Association ethnographique

Mois : février 2021 (Page 9 of 14)

Garde-robes de simplicité dans le Perpignan de 1840.

Les inventaires d’armoires, dressés par les notaires permettent d’entrer dans l’intimité des  Catalanes.

Portrait de Roussillonnaise, vers 1840, col. part.

La veuve de Jean-Baptiste Alquier qui habitait rue de la Fusterie dans le centre de Perpignan, paroisse La Réal possédait à sa mort en 1841 « deux couvertures piquées, douze chemises en toile de ménage, dix tabliers de cuisine, deux manteaux de nuit de percale, trois jupes en calicot, quatre corsets de différentes étoffes, trois autres corsets sans manche, un capuchon de basin, une douzaine de paire de bas en fil ou en coton, une robe de cachemirienne fond carmélite, une autre robe en indienne fond brun, une douzaine de coiffes en percale garnies de mousseline, une douzaine de mouchoirs de poche en fil ou coton, une douzaine de fichus en percale ou laine, quatre jupons en coton [1] ».

En 1847, toujours à Perpignan, Françoise Bonet remisait dans son armoire « une douzaine de coiffes en calicot garnies de tulle ou de mousseline, et six bandeaux de la même étoffe très usés, trente huit chemises de calicot, six paires de bas de laine et coton, dix huit mouchoirs de poche en coton de couleur, quatre fichus ou châles de laine très usés, quatre robes en indienne et une robe de laine [2] ».

À cette même date, vivant à la rue de l’église La Réal, L’épouse de Joseph Puyarniscle possédait pour habillement « six chemises de toile de ménage, dix bonnets garnis de dentelle ou de tulle et deux fichus de mousseline garnis de dentelle, quatre bonnets de coton et un bonnet de soie noire ainsi que cinquante centimètres de dentelle du pays ».

Parmi ses bijoux on notera « un clavier, une croix, un petit crucifix, le tout en argent [3]».


[1]              AD66, 3E69/1

[2]              AD66, 3E69/4

[3]              AD66, 3E69/4

Les bals masqués sous Louis Philippe

La dernière semaine qui clôture les réjouissances de carnaval est attendue avec encore plus d’envie par le tout Perpignan. Traditionnel, le bal du Jeudi-gras qui sera celui de toutes les attentions, est donné au théâtre dès 1836 pour la jeunesse de bonne famille. D’autres bals y sont organisés tout au long de la période ainsi que dans différentes salles de la ville. La jeunesse loue des salles à l’attention des grisettes, ces jeunes filles des classes  modestes. Ces réjouissances sont l’occasion de se montrer dans ses plus beaux atours. C’est alors que se déroulent les bals les plus enjoués de toute l’année. « Des bals masqués reçoivent au théâtre les différentes coteries. De ces bals masqués, les uns, pour le public payant, sont, comme partout, généralement mal composés ; les autres, donnés par des réunions de jeunes gens et composés par l’élite de la population, sont remarquables autant par la décence qui y règne, que par la beauté, l’élégance, la richesse souvent, et toujours l’infinie variété des costumes de caractère. Les vêtements de tous temps et de tous les âges, les dominos frais, somptueux, élégants, remplissent la salle, circulent dans les corridors, se succèdent et se remplacent dans les loges et les galeries pour intriguer les personnes non travesties. La décoration très bien entendue de la salle, son brillant éclairage, les vases d’orangers qui garnissent quelques fois les avenues, tout produit un de ces effets magiques, qu’au dire des voyageurs, on ne rencontre au même point dans aucune autre ville [1]

