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Les Grisettes de Perpignan sous Louis Philippe

Grisette de Perpignan, vers 1845, Perpignan. Musée des Arts et Traditions Populaires de la Casa Pairal.

On trouve les grisettes principalement à Paris mais aussi dans toutes les villes de province. A Perpignan, ces jeunes filles portent à la perfection le bonnet roussillonnais, avec tous les atours de la mode.

Ce sont elles qui introduisent dans le costume traditionnel les manches à gigot, les châles à longues franges et les fichus en imprimés bariolés. Leur attention au moindre détail de l’habillement et de la coiffure les conduit forcément chez François Gervais, quincailler de la place Laborie, (actuelle place Jean Jaurès). Dans cet antre de la mode, elles choisissent des rubans de toute sorte, en satin, en taffetas, en fleurets de Padoue. Elles en feront des ceintures ou bien elles en garniront leur coiffe du dimanche.

L’été, elles se promènent au jardin de la Pépinière dans de légères robes d’indiennes, où de mousselines brodées pour le plus aisées. La mode des hauts chignons et des peignes à la girafe donne à leur coiffe une ampleur et une hauteur étonnante. Leur costume d’été se compose le plus souvent d’un corset sans manche, d’un tablier et de poches en cotonnade unie, d’une jupe en indienne sur quelques jupons blancs de coton.

Grisette, Perpignan, A. Matthieu, 1834.

Les coiffes sont en percale ou en mousseline finement brodée. Le chaland ne manque pas de remarquer lors des bals publics ces jolies jeunes filles qui «ont toutes un bonnet à la Catalane avec un ruban de couleur autour. La plupart ont des souliers blancs, elles ont généralement les yeux expressifs. La ligne des mamans avec des bonnets ronds, sans ornements ; en arrière de celle des jeunes personnes, est unique[1].»

L’hiver, les belles Catalanes portent des robes d’une seule pièce, en lainages, et par-dessus, un châle carré, de Nîmes, à fond blanc, vert, rouge ou jaune et dont les bordures sur les quatre cotés sont toujours agrémentées d’une bordure de boteh multicolores et d’écoinçons aux angles. Les châles carrés à fond noir sont portés par les femmes mariées.

Les bas de coton sont eux aussi préférés aux bas de laine traditionnellement tricotés en Cerdagne et portés pas les paysannes. La beauté des grisettes de Perpignan est reconnue par leurs contemporains, locaux ou de passage. Les notes de voyage du peintre grenoblois Diodore Rahoult (1819-1874) nous le précisent. Jeune homme, il se rend à Perpignan et sur la côte catalane en 1842.

Son passage dans la capitale roussillonnaise est décrit comme une révélation, notamment pour l’ambiance qui  règne dans une ville remplie de jolies filles : « Oh ! Je voudrais avoir un crayon de feu pour graver en lettres ineffaçables ces quelques lignes, je voudrais pouvoir dépeindre ces blancs visages de jeunes filles avec leurs yeux noirs et assassins, leurs bouches souriantes, ces sourcils noirs et arqués, ce cou d’une finesse étonnante, ce contour du menton, du visage…

Oh ! Ceci est très admirable, devrais-je dire, j’ignore si plus tard je verrai mieux mais toujours est-il que jamais en ma vie je n’ai vu de si jolies femmes, et réunies en aussi grand nombre. Et cela parmi les grisettes et les paysannes. 

Oh ! Que j’aime ce petit filet de cheveux noir qui se colle sur ces joues d’une blancheur mate et polie comme l’ivoire.

Oh ! Je me souviendrai des femmes d’Arles (en Provence) et de Perpignan. Et puis il faut les voir, ces beautés, dansant la catalane sur la place au son d’une musique pyrénéenne. Le hautbois, le flageolet et le tambourin jouent un grand rôle. Dans la ville circulaient des costumes de toutes sortes, des espagnoles avec leur mantille, des zingaras[2] avec leur mouchoir sur la tête, les roussillonnaises les unes tantôt avec un capuchon blanc ou noir, les autres avec leurs petits bonnets blancs. En ais-je assez dit des femmes de Perpignan?

Oui car je finirais par ne plus finir, L’enthousiasme m’emporte mais c’est assez. Oh ! Perpignanaises je rêverai à vous c’est sur, votre aspect a presque rendu fou non seulement moi, mais mes compagnons de route.

