Association ethnographique

Catégorie : Monarchie de Juillet (Page 4 of 4)

Perpignan à l’époque Romantique

En 1840, la collection intitulée « Les français peints par eux-mêmes », dresse un portrait de la capitale du Roussillon et de ses habitants :

« Comme presque tous les habitants des provinces méridionales, les Perpignanais ont une vie presque toute extérieure. La moitié de leur temps s’écoule à flâner sur la place de la Loge, en fumant une cigarette espagnole fabriquée chez eux. Ils causent un peu de leurs affaires et beaucoup de celles du voisin, vont voir parader les troupes de la garnison sur la place d’Armes[1] où s’élèvent les casernes que Louis XIV fit bâtir pour loger cinq mille soldats, et finissent leur journée sous les ombrages des Platanes, en été, et dans les grandes allées de la Pépinière, en hiver.

C’est là que se promènent le soir, toute la population perpignanaise, grandes dames et grisettes en toilettes, celles-là se faisant voir, celles-ci regardant du coin de l’œil, toutes jouant de la prunelle et de l’éventail, en femmes qui ont du sang espagnol dans le cœur.

Ne parlez pas aux Perpignanaises des Tuileries ou des Champs-Elysées. Qu’est-ce que tout cela auprès des Platanes et de la Pépinière, ces chères promenades qui leur rappelle à tous des souvenirs d’enfance et d’amour. C’est là qu’ils ont joué, c’est là surtout qu’ils ont obtenu leur premier rendez-vous[2]. »

Grisette de Perpignan en 1834, col. part.

Les danses organisées lors des fêtes votives donnent l’occasion à la population de se montrer dans ses plus beaux habits. Le saut roussillonnais frappe invariablement les voyageurs.

«Les Baillas (els Baills), ce sont les danses en usage en Roussillon et principalement à Perpignan, ou elles ont lieu à des époques fixes dans chaque quartier. Alors on établi une sorte de foire dans le voisinage de l’église, et l’on construit une vaste tente, décorée de guirlandes et garnie de bancs, dans l’intérieur de laquelle le Ball se donne. Les ordonnateurs de la fête ont pris soin de se rendre avec leur musique chez toutes les personnes aisées du quartier, dont l’offrande leur sert à payer les frais de cette fête.

Le corps de musiciens, qu’on appelle les joutglars, est ordinairement composé de cinq à six hautbois, parmi lesquels il y a le prime et le tenor, puis d’un galoubet et d’un tambourin. Ces deux derniers instruments sont joués par le même homme qui tient le premier de la main gauche et frappe le second de la droite.

Chaque danseur paie tant par chaque baill qu’il danse, et l’on admet à la fois autant que l’intérieur de la tente peut en contenir, et leur laisser assez d’espace pour exécuter leurs figures, mais il y a tel ou tel amateur qui, par galanterie pour une dame ou par vanité personnelle, réclame de danser seul avec sa danseuse, et alors il s’établit une sorte d’enchère qui porte souvent au prix de 150 ou 200 francs, le plaisir de fixer sur soi, pendant un quart d’heure, ou vingt minutes ou plus, tous les regards de l’assemblée.

Les jeunes gens des meilleures familles, et même quelque fois les dames de la société, figurent dans cette danse: les premiers en veste et en bonnet catalan, les seconds en grisettes du pays. Le baill est une danse extrêmement gracieuse, qu’il faut voir pour la bien juger, qu’il est difficile de décrire, et qui n’est exécutée, avec perfection, que par les gens du peuple, surtout les femmes qui y déploient une légèreté et une désinvolture ravissantes. Les cavaliers font d’abord quelques pas en avant avec leurs danseuses, puis, se tournant subitement face à face, la dame se recule en décrivant une sorte de cercle, et le cavalier la suit en formant quelques pas, et en s’accompagnant des castagnettes, s’il est danseur par excellence.

Dans le nombre de pas qu’il exécute, il en est un fort singulier, qu’on appelle la cama-rodona, et qui réclame autant d’adresse que de légèreté  puisqu’il ne s’agit pas moins de passer le pied droit par dessus la tête de la danseuse. Celle-ci au bout de quelques instants, poursuit son cavalier qui recule à son tour, et l’un et l’autre changent deux ou trois fois de danseur ou de danseuse; puis deux ou plusieurs couples se réunissent, forment un cercle; les danseuses placent à droite et à gauche la main sur l’épaule des cavaliers, s’élèvent en l’air, et ces cavaliers, les jarrets tendus, la poitrine en avant, et les bras soulevés, les soutiennent de leurs mains, placées sous les aisselles. Tous restent dans cette position pendant un point d’orgue des musiciens, et comme les têtes des danseuses se trouvent rapprochées, les unes des autres, presque toujours quand ces danseuses se connaissent, elles s’embrassent avant d’être déposées à terre.