La volonté d’avoir le plus beau costume donne lieu à des scènes proches de l’hystérie comme dans ce court récit paru en 1840 dans l’Album Roussillonnais. « Mais c’est désolant ! Les heures se succèdent avec une rapidité qui m’effraie, encore une qui tombe ! Et ma modiste…ma délicieuse parure ! Et ces phrases arrivaient lentes et entrecoupées sur les lèvres, obligées qu’elles étaient de faire place à des soupirs qui s’échappaient d’une poitrine haletante. Et une tristesse profonde, une désespérante impatience plissaient aujourd’hui ce front, la veille si riant d’espoir et d’amour. Que de fois Jenny montrait à la fenêtre son gentil visage puis l’en retirait pour le poser attentivement à la porte. Mais rien, absolument rien ne venait dissiper ses inquiétudes. Tout ce qui avait de domestiques au logis avait couru chez la modiste : il fallait vite l’explication de cet impardonnable retard. La petite cloche de l’horloge St Jean annonce l’approche de la huitième heure, le désespoir de Jenny est à son comble. Le bal va s’ouvrir et une fatale incurie la condamne à un mortel éloignement. Comprenez-vous mes jolies lectrices tout ce qu’il y a de terrible, d’horripilant, dans ces quelques mots de ne pas aller au bal, alors que depuis huit jours, on nourrit les projets les plus séduisants, les plus irisés, qu’on savoure d’avance les délices de cette périodique soirée du jeudi-gras ? La pauvre femme allait, je crois, succomber à sa douleur…Tout à coup un pas retenti dans l’escalier, on monte…Enfin ! Tout ce que put dire Jenny, d’un ton où perçaient à la fois le contentement et la crainte. La modiste se confond en excuses, sa faute est rapidement oubliée, la jolie robe en crêpe bleu ciel à double tunique fut son meilleur avocat. Le plaisir du présent efface bien vite les peines du passé. Aussi la jeune dame ne songea plus qu’aux apprêts. Les Parisiennes sont renommées pour leur amour de la parure, mais les dames de Perpignan ne leur cèdent en rien. On m’a raconté d’une dame aimable et jolie, que pour briller dans un bal de notre ville, elle avait jadis employé le talent d’un des plus habiles coiffeurs de la capitale et était revenue en poste de Paris, la tête ornée dans le dernier goût. On a vu dans la fête de jeudi des prodiges de coquetterie, un déploiement de luxe radieux. C’était une féerie, une réunion privilégiée, une foule de charmants visages et de délicieux costumes. La salle était décorée avec le plus grand éclat, des flots de lumières lui donnaient une magnifique splendeur, et produisaient sur cette cohue aux mille couleurs, un effet magique et ravissant. Hommes et femmes, dominos des deux sexes s’y pressaient ardents et joyeux, et attendaient le gai signal des contredanses. Le nombreux orchestre dirigé par monsieur Garouste, à peine se fait-il entendre, que tout est envahi par les quadrilles, tout flotte, c’est un désordre qui donne des vertiges. Toutes les loges, toutes les galeries sont remplies de spectateurs [2]. »


[1]              Henry, (D.M.J.), Le guide en Roussillon ou itinéraire du voyageur dans le Département des Pyrénées-Orientales, 1842, p.164-167.

[2]               Album Roussillonnais, 1840, p.11.

Carnaval et ses costumes

A Perpignan, à la période du carnaval des habitudes sociales établies depuis longtemps à l’intérieur de la cité ainsi que dans ses faubourgs font partie d’une période de grand froid où il convient à toute la population de la ville de se défouler avant l’entrée en carême. Le mardi gras, donne lieu à une bataille de dragées dans les rues de la ville. Le général de Castellane en fait le récit.

«En me promenant à cheval, j’ai eu beaucoup de peine à convaincre le brigadier des lanciers qui me suivait, qu’on n’en voulait pas à ma personne. Il était tout prêt disposé à charger les masques. Les dragées sont faites exprès pour ces divertissements, ce sont des espèces de pierres que seuls les polissons des rues ramassent et mangent. En passant devant les fenêtres de Mr Jaume, beaucoup de jolies jeunes personnes étaient aux fenêtres et m’en ont accablé [1]. »

Le jour qui suit, « quand le mercredi des cendres s’apprête à courber les fronts pénitents sous les austérités du carême, la population perpignanaise se répand sur la route d’Espagne. C’est un vieil usage traditionnel comme à Paris la promenade de Longchamp à Pâques. Jadis on poussait jusqu’à la Villa Gothorum, bourg romain qui s’est éteint vers le quatorzième siècle sous le nom de Mailloles, maintenant, ainsi que les parisiens s’arrêtent au rond-point des Champs-Élysées, les Perpignanais s’arrêtent à mi-chemin sur une pelouse plantée d’arbres au bord d’une fontaine, connue sous le nom d’abord de bagatelle, et plus tard sous celui de Fontaine d’Amour [2]».

La pérégrination vers la Fontaine d’Amour agit comme un rituel institué depuis des siècles.

