P. Maurin, portrait de famille.

Le XVIIIe siècle s’achève, et malgré les troubles causés par la Révolution française, la mode arrive à s’exprimer. Le Directoire, le Consulat puis l’avènement de l’Empire font rapidement disparaître les extravagances des derniers feux de l’Ancien régime. Le classicisme simplifie la mise des Catalanes. A l’extrême fin de l’Ancien-régime, les portraits peints de Catalanes montrent des citadines portant le costume « traditionnel ». Les femmes du portrait de la famille Maurin [1], portent le caraco à manches trois-quart, des tabliers en indienne, des fichus blancs.

Celles des portraits de Jacques Gamelin (1738-1803) ont des spencers à la mode [2]. Toutes arborent ostentatoirement de grandes coiffes de mousseline dont la passe retombe sur les côtés, serrées par des rubans de soie colorés noués sur le haut de la tête. La mode néo-classique des jeunes femmes ne nuit pas à la tenue traditionnelle.

Jacques Gamelin, la Perpignanaise, musée de Carcassonne.

Merveilleuses et incroyables

La mode dite des « Incroyables » touche aussi le Roussillon. Commençant dès les années 1790, se généralisant de 1795 à 1799, à l’apogée du Directoire, ce courant vestimentaire se définit comme un renouveau de la parure féminine et masculine. On appelle ces personnes en vogue les « incroyables », les réfractaires les qualifient aussi de «Ridicules ». Perpignan connaît cette mode importée directement de la capitale et dont Frion est le principal représentant. Natif de la ville, le jeune inspecteur du conservatoire national des arts et métiers, Jean-Baptiste Frion (1773-1819) avait un goût immodéré pour la mode. Son portrait est réalisé à Perpignan par le peintre Jacques Gamelin en 1796. Frion porte un habit gris et rose, et dans une pose un peu maniérée, car il avait non seulement une taille imposante mais aussi des «goûts et des habitudes, en toutes les manières, même jusqu’aux caprices, des femmes». Avec une personnalité remarquable qui en fit l’un des modèles de grands peintres comme David ou Vien, il fût l’émissaire des nouveautés vestimentaires lors de ses passages à Perpignan. Sur son portrait, l’habit à pan croisé est largement ouvert sur la poitrine, découvrant un gilet de couleur claire porté avec une cravate « écrouellique [3] ». Le pantalon collant est accompagné de bottes tout aussi serrées, un chapeau haut de forme à cocarde dans une main et une canne à pommeau dans l’autre. La frivolité se lit à la fois dans la coiffure longue et peu soignée tout comme dans l’abondance de bijoux : boucle d’oreille, épingle de jabot, châtelaine et montre en or pendant à la ceinture.

Jacques Gamelin, portrait de Frion, Musée Rigaud de Perpignan.

Même en haut Vallespir, à Saint Laurent de Cerdans ou à Arles sur Tech, les femmes suivent aussi cette mode grâce aux nombreux colporteurs ainsi qu’aux achats effectués à la foire de Céret. En 1790, on pouvait y acheter des boutons en paysage, une ceinture « aux trois grâces, un manchon à l’Angola, une flèche en or (broche) pour le fichu, ainsi qu’un parapluie de soie [4].» En 1792, ces nombreux achats à Arles, aux foires de Céret ou auprès de colporteurs, permettent de constituer un vestiaire complet avec fichu d’indienne à la mode, gilet rouge et noir, boucle de ceinture pour femme, pendants d’oreilles en or, garniture de petits boutons, bas de soie ainsi que de nombreux tissus pour confection. Vers 1800, Perpignan ne compte pas moins de 26 perruquiers, 28 marchands d’étoffes au détail, 3 gantiers, 2 bijoutiers, 7 chapeliers et 130 tailleurs d’habits [5].


[1]              Tableau de Jacques Maurin daté de 1794, exposé à Paris en 1874. Il représente la famille du peintre, l’enfant sur les genoux de sa mère étant Antoine Maurin qui fut lithographe. Sont aussi représentés Jacques Gamelin et son fils.  Albert Charles Auguste Racinet, le Costume Historique, livraison 15, 1888.

[2]              Musée des Beaux Arts de Carcassonne, inv. 480.

[3]              Les écrouelles sont une maladie d’origine tuberculeuse provoquant des fistules purulentes localisées sur les ganglions lymphatiques du cou. Le roi de France, le jour du sacre avait le pouvoir de les guerrir.

[4]              AD66, 8 J 88., Livre de comptes.

[5]              Delon (J.), Le Roussillon après la révolution, texte annoté par Etienne Fresnay, SASL des PO, 1993, p.80.