Partout des jolies femmes ! Dans les rues sales et noires, vous voyez un petit bonnet national, un cou blanc et effilé, vous vous retournez et vous êtes sur que c’est une jolie femme[3]. »


[1]              Rouffiandis, (L.), Le général de Castellane à Perpignan, SASL des PO, 1956, p.137.

[2]              Nom qu’il donne aux gitanes.

[3]              De Perpinyà a Banyuls de la Marenda, présenté par Camille Descossy, Terra Nostra, n.38.

Le temps des Grisettes

Peter Finder, le triste sort d’une grisette

Pour savoir ce qu’était une Grisette, reportons nous à la description que nous a laissé E. Desprez :

«Autrefois on appelait «Grisette» la simple casaque grise que portaient les femmes du peuple. Bientôt la rhétorique s’en mêla. Les femmes furent appelées comme leur habit. C’était le contenant pour le contenu. Les grisettes ne se doutent guère que leur nom est une métonymie. Mais voyez un peu ce que deviennent les étymologies et les grisettes ! La grisette n’est pas même vêtue de gris. Sa robe est rose l’été, bleue l’hiver. L’été, c’est de la perkaline ; l’hiver, du mérinos. La grisette n’est plus exclusivement une femme dite du peuple. Il y a des grisettes qui sortent de bon lieu. On reconnaît une grisette à sa démarche, au travail qui l’occupe, à ses amours, à son âge, et enfin à sa mise. J’entends parler surtout de sa coiffure.

La grisette marche de l’orteil, se dandine sur ses hanches, rentre l’estomac, baisse les yeux, vacille légèrement de la tête, et, pour tacher de boue ses fins bas blancs, attend presque toujours le soir. Elle travaille chez elle, loge en boutique où va en ville. Elle est brunisseuse, brocheuse, plieuse de journaux, chamoiseuse, blanchisseuse, gantière, passementière, teinturière, tapissière, mercière, culottière, giletière, lingère, fleuriste. Elle confectionne des casquettes, coud les coiffes de chapeau, colorie les pains à cacheter et les étiquettes du marchand d’eau de Cologne ; brode en or, en argent, en soie, borde les chaussures, pique les bretelles, ébarbe ou natte les schalls, dévide le coton, l’arrondit en pelotes, découpe les rubans, façonne la cire ou la baleine en bouquets de fleurs, enchaîne les perles au tissu soyeux d’une bourse, polit l’argent, lustre les étoffes ; elle manie l’aiguille, les ciseaux, le poinçon, la lime, le battoir, le gravoir, le pinceau, la pierre sanguine, et dans une foule de travaux obscurs que les gens du monde ne connaissent pas même de nom, la pauvre grisette use péniblement sa jeunesse à gagner trente sous par jour.

La grisette a un âge fixe. C’est-à-dire qu’une grisette ne saurait avoir ni moins de seize ans, ni plus de trente. Avant seize ans, c’est une petite fille ; après trente ans, c’est une femme. Le nom de grisette ne lui est applicable que dans l’intervalle qui sépare ces deux âges. La trentaine venue, celle qui fut quatorze ans grisette et quatorze ans traitée comme telle, dépossédée par le temps, tombe dans le rang commun des ouvrières. Acception faite de l’âge et du métier voulus, toute personne du sexe féminin est grisette, qui porte un bonnet semaine et dimanche, qui porte un bonnet toute la semaine, sauf le hasard d’une noce ou d’un grand dimanche. Mais n’est pas grisette, qui ne porte bonnet, ni semaine ni dimanche. A cette règle générale, je ne connais pas une exception[1]

Grisette livrant, Gavarni.

[1]              Desprez, (E.), Les grisettes à Paris, 1827.

Laisser trace

Portrait de Catalane, Michel Pouig, 1845, Perpignan.
Musée des Arts et Traditions Populaires de la Casa Pairal.

Toujours préoccupés par leur apparence, les Perpignanais pouvaient se faire brosser le portrait auprès d’un certain Gilbert-Castelli, de passage début 1834 à l’Hôtel de l’Europe. C’est l’un des nombreux peintres itinérants qui proposaient régulièrement leurs services afin de payer leur villégiature.