« En sortant de Perpignan par la porte Saint-Martin, on prend la route d’Espagne, et après une très petite course, on arrive à la Fontaine d’Amour, source d’eau fraîche et pure qui coule au bas d’un mur qui soutient la route, sur le côté d’une petite esplanade où tous les ans vient expirer le carnaval dans une promenade de toute la population de la ville. Il est peu de pays ou le caractère des habitants offre plus de gaîté et ou l’on aime autant le plaisir. De toutes les occasions de s’y livrer, le carnaval est celle que l’on exploite avec le plus d’ardeur. Perpignan est peut-être aujourd’hui la ville de France où le goût des mascarades se conserve dans toute son énergie : c’est la Venise de la France. Quiconque a vu un carnaval à Perpignan a pu se convaincre que cette période de joyeuses extravagances est loin d’y être à son déclin. Il a pu s’assurer qu’elle a, au contraire, dans ce pays beaucoup de vie et beaucoup d’avenir. Se masquer ici est un besoin, plus même qu’un besoin, pour le peuple c’est du délire. Quand le nouvel an paraît, une sorte de frénésie s’empare de la population. Des milliers de masques sont en étalage, de nombreux magasins de costumes pour travestissement s’ouvrent dans tous les quartiers [3].

Guiraud, scène de carnaval, Col. Ville de Perpignan.

Chacun endosse son vêtement de saturnales chacun se couvre du masque, depuis le simple carton grossièrement barbouillé jusqu’au satin richement travaillé, jusqu’au loup de velours garni de blondes. Les mascarades courent dans les rues sautant et gambadant. Evohé ! Evohé ! Jamais les bacchants et les bacchantes n’ont été plus transportés de folle joie, non pas comme les furibondes peintures des modernes, où tout est à l’exagération, mais comme les gracieux bas-reliefs de l’Antiquité. Jamais les places publiques d’Athènes et de Rome n’ont retenti le jour et la nuit de plus joyeux transports. Depuis le premier jour de l’an jusqu’au mercredi des cendres, il ne se passe guère de jours où l’on ne rencontre de masques dans les rues, en nombre plus ou moins grand, les dimanches principalement.

Comme partout les festins se multiplient et le gibier quadruple de valeur. Quand vient ensuite la dernière semaine, le plaisir ne connaît plus de bornes : le carnaval est près de sa fin, chacun semble s’y cramponner pour s’efforcer de le retenir, l’ardeur redouble pour les plaisirs dont le terme expire : cette semaine là, toutes les têtes sont à l’envers. Des centaines de tambours parcourent les rues, vous assourdissent, à qui mieux-mieux. La tambourinade est l’un des amusements passionnés du peuple. Des mascarades à caractère vont exécuter leurs différentes scènes sur les places publiques, et à cet égard il y a des progrès depuis quelques années. Autrefois on ne voyait guère dans les rues que de mascarades insignifiantes. Maintenant de jolies parties s’organisent parmi les jeunes gens et il en résulte de belles mascarades, très variées, souvent bouffonnes et originales, quelques fois fort spirituelles.

Les bals qui ont marqué la durée du carnaval se multiplient cette semaine et mettent en émoi tous les marchands de nouveauté, toutes les modistes, toutes les femmes de chambre. Les derniers jours, les rues des quartiers reculés sont désertes, toute la population se concentre dans les rues les plus passantes ou des bandes de masques se montrent tour à tour précédées de tambours, accompagnées de musiciens, escortées à grand tumulte par tous les polissons de la ville. Le goût des mascarades a existé de tous temps en Roussillon et nous trouvons dans la correspondance de Louvois avec l’Intendant de la Province, qu’au XVIIe siècle, ce genre de divertissement, au lieu de commencer avec le carnaval comme aujourd’hui, commençait immédiatement après les fêtes de Noël, au jour des Innocents. La multitude de villageois et campagnards qui accouraient, à ces époques, dans Perpignan, pour être témoins de ces joyeuses folies, avait même donné de l’inquiétude à l’autorité pour la sureté de la place. Le premier jour de carême est proprement dit, ici, le dernier jour de carnaval, qui nous l’avons dit, va rendre son dernier soupir dans la promenade à la fontaine d’Amour.

Ce jour-là, tous les habitants de Perpignan, à peu d’exceptions près, se portent dans l’après-midi, sur la partie de route qui s’étend entre la ville et la fontaine, et la couvre en entier. Les masques circulent encore parmi les promeneurs, si on peut conserver le nom de promenade à un aussi grand encombrement de personnes, disant leur dernier mot à ceux qu’ils veulent intriguer au milieu du flot des gens de tout âge, de tout sexe, de toute condition.