Lorsque ceci a lieu, elles répètent la même figure qui se reproduit tant que dure chaque ball. En outre de la cama-rodona, il y a un autre saut qui demande de la part du cavalier, la même adresse et quelque force. La danseuse s’avance vers lui, elle place la main gauche dans la droite, qu’il lui tend, un triple élan est alors donné à ces deux mains réunies, et la danseuse raidissant le bras gauche et s’appuyant de la droite sur l’épaule de son danseur, s’élance pendant que celui-ci la soulève et l’assied sur sa main. Avant de la remettre à terre, il fait deux ou trois pirouettes en la tenant ainsi[3]


[1]              Place Gambetta

[2]          Les Français peints par eux-mêmes, encyclopédie morale du XIXème siècle, volume 3, L. Curmer, éditeur, page 94.

[3]          Nore, (A. de), Coutumes, mythes et traditions des provinces de France, Paris, 1846, p.112.

Aplecs aux ermitages sous Louis Philippe.

Autres rites de la vie des roussillonnais, les fêtes religieuses organisées dans les ermitages donnent lieu à des rassemblements où s’exprime la richesse des costumes catalans. Sous la Restauration, l’Église catholique retrouve ses prérogatives. La nomination en 1823 de l’évêque François de Saunhac-Belcastel sur le siège de Perpignan, resté longtemps vacant, ainsi que la restauration de la royauté, redonnent à la religion la place dans l’espace public qu’elle possédait avant la Révolution Française. C’est le retour à de très nombreuses fêtes et processions et  la création de nouvelles décorations dans les églises. La reprise en main des populations rurales par le clergé s’obtient notamment en ressuscitant les aplecs, ces rassemblements villageois autour d’un sanctuaire à une date précise.

« Outre les fêtes de villages, la dévotion a été la cause de grandes réunions qui appellent les Roussillonnais à jour fixe autour d’ermitages vénérés. Il y en a beaucoup comme cela dans le pays, les plus vénérés sont ceux de Saint Ferréol, de Domanova, et enfin celui de Nuria où les jeunes femmes qui demandent un enfant dans leurs prières se plongent la tête dans un vase profond. Ces réunions comptent quelquefois jusqu’à dix à douze mille personnes selon l’importance de l’ermitage et la réputation du saint. Les Roussillonnais accourent du haut et du bas du pays. Les hommes ont revêtu leurs plus riches habits pour cette solennité aussi bien mondaine que religieuse: le bonnet de laine rouge, qui pend sur l’épaule, est fièrement posé sur le côté du front, l’espadrille, sorte de sandale catalane faite en corde, s’enroule autour de la jambe, retenue par de rubans de couleur éclatantes croisés en losange, la longue ceinture de soie ou de laine rouge presse la taille et vient se nouer coquettement sur la hanche; la veste à boutons de cuivre se balance sur le bras comme le dolman du hussard. Les femmes portent le corset de velours, la jupe écarlate qui laisse voir la jambe fine et le pied leste, et la coiffe blanche rejetée gracieusement sur le derrière de la tête, avec une bande de dentelle cintrée comme une arcade au-dessus des cheveux nattés sur le front. D’autres, celles qui descendent des hauts plateaux du Capcir, enveloppent leurs cheveux tordus et serrés dans un réseau de soie qui s’effile jusqu’au gland flottant sur les épaules, les femmes de la Cerdagne croisent un mouchoir de soie à carreaux sur leur tête, deux bouts pendant sur le cou tandis que les deux autres se nouent sous le menton[1]