Celui-ci, « peintre en portrait miniature, très avantageusement connu pour la ressemblance, peint le portrait en une heure de séance pour le prix de douze francs, il retouche aussi les portraits non ressemblants, les change de costumes, peint à l’huile et restaure les vieux tableaux».

La même année, un peintre parisien dénommé Fallot propose, lui-aussi, ses services. Il résidait chez le maitre-tailleur Louis, rue de la Loge. « Plusieurs portraits de personnes bien connues de la ville, tous d’une ressemblance extraordinaire, ont déjà été exposés. Ils attestent du beau talent de cet artiste recommandable[1]

Le concours de peinture organisé en 1846 à perpignan reconnaît la valeur de peintres locaux comme Michel Puig ou encore Jacques Quès, que l’aide du Conseil général avait  permis de former à Paris[2].


[1]              JPO, 1834.

[2]              SASL des PO, 1848, XI.

Circuits d’approvisionnements en nouveautés sous Louis Philippe.

La Loge de Mer de Perpignan par Diodore Rahoult.

La maison Terme, 12 rue des Trois Journées, indique des arrivages parisiens, en habits confectionnés pour enfants, des rouenneries, des indiennes, des mouchoirs de nez de Cholet et Rouen, mérinos, alepines, ainsi que des draps. L’industrie parisienne s’impose dans un système de production de masse alimentant les magasins de province les plus éloignés.

En 1846, une annonce des 100 000 paletots indique : «Le gérant de la maison prévient le public qu’il arrive de Paris, avec un assortiment de marchandises de tout genre. Ayant passé plusieurs mois à la capitale pour faire confectionner les articles les plus nouveaux pour la jeunesse élégante de cette ville : coupe nouvelle de paletots, gilets à la Louis XV[1] ».

Ce circuit concerne aussi les fabrications en petites séries, comme les chapeaux pour femmes qu’il convient de ne jamais avoir en double dans une ville aussi petite. Aucune Catalane ne supporterait de croiser en ville une capote identique à la sienne !

Des lyonnais s’installent peu de temps rue de la Préfecture, à l’enseigne du Coq Hardi. Ils ne conservent pas ce comptoir, qu’ils soldent en 1846. On y trouvait des indiennes de Mulhouse, des foulards de soie, des fichus, châles, soieries, mousselines de laine, des textiles d’ameublement et madapolams.

Des boutiques s’ouvrent en étage, tel au premier de la Maison Argiot place de la Liberté (actuelle place de la République), où M. P. Folquet propose aux élégantes un joli assortiment d’étoffes nouvelles. « Pour pouvoir vendre très bon marché, il est urgent de faire peu de frais de magasin, c’est par cette raison qu’un premier étage est préférable. M.Folquet est actuellement en fabrique pour les achats. »

Les boutiquiers de Perpignan vont directement négocier les prix dans les usines textiles, fussent-elles éloignées, plutôt que de faire confiance aux démarcheurs. Folquet étend son activité et finit par investir le rez-de-chaussée de la Maison Argiot avec des «draperies du Midi et du Nord, estams, castreize, ou sarguils, auxquels il a adjoint un très grand assortiment d’articles de Reims, Amiens, Paris, Mulhouse, Flers, Villefranche, avec des mérinos, des napolitaines, des cachemires d’Écosse, châles, percales, calicots, indiennes, velours, moletons et flanelles.»

Les couturières sont les plus au faîte de la mode. Les sœurs Antoinette et Anne Pairi participent en 1839 à l’exposition des produits de l’Industrie à Paris. Elles y présentent «une robe de femme sans couture, garnie de dentelles catalanes, fond rayé avec bordure riche, et un bonnet de dentelle de la même fabrication. L’exécution de ces objets fut jugée parfaite et le dessin de bon goût[2]».


[1]              JPO, 1846.

[2]          Exposition de l’Industrie française, rapport du jury central en 1839, Paris, p. 348.

Diffusion des modes : revues et boutiques

Le règne de Louis-Philippe est propice à un nouvel engouement pour la mode. Ce thème apparaît dans la presse comme une considération sur le bon goût. Mais comment arriver à cet état ? La recette est parue dans le Publicateur à l’adresse des hommes.