Des cavalcades de jeunes gens élégamment travestis, des équipages, des voitures découvertes, s’y frayent un passage. Les musiques des régiments de la garnison, dont la galanterie militaire régale la population, sont réparties sur la petite esplanade et sur la longueur de l’avenue d’une métairie en face de la fontaine, qu’encombrent des masses compactes de promeneurs, des marchands de fruits, de gâteaux et de friandises, des cabaretiers ambulants font leur étalage aux abords de l’avenue. Des groupes du peuple, répandus au milieu des champs et des prairies environnantes, se livrent à la joie, en consommant les provisions dont ils ont eu soin de se provisionner, pendant que, sur la pelouse, au delà du ruisseau qui traverse la petite esplanade de la fontaine, les ménétriers locaux ou jutglars, font danser au son des hautbois, du petit tambourin et de la cornemuse, la danse catalane [4]


[1]              Ruffiandis, (L.), Le général de Castellane à Perpignan, SASL des PO, 1956, p. 138. La famille Jaume habitaient un hôtel particulier de la rue de la Vieille Intendance.

[2]          Les Français peints par eux-mêmes, encyclopédie morale du XIXème siècle, volume 3, L. Curmer, éditeur, page 94.

[3]       Album Roussillonnais, 1840, on pouvait acheter ses déguisements notamment auprès de Mr Camille, artiste du Théâtre de Perpignan.

[4]          Henry, (D.M.J.), Le guide en Roussillon ou itinéraire du voyageur dans le Département des Pyrénées-Orientales, 1842, p.164-167.

Cérémonies pour le passage des élites

Dans la bonne société roussillonnaise, il est d’usage de savoir danser. Cette discipline entre dans l’éducation des jeunes gens. A Perpignan les cours de danse du professeur Emanuel Sarda, natif de la ville, se déroulent dans les années 1830 au 6 de la rue saint Dominique. Titulaire d’un brevet de danse, successeur d’un certain Derouy, « il donne des leçons aux jeunes gens des deux sexes, jusqu’à dix heures du soir ». Il propose aussi des leçons particulières auprès des familles les plus fortunées[1]. Il est à supposer que l’on y apprend les danses de salon autant que les danses catalanes qui sont pratiquées couramment lors des fêtes.

De grandes occasions obligent à revêtir des tenues sortant de l’ordinaire, comme lors de la réception du duc et de la duchesse d’Orléans à Perpignan le 10 septembre 1839.

Ingres, portrait du Duc d’Orléans

« A la Préfecture, de jeunes personnes vêtues de bleu et de blanc ont offert des fleurs à la princesse royale. On possède une gravure des costumes très parisiens de ces jeunes gens».

Après un dîner de 80 couverts, les altesses se sont rendues à la promenade des Platanes. Elles y ont écouté la musique du régiment jouant des airs à la mode, puis au rond-point, ont admiré les traditionnelles danses catalanes.

Le soir, «assistant au bal, recevant une députation de trois cent quatre vingt notables de la ville, la duchesse a donné des parures, à madame Pascal, la femme du préfet, au général de Saint Joseph, à monsieur Pons, à Mademoiselle Jaume».

C’est une véritable parade de mode qui se déroule alors. «Madame la Duchesse d’Orléans a acheté une collection de boucles d’oreilles de diverses formes que portent nos Catalanes ; on a fait aussi, par ses ordres, plusieurs bonnets de paysannes et de grisettes qu’elle emportera. Mr de Basterot, architecte du département, a reçu de son altesse royale deux boutons en diamants, comme un souvenir et un témoignage de satisfaction pour quatre jolis dessins dont il lui avait fait hommag[2] ».


[1]              JPO, 1833.

[2]          Relation de la venue du Duc et de la Duchesse d’Orléans à Perpignan en 1839, Le journal des P.O., 1839, Supplément N°37.p.155.

L’époque du général de Castellane.

Portrait de Perpétue de Llucia, Col. part. Millas.

Sous la Monarchie de juillet, Boniface de Castellane(1788-1862) qui a participé comme colonel de hussards à l’expédition d’Espagne(1823) est nommé maréchal de camp, à Perpignan en 1833. En 1837, nommé lieutenant-général, il prend à nouveau le commandement de la division de Perpignan de 1838 à 1847.

