Perpignan conserve des traditions identiques aux villages du Roussillon et la danse catalane y est encore vivace. « Grâce, une aimable vivacité, font surtout remarquer ces élégantes danseuses, prises dans toutes les classes de la société, et réunies par le plaisir dans ces fêtes si différentes de celles que l’on voit à l’intérieur de la France[1]. »

Parmi ceux qui y participent, il y eut tantôt des personnes du peuple, sous le « costume national, c’est à dire portant le long bonnet rouge dont le bout flottant tombe sur les épaules, une veste et un pantalon de velours, une ceinture rouge et des espadrilles aux pieds »; tantôt de jeunes bourgeois élégants qui, « sous une veste légère, apportaient dans ces danses la grâce des salons[2]. »

On nous apprend aussi que « le jour, les danses ne sont guère suivies que par les personnes du peuple qui bravent la chaleur du soleil. La jolie artisane ne commence à danser que lorsque la fraîcheur de la nuit rend cet exercice moins fatiguant. La beauté de la danse catalane consiste, pour les femmes, à savoir reculer légèrement, sans sauts et sans secousses, il faut qu’elles coulent, pour ainsi dire, sur la pointe des pieds, et sans faire des pas. Les mains au tablier, et la tête un peu sur le coté, pour voir le chemin rétrograde qu’elles ont à parcourir en rond, elles tournent mollement, quoique avec rapidité, autour du centre libre de l’enceinte, et il y a infiniment de grâce dans ce mouvement.

Le spectateur les voit passer, repasser, et comme voltiger devant lui ; soit que dans une fuite équivoque elles imitent le papillon qui feint d’éviter l’Amour, soit que d’un pas précipité, elles poursuivent le cavalier qui semble vouloir s’échapper à son tour. La danse catalane telle que je viens de vous la décrire est celle que l’on exécute à Perpignan. Dans les villages, où le contrepas est dansé par les hommes et par les femmes, on conserve un usage qui s’est perdu à la ville.

Hora Siccama, vers 1847, danses catalanes en Vallespir, AD66.

La file des femmes est conduite par deux hommes portant à la main un vase en verre à plusieurs goulots très étroits, et ornés de longs rubans. Ce vase qu’on appelle almuratxa[3], est rempli d’eau de rose et dans certains moments, les conducteurs de la danse, les secouant sur la file des danseuses, en font tomber sur elles quelques gouttes, en manière de pluie très fine. Dans certaines fêtes villageoises, ce sont les pavordessas qui ouvrent cette danse à l’issue de la grand’messe.

On appelle pavordesses quelques jeunes filles chargées de prendre soin de la chapelle de la Ste Vierge, et qui en sont comme les marguillières : ce sont toujours les plus jolies du village. Un petit panier de fleurs à la main, elles ne manquent jamais d’aller quêter pour la chapelle, à l’heure du diner, dans les maisons ou se trouvent des étrangers. Ces Pavordesses commencent à danser seules en tournant autour du cercle, elles choisissent elles-mêmes leur cavalier, ce qui est un grand honneur pour celui qui obtient cette aimable préférence. La danse catalane est annoncée par une promenade de jutglars dans toutes les rues, c’est ce que l’on appelle le passa-villa.

Au village les baills ne se payent pas à chaque fois, et danse qui veut. On voit souvent dans les grandes réunions, douze à quinze cent personnes sautant à la fois : ce tableau est vraiment magique. A la campagne on exécute encore une danse plus vive et plus animée, et qui finit aussi par l’enlèvement de la danseuse sur la main du cavalier. C’est celle qu’on appelle les Segadillas. Les airs en sont très courts et très précipités.

Il faut beaucoup d’agilité, de vitesse et de légèreté pour la danser en mesure. La danse catalane, ou comme on le dit ici, les danses, ont lieu annuellement dans toutes les communes du Roussillon. A Perpignan, on les exécute aussi, sur le terrain de chacune des paroisses, quand leur fête arrive, mais avec quelques différences. Au village, on danse tout bonnement sur la place publique ; à la ville, c’est au centre d’un enclos de verdure qu’on prépare exprès[4]

La fête donne l’occasion de voir rassemblée sur la place les plus belles toilettes. Le visiteur peut alors y observer les costumes de la région.

L’écrivaine romantique Amable Tastu, née à Metz le 31 août 1798, épousa l’héritier d’une lignée d’imprimeurs catalans. Elle vint à Perpignan de 1816 à 1819. Le séjour qu’elle fit en Roussillon a donné lieu à un autre récit sur les danses catalanes dans lequel elle décrit les costumes des participants :

« Les danses en Roussillon ont lieu aux fêtes patronales du village ou de la paroisse de la ville ; le matin, à l’issue de l’office, se fait la passa-vila, espèce de promenade, que les musiciens, qui ont retenu leur vieux nom de juglars, font par les rues en jouant de leurs instruments. Ils s’arrêtent devant le logement des autorités et de personnes notables pour leur donner l’aubade et leur offrir des gâteaux.

La première de ces fêtes à laquelle j’assistai était celle du faubourg de Perpignan. Depuis trois heures de l’après midi, j’entendais de loin retentir la joyeuse et bruyante musique, car les danses commencent ordinairement à la sortie des vêpres, et s’interrompent à l’heure du souper, pour recommencer après de plus belle, et continuer souvent toute la nuit.