Le plus important de ces aplecs se déroule à Font-Romeu en Cerdagne. «Tout est spectacle à Font-Romeu le jour de la fête. C’en est un, en effet, et des plus curieux, que cette grande variété de costumes, qui, à la vérité, s’est considérablement effacée depuis quelques années, mais qui offrait encore, il y a un quart de siècle, les différences bien tranchées et faisait facilement distinguer, dans les femmes surtout, la Languedocienne de l’habitante du Pays de Foix, la Capcinaise, à la robe bordée d’une sorte de méandre de couleur brillante et quelques fois d’un galon d’or ou d’argent, de la Cerdane au costume gracieux que, par esprit patriotique autant que par coquetterie, ne manquait jamais de prendre ce jour-là celle qui portait habituellement la robe à la mode de France. Une nuance différenciait également le vêtement des Catalanes suivant les localités d’où elles provenaient. Le costume de la Cerdane ou Cerdagnole élégante, se compose, aux jours de fête, d’un réseau de soie rose, amarante, cramoisie ou noire descendant très bas, et terminé par une longue queue garnie de petites houppes à boutons et à grains d’argent ou d’acier, placé sur le haut de la tête et laissant à découvert les cheveux du front bien partagés, lissés et repoussés derrière les oreilles, et noué par de larges et longs rubans dont les anses et les bouts retombent de chaque coté des tempes; d’un fichu de mousseline brochée appliqué sur ce réseau et se colorant légèrement de la teinte du transparent; de longues pendeloques descendant sur les épaules et brillantes des pierreries fines ou fausses dont elles sont chargées; d’un corset de beau drap, de gros de Naples ou de velours bien serré à la taille ; d’un fichu de soie rose, blanche, noire ou de toute autre couleur, brodé en or tout à l’entour, parsemé de fleurs en or et soie, et bordé d’une ruche de mousseline ou de tulle ou même d’une frange d’or; d’une jupe à très petits plis en drap ou indienne; d’un tablier arrêté par des lacets plats dont les bouts pendent par devant; de bas blancs ou gris de lin pour les plus élégantes. La chemise qui est fendue par devant comme celle des hommes, est fermée au dessous du cou, par un bouton à deux têtes chargées d’une pierre de couleur; et la bordure du fichu, dont les eux bouts vont s’engager sous une ceinture de ruban, descendant à coté l’un de l’autre, forment sur le sein une manière de jabot d’un effet aussi pittoresque que gracieux. C’est aussi un spectacle, en descendant de la Miranda (Font-Romeu) que la vue au milieu des pins, des rochers et de la pelouse, de cette multitude de chevaux, de mules, de baudets qui, isolés ou par groupes, et pour la plupart abandonnés à eux-mêmes, paissent l’herbe qui naît du sol. Vous y voyez les selles, les bardelles éparses un peu partout, et à leur forme vous jugez de quel canton elles proviennent.

Les selles des femmes, toutes à reins et dans le goût espagnol, sont, les unes profondément encaissées de trois cotés, couvertes de broderies en laine de toutes couleurs, les autres fermées de deux cotés seulement et ayant pour dossier une basane matelassée, bordée, comme les cotés de longues franges et de crépine de soie cramoisie, avec rosaces brodées, avec houppes et glands attachés à tous les angles et pendant de toutes les parties du harnais; d’autre sont de véritables fauteuils pliants dont les bois présentent une suite de pommes, comme les meubles du Moyen-âge dont ces selles sont contemporaines.

Les selles des hommes n’offrent pas moins de variété. A la couleur éclatante des housses, à la forme des caparaçons, à la hauteur des pommeaux et des troussequins, aux étriers en bois, aux plumets, aux pompons, aux flocs qui ornent les têtières, on reconnaît facilement les montures des Espagnols et celles des riches pagès de l’extrême frontière. Les personnes qui arrivent isolément à Font-Romeu, sont généralement celles qui viennent des cantons les plus éloignés, les habitants des villages circonvoisins y montent ordinairement réunis par populations. Les bandes des villages français, ayant à leur tête leurs juglars (ménétriers) et accompagnés de leur maire et de leur curé ; celle des villages catalans ayant aussi leurs musiciens, leur pasteur et leur alcalde, accourent de la Cerdagne et des points les plus voisins de la Catalogne.

Un autre tableau qui ne frappe et n’intéresse pas moins, c’est du haut de la Miranda, en laissant tomber ses regards à ses pieds, celui de cette quantité immense de personnes se mouvant sur le plateau même de Font-Romeu, de ces innombrables bonnets catalans dont la vive écarlate produit, de cette distance, l’effet le plus singulier.[2]


[1]              Les Français peints par eux-mêmes, encyclopédie morale du XIXème siècle, volume 3, L. Curmer, éditeur, p. 101.

[2]              Henry, le guide en Roussillon, 1842, p. 244-247.

Gitans du Roussillon sous Louis Philippe.

Le Roussillon a toujours eu des gitans, qualifiés à cette époque du terme de gitanos. Leur habillement et leurs coutumes ont étonné bien des voyageurs. Les érudits roussillonnais vont aussi les regarder comme un objet d’étude. Leurs origines obscures et leur mode de vie  donnèrent lieux à un grand nombre de dissertations.