«Je comptais rester à l’Hôtel de l’Europe, ne pensant pas séjourner plus d’un mois à Perpignan, le mois changea en quatorze ans. Il en est ainsi souvent des prévisions humaines[1].»

La période est alors très tendue, ce qui n’empêche pas le général d’organiser son premier bal, «où avec les deux cents officiers de la garnison, il y avait quatre cent personnes. On a compté quarante six femmes, et on dit que c’est énorme pour un premier bal. On prétend que j’ai fait un tour de force à Perpignan, parce qu’il y avait des gens de toute opinion[2].»

L’émulation pour ces bals privés impulse  à Perpignan une période faste. Le préfet lui-même organise chaque année son propre bal. Celui de 1834 compta quatre cent personnes. Celui de 1835, organisé par Castellane dans son nouveau logis de la rue Mailly, n’en compta que trois cent à cause de la pluie battante, et seulement cinquante femmes.

Lors d’un autre bal, Castellane remarque : «On s’étonne que, dans une ville de dix huit mille âmes, on puisse réunir autant de jolies femmes mises avec recherche. Les Roussillonnaises ont généralement de la grâce. Elles sont surtout remarquables par leurs yeux noirs, beaux et vifs».

Cette élite féminine issue de la bourgeoisie commerçante, de la noblesse ou du commandement militaire, fait et défait la mode à Perpignan. En 1842, un grand bal costumé fut l’occasion de réunir dans l’un des hôtels particuliers de la ville, plus de cinq cent personnes. Les femmes ont rivalisé entre elles à qui aurait le plus beau costume. Castellane indique dans ses mémoires :«Chacun est d’accord pour dire que c’est le plus beau bal de particuliers qu’on eût vu ici ; le fait est qu’à Paris, je n’ai jamais vu de bal costumé plus beau».


[1]              Rouffiandis, (L.), Le général de Castellane à Perpignan, SASL des PO, 1956, p.127-157.

[2]              Idem, p.136.

Épitre dédicatoire aux grisettes de Perpignan

Un écrivain romantique est l’auteur anonyme d’une très belle prose dédiée aux jeunes femmes de Perpignan. Logé à l’Hôtel de l’Europe, il scande son attrait pour ces grisettes croisées dans les rues de la ville.

« Gentilles grisettes, l’ornement de ma ville natale, mon livre et moi, nous tombons à vos pieds. Prenez ce livre, feuilletez le de vos doigts potelés, il a été fait pour amuser vos loisirs. L’héroïne du roman est une de vos compagnes, l’auteur un de vos compatriotes, les lieux de la scène sont ceux que chaque jour vous parcourez, voilà déjà je pense de quoi me concilier votre faveur en piquant votre curiosité. Après cela, pour émouvoir vos jeunes cœurs de filles, j’ai compté sur la peinture naïve d’une passion profondément sentie, tout comme pour exciter votre gaîté, j’ai espéré que quelque saillie heureuse viendrait par ici par là se glisser au bout de ma plume. Peut être ai-je trop présumé de mes forces, mais après tout, je ne prétends pas à ces résultats gigantesques que nos romanciers les plus célèbres n’ont pas toujours obtenu; ainsi vous ne fondrez point en larme en me lisant et vous ne pâmerez pas non plus de rire: à moi écrivain modeste un demi-succès; à moi une palpitation légère qui soulève tant soit peu votre sein, un sourire imperceptible qui vienne errer sur vos lèvres, une larme si vous voulez à l’endroit le plus pathétique, une seule larme pas plus grosse qu’une tête d’épingle, c’en est assez pour moi, je suis récompensé.

Gentilles grisettes, vous seriez des étoiles dans le ciel, ici vous êtes des perles fines, perles semées par le bon Dieu sur le pavé de nos rues et dans nos places publiques; perles dans nos promenades, perles à vos croisées et sur le seuil de vos maisons. L’habitant accoutumé à vous voir jamais ne s’en rassasie et l’étranger qui arrive pour la première fois s’arrête sur votre aspect, frappé tout d’abord de votre costume pittoresque et nouveau pour lui. Ce petit bonnet évasé sur le front, arrondi avec art vers les tempes, ces yeux noirs sous le tulle, ces pieds mignons, cette démarche vive et légère, tout cet ensemble de grâce et de coquetterie le ravit, le transporte, il reste en contemplation devant vous, l’y voilà comme une statue, il y serait encore, mais la cloche du dîner s’est faite entendre à l’hôtel de l’Europe, il se retire et silencieux rempli de votre image, rêvant au bonheur de vous revoir pour vous dire qu’il vous aime, et peut être nourrissant au fond de son cœur l’espoir de votre cœur en retour. Gentilles grisettes, daignez accueillir mon hommage, mon livre et moi, nous sommes à vos pieds[1] ».