Daguerréotype, Perpignan, vers 1840.

« Observez les femmes, professeurs émérites en fait de tact et de convenances. Adaptez votre manière d’être à leurs goûts, à leurs préférences. Leur organisation est si complète, il y a dans leurs impressions tant de délicatesse et de mobilité, qu’elles devinent et saisissent en quelques heures ce qui nous coûterait à nous de longues années d’efforts et d’études.

La mode est leur premier besoin, leur vie, leur avenir, leur bonheur se résument dans cette pensée : charmer et séduire. Aussi voyez comme cette pensée se reflète dans les nuances variables et fugitives de la mode, tour à tour nœud de ruban, gaze légère, couleur tendre, manche à gigot, corsage à la Marie Stuart.

Elle se forme en longue tresse de cheveux, en guirlandes de fleurs, en bibi, en manchon, en boa. La parure d’une femme contient plus d’idée que le plus gros livre. Elle a son langage à elle, langage mystérieux et poétique que l’homme de tact est seul habile à saisir. Soyez homme de tact et vous serez homme à la mode[1]. »

Perpignan est la capitale roussillonnaise de la Mode. Le quincaillier Périco-Anglade, à la rue Saint-Sauveur (actuelle sur Émile Zola) possède le meilleur assortiment de peignes ajourés, du cirage Jacquand de Lyon, cirage breveté par le Roi. Il vend aussi du parfum, des gants de fil d’écosse et de soie, et fait venir de Paris un élixir appelé « le trésor de la bouche », onguent qui permet de conserver à cet organe toute sa fraicheur[2].

Les liens avec la capitale permettent d’avoir en boutiques des articles tels que des cosmétiques pour la chevelure telles ces huiles antiques et de graisse d’ours, de véritables savons de Naples pour la barbe, des eaux de Cologne et de lavande ambrée. On y tient aussi salon pour la coupe des cheveux. On trouve chez madame Bissière, les gants à la dernière mode comme les demi-gants longs pour bal, mais aussi des peignes à jours et unis, évidemment dans le dernier genre ! On peut aussi s’y parfumer et trouver tous les accessoires pour la coiffure[3].

Parmi les nombreux tailleurs d’habits de la ville, un certain Lieutaud, sur la place d’Arme, s’est spécialisé dans l’entretien et le dégraissage de toute sorte d’habillement. Son procédé nouveau les rend comme neuf. Il réuni donc deux états, celui de tailleur et celui de dégraisseur. Associé avec un certain Trompillon, teinturier arrivant de Paris, ils s’installent dès 1834 en rez-de-chaussée de l’immeuble Méric, au 3 rue Saint Jean. Cette teinturerie fine permet « de conserver les fleurs sur les châles brochés et imprimés, et de proposer un très beau noir-bleu pour le deuil ».

La rue des Marchands (qui allait de la Loge à la rue de l’Argenterie) est l’une des principales rues dédiées à la mode. Combes y propose « des escarpins indiens en veau blancs et noirs et toute sorte de chaussures ». Au numéro 3, la Maison Rauzy expose des gilets en « cachemire à schall, d’autres dans les plus nouveaux dessins ainsi que des habits et redingotes[4] ».

Homme assis, AD66.

Le chapelier Casimir Vidal Jeune, au numéro 15[5], est remplacé en 1846 par l’enseigne Delmas et Cie, dont la fabrique se situe au 12 rue des Cardeurs. Cette maison est spécialisée dans « les chapeaux de soie et de tissus ainsi que dans leur remise à neuf ». La marchande de mode Camille Méry, rue de la Halle au Blé, arrête son activité en 1846 en soldant « chapeaux avec plumes, à fleur, caprices en dentelle noire, pèlerines brodées, bonnets brodés, bonnets à fleurs, cravates pour hommes et autres rubans[6]».


[1]              Le Publicateur, 1834, « De la mode », p.154.

[2]              JPO, 1833.

[3]              Idem.

[4]              Idem.

[5]              Il cesse son activité, JPO, 1846.

[6]              JPO, 1846.

La mode, un attrait quotidien dans la presse roussillonnaise.