« Ces jours derniers, un jeune couple de l’espèce en question (sic) entra, avec un cortège homogène, dans l’oratoire de l’Hospice civil de cette ville, vers les six heures du matin. Taille svelte, vêtement propre et élégant, peigne à la girafe surmonté d’un foulard rattaché sous le menton, telle était la fiancée. Le galant avait aussi assez bonne façon. « A la promissencia, a la pila !», s’écrièrent ils tous d’abord, en se dirigeant vers les fonts baptismaux des enfants trouvés. Là, ils se mettent à genoux et disent tout bas leurs patenôtres. On se lève, la donzelle se poste debout vis à vis de la statue de la sainte Vierge et la salue en élevant à la hauteur de la tète ses mains étendues, en les portant en avant, à droite et à gauche. Elle lui adresse une prière précipitamment et en des termes étranges. Bref elle termine son invocation par un gros crachat expectoré avec effort lequel avait sans doute un sens emblématique et mystique. En même temps,  elle prend la main du futur époux et, la tenant appliquée contre son cœur, elle prononce son engagement. Vint le tour du camarade, mais il n’avait pas trop étudié son rôle et ne sut que répéter mot pour mot la formule que lui souffla sa prétendue. Après quoi, celle-ci se signe trois fois sur le ventre, en appuyant très fortement le tranchant de sa main le long et en travers d’une extrémité à l’autre. Une vieille au col tors s’approche d’elle, et lui posant une main sur l’épaule, marmonne dévotieusement je ne sais quel orémus, ou quelle bénédiction. Ils vont tous enfin se ranger autour du bénitier, et la mariée les asperge à pleine main. Jusque là rien que d’édifiant, mais à peine sont ils à la porte que d’un ton des plus énergiques, madame recommande à monsieur l’article de la fidélité conjugale, le menaçant pas moins, s’il l’oublie, que de lui arracher quoi… ? Une épaule : « t’arrencaria una espatlla, t’arrencaria una espatlla », lui crie-t-elle plusieurs fois. Galanterie pour galanterie, le mari brandissant sur elle un gourdin, lui promet de son coté avec de gros et vilains jurons, de lui casser les os, de lui arracher les yeux ou le foi, en cas de forfaiture. On doit croire que de pareils compliments ne se trouvent que dans le rituel gitanesque, d’autant plus qu’ils parurent scandaleux et sinistres à un grave personnage de la noce. « Vaya, vaya.. ».disait-il, et redisait-il sentencieusement, « tots avui quedaran amics ». C’est à dire qu’il n’assurait qu’un seul jour d’amitié aux nouveaux conjoints.[1]»

En 1842, le perpignanais Henry, auteur d’un guide du voyageur, note les détails de leur habillementfort semblable au costume catalan : « Sur les bords du glacis de l’avancée, on voit réunis par groupes, des individus au teint enfumé, cheveux lissés, traits du visage fortement prononcés, stature haute et élancée, vêtus d’un pantalon montant sur la poitrine avec un gilet descendant à peine de quelques doigts sous les aisselles, veste toute aussi courte garnie souvent de boutons de métal en boule, suspendus à un long chaînon, bonnet rouge ou noir, tantôt descendant jusqu’au milieu du dos, tantôt deux fois replié au-dessus de la tête, et souvent coiffés d’un mouchoir plié en bandeau appliqué sur le front et noué par derrière, ceinture rouge ou noire à laquelle sont ordinairement suspendues les morailles, des cordes, une trousse de cuir contenant de larges et très longs ciseaux à lame arquées d’une façon particulière : ce sont des gitanos, des bohémiens[2] »

Enfin, l’érudit Jaubert de Réart[3] se démarque de ses contemporains par une vision humaniste porté sur la population gitane du Roussillon. Son discours se passe de commentaires : « La plupart des auteurs qui on écrit sur les gitanos, s’efforcent de nous les dépeindre sous les couleurs les plus défavorables. Trop généraliser en cette matière comme en toute autre est une erreur que repoussent la raison et l’observation impartiale. Parce que l’on taxe la Nation française de légèreté et d’inconstante, il ne faut pas en induire que tous les français sont d’un caractère léger et inconstant ; comme aussi toutes les circassiennes ne sont pas toutes belles, les Anglais n’ont pas tous le spleen. Il ne faut pas mettre non plus sur la même ligne tous les bohémiens, tous n’habitent point sous les ponts ou dans les chapelles ruinées, se nourrissant de mets immondes et vivant, comme l’on dit, sans foi ni lois. Il en est parmi le nombre qui, vus sans prévention, ne seraient peut-être pas jugés indignes de cette société qui les repousse, et l’on peut dire que ce qui influe le plus sur le sort d’un grand nombre d’entre eux, comme sur celui de tous les hommes, c’est la misère qui dégrade tout ce qu’elle touche[4]. »


[1]       Le Publicateur, 1833, P.Puiggary, « Mariage entre bohémiens », p.135.

[2]              Henry, (D.M.J), Le guide en Roussillon, édition Alzine, Perpignan, 1842, p.10-11.

[3]              Né à Perpignan en 1792, membre du conseil d’arrondissement et de la société philomatique de Perpignan.