[1]          Anonyme, vers 1840, ADPO, fonds Ducup de Saint Paul. Il pourrait s’agir d’un fils de la famille Carcassonne, propriétaires sous la Restauration du fameux hôtel.

Les Grisettes de Perpignan sous Louis Philippe

Grisette de Perpignan, vers 1845, Perpignan. Musée des Arts et Traditions Populaires de la Casa Pairal.

On trouve les grisettes principalement à Paris mais aussi dans toutes les villes de province. A Perpignan, ces jeunes filles portent à la perfection le bonnet roussillonnais, avec tous les atours de la mode.

Ce sont elles qui introduisent dans le costume traditionnel les manches à gigot, les châles à longues franges et les fichus en imprimés bariolés. Leur attention au moindre détail de l’habillement et de la coiffure les conduit forcément chez François Gervais, quincailler de la place Laborie, (actuelle place Jean Jaurès). Dans cet antre de la mode, elles choisissent des rubans de toute sorte, en satin, en taffetas, en fleurets de Padoue. Elles en feront des ceintures ou bien elles en garniront leur coiffe du dimanche.

L’été, elles se promènent au jardin de la Pépinière dans de légères robes d’indiennes, où de mousselines brodées pour le plus aisées. La mode des hauts chignons et des peignes à la girafe donne à leur coiffe une ampleur et une hauteur étonnante. Leur costume d’été se compose le plus souvent d’un corset sans manche, d’un tablier et de poches en cotonnade unie, d’une jupe en indienne sur quelques jupons blancs de coton.

Grisette, Perpignan, A. Matthieu, 1834.

Les coiffes sont en percale ou en mousseline finement brodée. Le chaland ne manque pas de remarquer lors des bals publics ces jolies jeunes filles qui «ont toutes un bonnet à la Catalane avec un ruban de couleur autour. La plupart ont des souliers blancs, elles ont généralement les yeux expressifs. La ligne des mamans avec des bonnets ronds, sans ornements ; en arrière de celle des jeunes personnes, est unique[1].»

L’hiver, les belles Catalanes portent des robes d’une seule pièce, en lainages, et par-dessus, un châle carré, de Nîmes, à fond blanc, vert, rouge ou jaune et dont les bordures sur les quatre cotés sont toujours agrémentées d’une bordure de boteh multicolores et d’écoinçons aux angles. Les châles carrés à fond noir sont portés par les femmes mariées.

Les bas de coton sont eux aussi préférés aux bas de laine traditionnellement tricotés en Cerdagne et portés pas les paysannes. La beauté des grisettes de Perpignan est reconnue par leurs contemporains, locaux ou de passage. Les notes de voyage du peintre grenoblois Diodore Rahoult (1819-1874) nous le précisent. Jeune homme, il se rend à Perpignan et sur la côte catalane en 1842.

Son passage dans la capitale roussillonnaise est décrit comme une révélation, notamment pour l’ambiance qui  règne dans une ville remplie de jolies filles : « Oh ! Je voudrais avoir un crayon de feu pour graver en lettres ineffaçables ces quelques lignes, je voudrais pouvoir dépeindre ces blancs visages de jeunes filles avec leurs yeux noirs et assassins, leurs bouches souriantes, ces sourcils noirs et arqués, ce cou d’une finesse étonnante, ce contour du menton, du visage…

Oh ! Ceci est très admirable, devrais-je dire, j’ignore si plus tard je verrai mieux mais toujours est-il que jamais en ma vie je n’ai vu de si jolies femmes, et réunies en aussi grand nombre. Et cela parmi les grisettes et les paysannes. 

Oh ! Que j’aime ce petit filet de cheveux noir qui se colle sur ces joues d’une blancheur mate et polie comme l’ivoire.