« Telle est de nos jours l’excessive mobilité de la mode, que ces robes à manches immenses, qui ont succédé à celles que l’on nommait à l’imbécile[1], et non sans quelques raisons, et qui toutes ont eu comme point de départ la manche à gigot, que ces robes, dis-je, très en vogue au moment ou je vous trace ces lignes, seront déjà peut être des vieilleries quand je serai parvenu à la fin. Qui pourrait maintenant suivre les modes dans leur rapide vol [2]? » 

Robe en indienne avec des manches à l’imbécile.

Le Journal des Pyrénées-Orientales ne propose en 1833 que trois articles sur la mode parisienne, ils sont toutefois extrêmement concis et démontrent l’attrait exercé par celle-ci. Les Roussillonnaises y apprenaient alors les dernières modes de paris :

«Les dames adoptent une blouse en mousseline blanche très décolletée, il est de rigueur que le dessous soit en jaconas blanc garni d’une valencienne, l’ourlet de la blouse doit être très étroit, on y passe un ruban en taffetas rose ou bleu, de la largeur de l’ourlet afin qu’il se trouve à plat, et entre les deux mousselines. Il est entendu que la ceinture est un ruban de la même couleur et de la même largeur, qu’on tourne deux fois au tour de la taille et qui revient par devant avec un nœud formant pointe.

Quelques dames laissent au nœud de longs bouts. Avec cet ajustement, il faut autour du corsage et des manches une Angleterre, et les manchettes relevées avec de petits nœuds. Une écharpe de dentelle noire est de très bon goût avec cette toilette. Les canezous se portent avec un grand succès au spectacle : le dernier genre est une dentelle froncée sur la poitrine et relevée de distance en distance par un nœud. Le rose est la couleur qui va le mieux avec le noir. On y adapte en dedans une guimpe, dont les fronces sont retenues autour du cou par une guirlande de rubans.

Avec un pareil canezou on arrive au but, ce qui veut dire qu’on ressemble presque à un vieux portrait. Les robes de gros de Naples chinées sont en vogue. Le corsage est plat et sans ceinture. La jupe est montée avec un liseré au corsage seulement : le corsage est un peu cintré sur le devant, sans être à pointe décidée. Un revers de même étoffe, faisant pointe par devant, retombe sur le corsage, et est garni d’une ruche dentelée de même étoffe. Dans la jupe sont adaptées deux ouvertures formant poches, et garnies de ruches pareilles. Les manches sont ouvertes et rattachées par des nœuds taillés en biais, et entre chaque nœud il passe un creuvé en mousseline blanche. Les chapeaux de paille de riz obtiennent une faveur marquée, on en fait qui ont un bouquet de plumes avec les brides du chapeau passées autour[3] ».

Un second article, quelques semaines plus tard, indique : « une robe de mousseline hindoue imprimée à dessins turcs, depuis le bas de la robe jusqu’à la hauteur du genou. Cette robe beaucoup plus légère en dessin que les robes de cachemire broché, qui ont été de mode il y a de nombreuses années, nous a paru une heureuse innovation, et nous pensons que bientôt les nouvelles maisons de nouveauté de Paris en offriront du même genre. L’œil sera reposé de cette multitude de dessins d’indiennes qui couvrent depuis longtemps les foulards et les châles. Les robes d’organdi sont maintenant les mieux adaptées pour les toilettes des bals champêtres, les plus jolies sont fonds de couleur, avec des semis de grosses fleurs. Sous les organdis fond de couleur claire, il est bien de mettre un dessous de gros de Naples de même couleur. »

Le troisième et dernier concerne, cette fois-ci, les hommes :

« Les redingotes sont presque toutes à châle, en drap noir ou vert russe, très foncé ; les jeunes gens les préfèrent à l’habit frac boutonné, taille cambrée, robe tuyante, et descendant au jarret. Le châle de quelques redingotes est recouvert de velours. Pour les gilets, on emploie les piqués côtelés, et à dessins gaufrés fonds blanc, et chamois clair, parsemés de petites fleurs, on recherche aussi les satins moirés à dessin de cachemire. Les chapeaux noirs, ou gris, en castor, ont un très petit bord non relevé, et sont très haut de forme. Les bottes ont des talons très élevés, et des bouts carrés, comme ceux des souliers. Le matin les élégants portent des joncs bruns ou blanc, le soir des cannes d’ébène garnies d’une petite paumelle d’argent. »

Le Journal local proposant l’abonnement à La Mode de Paris, le journal de la toilette et des nouveautés parisiennes, nous apprend ainsi la provenance des trois articles cités précédemment. En 1834, plus aucun article de mode dans le Journal des Pyrénées-Orientales, mais une publicité pour Le Protée, journal des modes et littéraire contenant sur les 40 pages d’impressions et deux gravures de mode. Il s’agit probablement du nouveau nom de la précédente revue.