[4]              Le Publicateur, 1834, Jaubert de Réart, le grand beiram des bohémiens, p.4-5.

Fêtes villageoises

Voyage pittoresque dans les Pyrénées françaises et dans les départements adjacents, d’après les dessins de M. Meeling. Paris, 1826-1830

L’auteur Amédée Achard (1814-1875), marseillais d’origine, apporte une description du Roussillon qui donne une foule de détails intéressants et très véridiques. Sa vision est celle d’un touriste, un terme nouveau né avec l’avènement du thermalisme pyrénéen.

«Si au détour d’un sentier, dans la montagne, le touriste entend un bruit joyeux de voix et d’instruments, il peut être certain qu’une fête locale, dans le dialecte catalan «festa major», fête majeure littéralement, se célèbre aux environs; chaque village a la sienne. Alors il peut avancer hardiment et il assistera à un des spectacles les plus curieux que le Roussillon puisse offrir au voyageur. Ce jour là ou ces jours là, toute la population est sur pied, hommes, femmes enfants, vieillards. Les chants, les cris, la gaîté bruyante et expansive naissent avec les premiers rayons.

A tout instant, par la montagne et par la vallée, arrivent des troupes d’amis et d’invités. Les hameaux voisins émigrent, laissant chez eux les malades et les chiens, tout au plus. La foule et le tumulte s’accroissent sans cesse, le plaisir grandit en proportion. Toutes les maisons sont ouvertes, la basse cour a été immolée en masse, le veau gras tourne à la broche, les pièces de vin sont défoncées, la table est servie du matin au soir. Toutes les économies de l’année se fondent en un jour.

Avant de toucher au festin, on a dansé. Dans l’ordre des préséances en Roussillon, les jambes ont le pas sur l’estomac. Quelquefois même avant de danser on a entendu la grand-messe; l’office, comme on dit dans le pays. La religion donne par avance l’absolution au plaisir. La grand-messe a été chantée avec pompe, sous les voûtes de l’église, ornée de fleurs. Les cierges étincellent; le prêtre a revêtu ses plus beaux ornements sacerdotaux; les saints des chapelles ont fait toilette, leurs habits reluisants disparaissent sous les rubans et les paillettes d’or. La foule agenouillée est en grand costume de fête; le chantre enfle sa voix au lutrin. Les enfants de chœur aiguisent leur ténor: l’orgue s’il y a un orgue semble avoir plus d’éclat que de sonorité.

Enfin l’office terminé, le peuple se répand dans les rues, le village est en ébullition. Les chiens eux-mêmes savent qu’il y aura franche lippée, aboient gaiement en remuant la queue, il n’y a que les coqs qui gardent silence au milieu du bruit ; ils se taisent hélas! Et pour cause. Cependant au sortir de l’église, toute la population cour sur la place publique pour danser ce que l’on appelle le «ball d’offici», prononcez baïl. Chaque danseur entraîne sa danseuse engagée d’avance ; c’est le plus souvent une fiancée, ou une cousine tout au moins. Cette première danse semble avoir emprunté un peu de son caractère à la solennité religieuse à laquelle tous viennent d’assister ; elle est grave; mesurée, en quelque sorte majestueuse.

Mais bientôt après le dîner, tandis que les grand-pères roussillonnais jouent entre eux le «flor» ou la manille,-et si nous disons les grand-pères, c’est parce que les Roussillonnais simplement pères dansent aussi gaiement que leurs fils, -toute la population commence les «balls».

C’est alors une fougue irrésistible, un entraînement impétueux, le cercle des danseurs va toujours s’élargissant, le nombre de spectateurs diminue en proportion, bientôt il n’en reste plus, tout le village danse, et deux ou trois générations pirouettent pêle-mêle.

Une grande part de cette ardeur publique doit être attribuée à la musique qui exerce une influence invincible sur les nerfs des auditeurs. C’est vainement qu’un Roussillonnais voudrait demeurer paisiblement assis en dehors du «ball», au premier son des hautbois ses muscles s’irritent, les jambes se trémoussent, son corps se balance, et bon gré mal gré, il faut qu’il se mêle à la phalange des danseurs. C’est une musique vibrante dont l’action se fait sentir, même sur les étrangers. Serait-ce à cette musique qu’il faut attribuer le goût de la danse, ou serait ce à l’amour passionné de la danse qu’est due la musique roussillonnaise? C’est une question qu’il est impossible de résoudre, mais toujours est-il qu’elles s’harmonisent merveilleusement. Ce sont deux choses crées l’une pour l’autre.

