert d’étoffes de soie. Ce corset très contraignant avait alors été remplacé par des corsets souples dans les espaces de grande circulation comme le Roussillon. De par sa position montagneuse, la Cerdagne conserve son usage plus longtemps qu’ailleurs à cause de son éloignement des voies de communication.    » Leurs jupons sont exactement ronds, à petits plis renversés à la ceinture et bordés en bas par des rubans de fil ou de soie de différentes couleurs, ou des galons ou dentelles en or ou en argent. Les femmes du peuple portent des bas rouges ou verts, et des espardègnes ou souliers de corde, ou bien des souliers dont le cuir est tailladé en plusieurs sens de manière à former un dessin. » Le plateau cerdan était réputé pour ses productions de bas réalisés à domicile pendant les longs hivers, ce qui explique la possibilité donnée aux femmes de toutes conditions de pouvoir en porter. De même le travail du cuir, réputé en Catalogne et en Roussillon, s’exprime dans la réalisation de chaussures.

Catalane de profil, portant la résille, extrême fin du XVIIIe s.

«L’habit des paysans consiste en un gilet croisé rouge, bleu ou de quelque autre couleur, sur lequel ils portent une veste ou une camisole de drap brun. Ils ceignent le bas de leur ventre avec une bande très large de serge bleue ou rouge, qui fait plusieurs tours. Ils portent sur la tête un bonnet de laine rouge». Le costume masculin catalan est bien représenté, gilet, veste, la traditionnelle faixa ou longue ceinture de tissu enroulée autour de la taille et la barretina, bonnet de laine feutrée.  « Quelques fois le chapeau par-dessus et à la place des bas, des pièces carrées de toile dont ils entourent leurs jambes et qu’ils attachent avec des cordons. » Il s’agit là de guêtres qualifiées en roussillonnais de garmatxes [5]. « Ceux du Roussillon et du bas Vallespir portent des souliers et ceux du haut Vallespir et de la Cerdagne, des souliers de corde» L’espadrille, ou vigatana est une chaussure réalisée totalement ou en partie en corde, de fabrication méditerranéenne très ancienne.

« Les paysans riches des montagnes ont un gambeto brun ». Il s’agit d’un paletot long qui est porté l’hiver et qui pare du vent, et pouvait être passé par-dessus la veste. On le retrouve sur les représentations de Saint Gauderique, sculpté ou peint dans de nombreuses églises du Roussillon.

Classe intermédiaire correspondant aux ménestrales, « les voituriers de la Cerdagne et d’une partie du Conflent ont un habit joli et leste, il consiste en un bonnet de laine sur la tête renversé sur l’oreille, un gilet rouge, une petite veste bleue fort courte à petites poches, croisées par derrière, garnie de petits boutons de cuivre jaune, une culotte ronde sans jarretières, un petit jupon fort court et très plissé, à peu près dans la forme de ceux des couvreurs, une ceinture de cuir, de laquelle pend une bourse aussi de cuir, qui se ferme avec des cordons terminés en glands, appelée escarcella, semblable à celle que porte le recteur de l’Université de Paris, des bas et des souliers de corde très légers et très découverts sur les pieds. Ceux-ci sont maintenus par des rubans bleus ou rouges qui, après avoir formé quelques dessins sur le pied, vont faire plusieurs tours et se croiser plusieurs fois sur les jambes ou ils sont noués en forme de petite cocarde.» Il s’agit là d’un costume catalan d’apparat, avec cette bourse très travaillée et ces boutons servant d’ornements tout autant que d’objets usuels. On remarque le jupon, relique des hauts-de-chausses des temps anciens. Cet aperçu succinct mais très précis de l’habillement traditionnel distingue de la paysannerie la classe intermédiaire, héritière de la bourgeoisie de la première moitié du XVIIIe siècle. C’est elle qui a maintenu un habillement riche tant par les matériaux que par des enjolivements, bourses, broderies, ou rubans.

Homme et femme de la Catalogne, Grasset Saint Sauveur.

La description encyclopédique de Grasset Saint Sauveur est un immense travail de compilation des costumes de tous les peuples de la terre, le costume catalan tant celui du Roussillon que celui de la Catalogne est décrit en 1792 : « Le costume des Catalans a quelque chose de flatteur. Les hommes portent leurs cheveux enfermés dans un réseau recouvert d’un bonnet qui retombe sur le côté, à peu près comme les bonnets de police de nos soldats, quelques fois ce bonnet est remplacé par un chapeau à trois cornes. Leur justaucorps est une espèce de gilet croisé fermé avec des boutons, et orné de revers et de parements d’une couleur tranchante. Par-dessus ce justaucorps ils portent un manteau très ample dans le bas mais qui dans le haut laisse absolument à découvert un bras et une partie de l’épaule. » Il s’agirait d’une cape ou du gambettou porté sur les épaules sans en enfiler les manches. « Tout le reste de l’habillement des Catalans ressemble à nos habits français, à l’exception toutefois de la chaussure, qui est fixée autour de la jambe, à l’aide d’une laçure à peu près comme les sandales des anciens. L’habit des Catalanes est plus agréable encore. Un large voile fixé sur le front, descends avec grâce sur les épaules, un corset lacé par devant dessine parfaitement la taille, et un mouchoir à la française couvre en partie la gorge : les manches de ce corset laissent les bras presque absolument à nu. La jupe est très longue, et un petit tablier très étroit, et très court descend jusqu’au genou. Ordinairement le fond du corset est relevé par une broderie en soie de la couleur du tablier ou du voile [6].» Deux gravures aquarellées accompagnent cette description qui sera reprise tout au long de la première moitié du siècle dans de nombreux ouvrages.


[1]                les dessins aquarellés de Beugnet qui ont servi aux gravures sont conservés à la Bibliothèque Nationale à Paris, fonds Destailleur.

[2]              Tetart-Vittu, La mode à la française : de la fabrique à la clientèle, un parcours réussi, dans Modes en miroir, 2005, p.44, 46.

[3]              Pagèsos : propriétaires agricoles, assez riches et au statut en partie comparable aux maîtres artisans.

[4]              Un capuchon similaire existe dans les collections de la Casa Pairal de Perpignan.

[5]              Terme relevé dans plusieurs inventaires et qui trouve son pendant en Catalogne dans le terme polaine.

[6]          Grasset-Saint-Sauveur, (J.), Encyclopédie des voyages, Bureau de souscription chez M. Lescoure et chez les frères Labotière libraires, 1792.