Oh ! Je me souviendrai des femmes d’Arles (en Provence) et de Perpignan. Et puis il faut les voir, ces beautés, dansant la catalane sur la place au son d’une musique pyrénéenne. Le hautbois, le flageolet et le tambourin jouent un grand rôle. Dans la ville circulaient des costumes de toutes sortes, des espagnoles avec leur mantille, des zingaras[2] avec leur mouchoir sur la tête, les roussillonnaises les unes tantôt avec un capuchon blanc ou noir, les autres avec leurs petits bonnets blancs. En ais-je assez dit des femmes de Perpignan?

Oui car je finirais par ne plus finir, L’enthousiasme m’emporte mais c’est assez. Oh ! Perpignanaises je rêverai à vous c’est sur, votre aspect a presque rendu fou non seulement moi, mais mes compagnons de route.

Partout des jolies femmes ! Dans les rues sales et noires, vous voyez un petit bonnet national, un cou blanc et effilé, vous vous retournez et vous êtes sur que c’est une jolie femme[3]. »


[1]              Rouffiandis, (L.), Le général de Castellane à Perpignan, SASL des PO, 1956, p.137.

[2]              Nom qu’il donne aux gitanes.

[3]              De Perpinyà a Banyuls de la Marenda, présenté par Camille Descossy, Terra Nostra, n.38.

Le temps des Grisettes

Peter Finder, le triste sort d’une grisette

Pour savoir ce qu’était une Grisette, reportons nous à la description que nous a laissé E. Desprez :

«Autrefois on appelait «Grisette» la simple casaque grise que portaient les femmes du peuple. Bientôt la rhétorique s’en mêla. Les femmes furent appelées comme leur habit. C’était le contenant pour le contenu. Les grisettes ne se doutent guère que leur nom est une métonymie. Mais voyez un peu ce que deviennent les étymologies et les grisettes ! La grisette n’est pas même vêtue de gris. Sa robe est rose l’été, bleue l’hiver. L’été, c’est de la perkaline ; l’hiver, du mérinos. La grisette n’est plus exclusivement une femme dite du peuple. Il y a des grisettes qui sortent de bon lieu. On reconnaît une grisette à sa démarche, au travail qui l’occupe, à ses amours, à son âge, et enfin à sa mise. J’entends parler surtout de sa coiffure.

La grisette marche de l’orteil, se dandine sur ses hanches, rentre l’estomac, baisse les yeux, vacille légèrement de la tête, et, pour tacher de boue ses fins bas blancs, attend presque toujours le soir. Elle travaille chez elle, loge en boutique où va en ville. Elle est brunisseuse, brocheuse, plieuse de journaux, chamoiseuse, blanchisseuse, gantière, passementière, teinturière, tapissière, mercière, culottière, giletière, lingère, fleuriste. Elle confectionne des casquettes, coud les coiffes de chapeau, colorie les pains à cacheter et les étiquettes du marchand d’eau de Cologne ; brode en or, en argent, en soie, borde les chaussures, pique les bretelles, ébarbe ou natte les schalls, dévide le coton, l’arrondit en pelotes, découpe les rubans, façonne la cire ou la baleine en bouquets de fleurs, enchaîne les perles au tissu soyeux d’une bourse, polit l’argent, lustre les étoffes ; elle manie l’aiguille, les ciseaux, le poinçon, la lime, le battoir, le gravoir, le pinceau, la pierre sanguine, et dans une foule de travaux obscurs que les gens du monde ne connaissent pas même de nom, la pauvre grisette use péniblement sa jeunesse à gagner trente sous par jour.

La grisette a un âge fixe. C’est-à-dire qu’une grisette ne saurait avoir ni moins de seize ans, ni plus de trente. Avant seize ans, c’est une petite fille ; après trente ans, c’est une femme. Le nom de grisette ne lui est applicable que dans l’intervalle qui sépare ces deux âges. La trentaine venue, celle qui fut quatorze ans grisette et quatorze ans traitée comme telle, dépossédée par le temps, tombe dans le rang commun des ouvrières. Acception faite de l’âge et du métier voulus, toute personne du sexe féminin est grisette, qui porte un bonnet semaine et dimanche, qui porte un bonnet toute la semaine, sauf le hasard d’une noce ou d’un grand dimanche. Mais n’est pas grisette, qui ne porte bonnet, ni semaine ni dimanche. A cette règle générale, je ne connais pas une exception[1]

Grisette livrant, Gavarni.

[1]              Desprez, (E.), Les grisettes à Paris, 1827.