L’orchestre des «balls» se compose ordinairement d’un certain nombre d’anciens et grands hautbois, de clarinettes, de cornemuses et d’un flageolet très aigu, à trois trous, dont joue le chef d’orchestre, lequel marque la mesure en frappant avec une légère baguette, sur un petit tambour de quelques pouces de hauteur et de diamètre suspendu au bras qui tient le flageolet. Dans les villages où les progrès de la civilisation se font sentir, on a ajouté un trombone à tous ces instruments; les cornets à piston ne tarderont pas à faire invasion. Les musiciens s’appellent «jutglars», nom qui dérive évidement de jongleurs. Les Roussillonnais poussent si loin l’amour de la danse qu’ils exécutent entre eux, sans le concours des femmes, une danse particulière appelée contrepas.

Les hommes figurent en rond en se tenant par la main ou isolément les uns devant les autres. Il n’est pas rare d’en voir cent, deux cent, trois cent même danser ainsi. Au contrepas succède les «balls» auxquels les femmes prennent part avec une ardeur qui ne le cède en rien à celle de leurs maris. Le saut à deux est fort en usage en Capcir. Les montagnards exécutent cette danse à la fois élégante et bizarre, où la femme élevée par son cavalier, reste assise quelques instants sur la main, tandis qu’il tournoie sur lui-même, en jouant avec un vase dont le nom, «almaratxa», est comme la danse, d’origine mauresque.

C’est une burette de verre blanc à pied, à panse large, à goulot étroit, et garnie de plusieurs becs par lesquels les danseurs arables faisaient pleuvoir des eaux de senteur sur les aimées. D’autres danses sont encore à l’honneur dans le Roussillon, bornons nous pour terminer cette analyse chorégraphique, à citer les «seguidillas», danse d’origine catalane qui s’exécute au chant de couplets du même nom, par un cavalier et deux danseuses, sur un rythme vif, court et animé, et enfin «lo ball de ceremonia», usité à Prats de Mollo, dans le Vallespir, et qu’un cavalier danse avec un nombre indéterminé de danseuses, en figurant devant chacune d’elles tour à tour[1]


[1]              Les Français peints par eux-mêmes, encyclopédie morale du XIXème siècle, volume 3, L. Curmer, éditeur, p. 96-100.

Costumes de semaine et de fête

Les costumes des habitants des campagnes continuent à susciter la curiosité des voyageurs.

« L’habillement de la classe agricole de ce département se compose ordinairement d’une veste, un gilet et une culotte de drap ou en velours vert foncé. Ils ceignent le bas de leur ventre avec une bande très large de serge bleue ou rouge, qui fait plusieurs tours. Ils couvrent volontiers leur tète d’un bonnet de laine rouge, qui tombe à la hauteur des épaules, et même plus bas : toutefois le chapeau est adopté, mais les jours de fête et dans la plaine seulement ; ils portent des souliers ou bien des aspardaignes, ou espardaignes, chaussures en corde, dont les cordons s’attachent autour de la jambe comme un cothurne. Le costume des femmes consiste en jupons courts de cotonnade ou de laine, et corset ou camisole à manches étroites, un fichu croisé sur le corset, une coiffe sous laquelle les cheveux sont cachés; elles portent par dessus un capuchon (lou capoutchou) de laine ou de basin tombant jusqu’à la ceinture, elles sont chaussées de bas de laine ou de fil, et portent des souliers[1]. »

Dans un autre récit quasi contemporain, nous retrouvons des indications similaires.

«Les hommes ont un long bonnet rouge pendant derrière le dos, une veste courte, une ceinture rouge tournant plusieurs fois autour des reins, un large pantalon flottant, des souliers ou des espadrilles complètent leur costume[2]. » En 1833, Abel Hugo indique que certaines Catalanes portent en guise de coiffe la résille sous le fichu. Elles « ont pour coiffure un mouchoir qui, étendu comme un voile sur le derrière de la tête, s’attache par les deux bouts sous le menton. Un nœud de ruban noir recouvre avec grâce le front. Leur ceinture est fortement serrée par un corset lacé sur le devant. Elles ont une jupe courte à plis amples et multiples qui laisse voir des bas de couleur soigneusement tirés.

A la mauvaise saison, les Roussillonnaises portent un léger capuchon qu’elles replient carrément sur leur tète lorsqu’elles sont embarrassées. Les espadrilles lacées  à la manière antique » sont constituées de spart tressé. Cette description fut toutefois décriées dans le journal local : «Et dans son paragraphe où il traite des costumes, vous ne savez pas, non plus, messieurs, que de son autorité privée, il habille les hommes et les femmes de tout le département avec le costume des habitants de la Cerdagne française ?

C’est à mourir de rire. Et le costume dit à la Catalane ? M. A.Hugo, vous n’en parlez pas ? Ignorez vous qu’il est très joli, très piquant, très pittoresque ?