Je fus frappée du coup d’œil pittoresque et animé de la fête. L’enceinte ovale était formée de portiques de verdure et décorée de guirlandes semblables ; d’immense lanternes l’éclairaient comme en plein jour, les femmes et les jeunes filles occupaient alentour un triple rang de chaises, derrière lesquelles le terrain relevé en talus était couvert de nombreux spectateurs…

Je distinguais au milieu de la foule beaucoup de paysans de la plaine ou de la montagne avec leur costume pittoresque : la veste et le pantalon de velours ou de nankin, la ceinture rouge autour du corps, le mouchoir de soie négligemment noué au cou, le long bonnet écarlate retombant sur l’épaule ou sur le dos, et aux pieds les espadrilles ou sandales de cordes qui s’attachent à l’antique autour de la jambe par des cordons de laine rouge ou bleue.

Le costume des femmes n’avait de remarquable que le capucho, espèce de capuchon en laine ou en basin selon la saison, qui tombe jusqu’à la taille et les enveloppe comme un voile de madone. Mais vous pensez bien que celles qui le portaient n’étaient pas au nombre des danseuses. Celles-ci n’étaient coiffées que d’un petit bonnet garni à la catalane d’une dentelle cousue à plat et descendant sur le front, ou d’un tulle ruché selon la mode d’alors. Je remarquais parmi elles quelques demoiselles de la ville en cheveux et en robes blanches ; mais les jeunes gens de toutes classe dansaient en veste de coutil ou de nankin.

Enfin laissons-nous imaginer cette société roussillonnaise, au sortir de l’Empire, éprise de réjouissances, tel que nous la décrit le notaire Ferriol dans ses mémoires :

« En 1818, à Perpignan, les jeunes gens donnaient de l’animation aux jours de fête. Ils se cotisaient pour les rendre brillantes. Les danses catalanes étaient à leur apogée, c’était dans la belle saison. Depuis le mois de juillet jusqu’à la fin de septembre, elles parcourent tour à tour les diverses paroisses de la ville.

Les fêtes patronales en sont les occasions. Toutes les classes de la société y apparaissaient sans distinction, les dames de la ville comme les grisettes et tout le monde s’y trouvait ensemble sans le moindre compromis.

Pendant l’hiver, étaient les bals de l’hôtel du Commerce, dit aussi de la Perdrix, qui attiraient toute la jeunesse de deux sexes. Toutes les classes y paraissaient mais ne se rencontraient pas. Ces bals se donnaient tantôt pour les dames du grand monde, et tantôt pour celles du demi-monde et pour les filles des honnêtes artisans, qu’on surnomme grisettes.

Le beau sexe ainsi divisé s’y montrait à certains jours convenus, en agissant ainsi les jeunes gens avaient trouvé moyen de contenter tout le monde sans froisser personne. Je n’ai jamais vu d’accord si parfait dans notre cité et cela dura plusieurs années. Je me permettrais quelques apparitions à l’hôtel du Commerce surtout pendant les soirées destinées aux bals des grisettes.

Je m’y trouvais mieux à l’aise. Là, point d’étiquette, de la familiarité avec décence, le simple décorum, puis de la gaité et de l’entrain. Pour bien des jeunes gens encore incultes, ne connaissant rien des manières du grand monde, ces bals étaient bien préférables à ceux qu’on appelait les « bals des dames ». D’ailleurs je n’étais pas un grand danseur et ce qui m’attirait le plus dans ces réunions n’était le désir d’y faire une partie de manille[5]

Ces amusements sont très appréciés, et certaines jeunes filles s’y distinguent. «Aussi les jeunes filles sont elles infatigables, les danseurs sont forcés de se reposer, ne pouvant acheter tous les baills, mais une danseuse à succès peut danser toute une nuit sans quitter sa place, et elle en tire vanité.»

Lors de ces fêtes, les familles aisées ne manquent pas de laisser un témoignage en faisant réaliser leur portrait, par les peintres du cru, comme en 1818, ceux qui furent exposés par le jeune Maurin, fils[6].

Bayot, A., Danses aux platanes, vers 1820-1830. Médiathèque de Perpignan (détail)

La différence de costumes entre les classes populaires et les classes bourgeoises et nobles deviennent des indicateurs du pouvoir que les second comptent exercer sur les premiers en cette période de retour à l’ordre. C’est ce qui transparaît de cette description d’un incident lors du carnaval du village du Boulou.

« La danse avait déjà traversé la place et étant au fond de la rue dit Carrer Nou, en rétrogradant, étant au tiers du chemin, quatre individus accompagnés chacun de leur dame habillées à leur ordinaire et animées d’une face de supériorité par leur richesse envers ceux qui dansaient, se présentèrent par moquerie pour danser ». Le refus de les intégrer et les interlocutions qui en suivirent firent l’objet de plaintes et de rixes avec intervention de la gendarmerie[7].


[1]              Du Mège, (A.), Statistique générale des départemens pyrénéens, ou des provinces de Guienne…, Toulouse, 1830, p.385-386. La description est due à Dominique Marie Joseph Henry.

[2]              Henry, D.M.J., « Danses catalanes exécutées en présence de S.A.R. Madame, duchesse d’Angoulême », ed. Tastu, Perpignan, 1825, p.19.

[3]              Marancha dans le texte.       

[4]              Henry, D.M.J., « Danses catalanes exécutées en présence de S.A.R. Madame, duchesse d’Angoulême », ed. Tastu, Perpignan, 1825, p.19.

[5]          ADPO, Mémoires de la famille Ferriol, 59 J 18.

[6]              Feuilles d’affiches, annonces et avis divers, 1818, p.150.

[7]              Brunet, (M.), Le Roussillon, une société contre l’État 1780-1820, ed. Eché, Toulouse, 1977, p. 282.