Laisser trace

Portrait de Catalane, Michel Pouig, 1845, Perpignan.
Musée des Arts et Traditions Populaires de la Casa Pairal.

Toujours préoccupés par leur apparence, les Perpignanais pouvaient se faire brosser le portrait auprès d’un certain Gilbert-Castelli, de passage début 1834 à l’Hôtel de l’Europe. C’est l’un des nombreux peintres itinérants qui proposaient régulièrement leurs services afin de payer leur villégiature.

Celui-ci, « peintre en portrait miniature, très avantageusement connu pour la ressemblance, peint le portrait en une heure de séance pour le prix de douze francs, il retouche aussi les portraits non ressemblants, les change de costumes, peint à l’huile et restaure les vieux tableaux».

La même année, un peintre parisien dénommé Fallot propose, lui-aussi, ses services. Il résidait chez le maitre-tailleur Louis, rue de la Loge. « Plusieurs portraits de personnes bien connues de la ville, tous d’une ressemblance extraordinaire, ont déjà été exposés. Ils attestent du beau talent de cet artiste recommandable[1]

Le concours de peinture organisé en 1846 à perpignan reconnaît la valeur de peintres locaux comme Michel Puig ou encore Jacques Quès, que l’aide du Conseil général avait  permis de former à Paris[2].


[1]              JPO, 1834.

[2]              SASL des PO, 1848, XI.

Circuits d’approvisionnements en nouveautés sous Louis Philippe.

La Loge de Mer de Perpignan par Diodore Rahoult.

La maison Terme, 12 rue des Trois Journées, indique des arrivages parisiens, en habits confectionnés pour enfants, des rouenneries, des indiennes, des mouchoirs de nez de Cholet et Rouen, mérinos, alepines, ainsi que des draps. L’industrie parisienne s’impose dans un système de production de masse alimentant les magasins de province les plus éloignés.

En 1846, une annonce des 100 000 paletots indique : «Le gérant de la maison prévient le public qu’il arrive de Paris, avec un assortiment de marchandises de tout genre. Ayant passé plusieurs mois à la capitale pour faire confectionner les articles les plus nouveaux pour la jeunesse élégante de cette ville : coupe nouvelle de paletots, gilets à la Louis XV[1] ».

Ce circuit concerne aussi les fabrications en petites séries, comme les chapeaux pour femmes qu’il convient de ne jamais avoir en double dans une ville aussi petite. Aucune Catalane ne supporterait de croiser en ville une capote identique à la sienne !

Des lyonnais s’installent peu de temps rue de la Préfecture, à l’enseigne du Coq Hardi. Ils ne conservent pas ce comptoir, qu’ils soldent en 1846. On y trouvait des indiennes de Mulhouse, des foulards de soie, des fichus, châles, soieries, mousselines de laine, des textiles d’ameublement et madapolams.

Des boutiques s’ouvrent en étage, tel au premier de la Maison Argiot place de la Liberté (actuelle place de la République), où M. P. Folquet propose aux élégantes un joli assortiment d’étoffes nouvelles. « Pour pouvoir vendre très bon marché, il est urgent de faire peu de frais de magasin, c’est par cette raison qu’un premier étage est préférable. M.Folquet est actuellement en fabrique pour les achats. »

Les boutiquiers de Perpignan vont directement négocier les prix dans les usines textiles, fussent-elles éloignées, plutôt que de faire confiance aux démarcheurs. Folquet étend son activité et finit par investir le rez-de-chaussée de la Maison Argiot avec des «draperies du Midi et du Nord, estams, castreize, ou sarguils, auxquels il a adjoint un très grand assortiment d’articles de Reims, Amiens, Paris, Mulhouse, Flers, Villefranche, avec des mérinos, des napolitaines, des cachemires d’Écosse, châles, percales, calicots, indiennes, velours, moletons et flanelles.»

Les couturières sont les plus au faîte de la mode. Les sœurs Antoinette et Anne Pairi participent en 1839 à l’exposition des produits de l’Industrie à Paris. Elles y présentent «une robe de femme sans couture, garnie de dentelles catalanes, fond rayé avec bordure riche, et un bonnet de dentelle de la même fabrication. L’exécution de ces objets fut jugée parfaite et le dessin de bon goût[2]».


[1]              JPO, 1846.

[2]          Exposition de l’Industrie française, rapport du jury central en 1839, Paris, p. 348.

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