Lorsqu’on s’avise d’écrire l’histoire d’un peuple connu, il ne faut pas faire de pareilles fautes[3]

En effet, Abel Hugo décrit un costume de Cerdanyole et non de Roussillonnaise !


[1]          Girault de Saint-Fargeau, (E.),  Guide pittoresque du voyageur en France, contenant la statistique, 1838, p.74.

[2]              Hugo, A., France pittoresque, Pyrénées-Orientales, 1833, p.26-27.

[3]              Le Publicateur, 1834, p.42-43.

Mariages villageois

A.Bayot, noce de village.

Dans les campagnes roussillonnaises, les cérémonies liées au mariage sont propices avec un certain nombre de rites, à la sortie des plus belles tenues et parures.

« Nous sommes dans le Vallespir, le pays est accidenté, les bruyères odorantes couvrent les collines, on entend la cloche des villages qui tinte au loin. Tout à coup voilà des coups de pistolets qui retentissent, répercutés par l’écho. De vigoureux jeunes gens franchissent les ravins et les torrents, riant et chantant.

C’est au bruit des détonations d’armes à feu qu’ils courent ça et là. Ce sont des Spades; ils sont à pied, un tonnelet pend à leur ceinture. Une noce joyeuse marche derrière eux ; la mariée montée sur une mule richement caparaçonnée, son mari à cheval, tous deux suivis des parents et des invités qui chevauchent par couple, brillamment costumés et chargés de rubans. ..

Si la noce approche d’un village, voici une riante troupe de jeunes filles qui tendent sur le chemin un léger ruban de soie. Le cortège s’arrête devant cette fragile barrière, et les marguillères de la chapelle de la Vierge présentent, à la mariée d’abord, et tour à tour ensuite à chaque cavalier, des bouquets de fleurs dans une corbeille de satin brodé en or.

La cavalcade prend les fleurs, et jette dans la corbeille de menues monnaies qui servent à l’entretien de la chapelle : le ruban tombe, et le cortège continue sa route, accompagné jusqu’au bout du village des jolies marguillères. Dans le Capcir, le mariage ne s’accompli pas sans d’étranges formalités.

Quand un jeune homme, après s’être fait aimer d’une jeune fille, s’est fait agréer par le père, tous ses parents et ses amis se rendent avec lui en grande cérémonie, dans la demeure de la fiancée : toutes les conditions ont été prévues et déterminées, cependant le père feint une grande surprise à la vue de ce nombreux cortège qui vient lui soumettre la demande du jeune homme.

Il se lève gravement, marche vers la chambre de sa fille et cogne à la porte. Toutes les sœurs de la fiancée se sont réunies chez elle avec ses jeunes compagnes. La porte s’ouvre et toutes sortent les unes après les autres.

«Est ce celle-ci que vous désirez pour épouse? demande le montagnard au jeune homme en lui désignant chaque jeune fille. –Non, répond-il; la demande et la réponse se renouvelle jusqu’à ce qu’enfin la fiancée se présente.

C’est la dernière. «Voici celle que je désire» dit alors le jeune homme. «Prends la donc» répond le père en mettant la main de la jeune fille dans celle de son époux.

Lorsque le jour de la cérémonie est arrêté, le marié se rend tout seul à l’église. La fiancée y marche accompagnée de sa famille et des invités, tandis que le plus proche parent du futur lui donne le bras. Avant de partir, il lui a chaussé lui-même une paire de souliers dont il lui fait présent.

Dans tout le Roussillon, avant de donner la bénédiction nuptiale, les prêtres ne se contentent pas du simple oui qui s’exhale comme un soupir de la bouche tremblotante des jeunes filles, ils font répéter mot pour mot à la mariée qui rougit, et balbutie sous son voile blanc, la formule d’engagement réciproque. «Que se fassi» qu’il se fasse, répondent les assistants, et le prêtre passe l’anneau, symbole de l’alliance éternelle, aux doigts des mariés[1]


[1]              Les Français peints par eux-mêmes, encyclopédie morale du XIXème siècle, volume 3, L. Curmer, éditeur, 1840-1841, p. 97-98.

La lithographie accomplie

Les nombreux albums de costumes des provinces françaises, publiés sous le règne de Louis-Philippe, démontrent l’intérêt des romantiques à vouloir œuvrer pour conserver le témoignage d’une France rurale et pittoresque. Devant la disparition rapide des anciennes modes provinciales, les éditeurs offrent à leur public des lithographies très bien documentés.

Le Roussillon possède grâce à Alphonse Bayot un album de lithographies de costume, mis en scènes dans leur environnement. Ce travail avait commencé dés 1829 avec l’association de bayot avec l’architecte Prosper de Basterot dans une collection de gravures intitulées :

« Voyage aux Ermitages ». L’ermitage Saint Antoine de Galamus fait partie de la première des six livraisons prévues. « La composition en est si parfaite que, sans avoir vu ce site déjà pittoresque, on peut en avoir une idée exacte. Les dessins comme l’exécution lithographique ne laissent rien à désirer[1]. »

Alphonse Bayot apporte déjà à ces gravures un aspect documentaire sur les costumes catalans, aspect qu’il pousse encore plus dans son « Album des costumes roussillonnais dédié à la ville de Perpignan » paru probablement vers 1833. Il y propose des scènes aux titres évocateurs de la vie quotidienne roussillonnaise comme le retour des champs, les cancans, des hommes buvant à la régalade dans une taverne, ou plus révélatrices encore du caractère catalan avec les contrebandiers, l’ermite et sa capelleta ou encore la procession de la Sanch.

Malgré cet engouement, certaines lithographies de l’époque sont à analyser avec précautions, notamment quand le travail lithographique s’est effectué loin du Roussillon. Lors de la parution des «Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France» du baron Taylor en 1835, un journaliste s’étonne de la gravure montrant le Castillet à Perpignan: «nous regrettons pareillement que la vérité du costume n’ait pas été conservée dans les figures si habillement introduites pour animer la scène. Le vêtement des paysans choque les yeux des roussillonnais habitués à la vue du long bonnet catalan pour les hommes et du bonnet rond et de la capuche pour les femmes». Les autres livraisons seront heureusement beaucoup plus précises.


[1]              JPO, 1829, 21/02.

La Catalane (chanson)

Refrain :

A la coquète du grand ton,

Je préfère la Catalane.

Couplets :

La Catalane est faite au tour,

Et son œil noir lance une flamme,

D’où nait le séduisant amour,

Qui porte le trouble en notre âme,

.

De Vénus, digne rejeton,

Elle nous soumet et nous damne.

Point de fard sur ses jolis traits,

L’art n’est pour rien dans sa parure,

.

Elle possède mille attraits,

Qu’elle ne doit qu’à la nature,

Pour des modes, jamais vit-on,

Qu’elle perdit la tramontane ?

.

La mode fronde en ses discours,

Son costume que moi j’encense,

Souvent de modestes atours,

Cachent la vertu, l’innocence,

.

En dépit du qu’en dira-t-on,

Quoiqu’à Paris, on me condamne[1].


[1]              Le Publicateur, 1832, Alzine, Perpignan, p.8.

Bals et festivités plus populaires : La Saint André de Rivesaltes

Ball rossellones (bal roussilonnais), lithographie, A. Bayot, Médiathèque de Perpignan.

(Chansonnette roussillonnaise anonyme)

1-Charmante fillette,

Je vous chanterais

Une chansonnette

Simple et joliette,

Sur la belle fête

de la Saint André

.

2-Flageolet musette,

En brillants éclats,

Tambour, clarinettes,

Hautbois, castagnettes,

Font que l’on s’apprête

Pour le contrepas.

.

3-L’air des ségadilles,

Fait fuir le travail,

Et cent jeunes filles,

Fraîches et gentilles

En joyeux quadrille,

Vont danser le baill.

.

4-On rit, on s’excite,

La foule en attrait,

S’élance et s’agite,

Recule ou s’évite,

Avance plus vite

Et tourne toujours.

.

5-La toutes les belles,

Dansent de concert,

Et les Demoiselles,

Et les Pastourelles,

Comme sœurs jumelles,

S’élancent en l’air.

.

6-Avant qu’on achève,

Chaque Catalan,

D’un bras plein de sève,

Balance et soulève,

Sa belle et l’enlève,

D’un air triomphant.

.

7-Puis on recommence,

Chacun à son tour,

Dans la ronde immense,

S’égaie et se lance,

Puis enfin la danse

Cesse avec le jour.

.

8-Baill espardagnettes,

Jamais n’oublierais,

Et pour vous je souhaite,

Que cent ans fillette,

Nous voyons la fête

De la saint André[1].

Cette chanson populaire, dont il ne subsiste que le texte, date de la première moitié du XIXe siècle. Le baill, gallicisme tiré du catalan, se traduit par bal populaire. Les instruments étaient formés par quelques hautbois, une cornemuse et un flaviol formant une cobla de Joglars. Les danses de cette époque sont les courandes (sorte de farandole), la sacadille, le contrepas qui s’achève par le saut roussillonnais où le danseur soulève sa cavalière. Le quadrille, ou contredanse, fait son apparition à la fin des années 1830.


[1]              Archives municipales de Perpignan, fonds de Gonzalvo.

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