On trouve à cette époque dans la capitale roussillonnaise parmi les marchandes de mode, les dames ou demoiselles Artus, Capdebos, Dagne-Fraisse, Golpy, Laplante, Pugens ainsi que la veuve Astruc.

En 1837, il existe pour les plus pauvres 13 fripiers en ville, preuve des habitudes de réemploi des vêtements et des conditions de précarité d’une partie de la population.

La silhouette voulue par le bon ton oblige les belles à tricher sur leur physionomie et certaines ont pu trouver chez le coiffeur Bissière, installé au premier étage de la maison Laroche, rue des Trois Journées, des « bourrelets en baleine noire et blanche, dont la confection ne laisse rien à désirer[4] ». Ceux-ci permettent de gonfler les jupes et surtout de rehausser les manches à gigot.


[1]              manche très ample dans laquelle on mettait du plomb près du coude pour la faire pendre

[2]       Le Publicateur, 1833, article de Frédéric Guillaume, « Les modes anciennes et modernes », p.79.

[3]              JPO, 1833.

[4]              Le Publicateur, 1832, Alzine, Perpignan, p.26.

Perpignan à l’époque Romantique

En 1840, la collection intitulée « Les français peints par eux-mêmes », dresse un portrait de la capitale du Roussillon et de ses habitants :

« Comme presque tous les habitants des provinces méridionales, les Perpignanais ont une vie presque toute extérieure. La moitié de leur temps s’écoule à flâner sur la place de la Loge, en fumant une cigarette espagnole fabriquée chez eux. Ils causent un peu de leurs affaires et beaucoup de celles du voisin, vont voir parader les troupes de la garnison sur la place d’Armes[1] où s’élèvent les casernes que Louis XIV fit bâtir pour loger cinq mille soldats, et finissent leur journée sous les ombrages des Platanes, en été, et dans les grandes allées de la Pépinière, en hiver.

C’est là que se promènent le soir, toute la population perpignanaise, grandes dames et grisettes en toilettes, celles-là se faisant voir, celles-ci regardant du coin de l’œil, toutes jouant de la prunelle et de l’éventail, en femmes qui ont du sang espagnol dans le cœur.

Ne parlez pas aux Perpignanaises des Tuileries ou des Champs-Elysées. Qu’est-ce que tout cela auprès des Platanes et de la Pépinière, ces chères promenades qui leur rappelle à tous des souvenirs d’enfance et d’amour. C’est là qu’ils ont joué, c’est là surtout qu’ils ont obtenu leur premier rendez-vous[2]. »

Grisette de Perpignan en 1834, col. part.

Les danses organisées lors des fêtes votives donnent l’occasion à la population de se montrer dans ses plus beaux habits. Le saut roussillonnais frappe invariablement les voyageurs.

«Les Baillas (els Baills), ce sont les danses en usage en Roussillon et principalement à Perpignan, ou elles ont lieu à des époques fixes dans chaque quartier. Alors on établi une sorte de foire dans le voisinage de l’église, et l’on construit une vaste tente, décorée de guirlandes et garnie de bancs, dans l’intérieur de laquelle le Ball se donne. Les ordonnateurs de la fête ont pris soin de se rendre avec leur musique chez toutes les personnes aisées du quartier, dont l’offrande leur sert à payer les frais de cette fête.

Le corps de musiciens, qu’on appelle les joutglars, est ordinairement composé de cinq à six hautbois, parmi lesquels il y a le prime et le tenor, puis d’un galoubet et d’un tambourin. Ces deux derniers instruments sont joués par le même homme qui tient le premier de la main gauche et frappe le second de la droite.

Chaque danseur paie tant par chaque baill qu’il danse, et l’on admet à la fois autant que l’intérieur de la tente peut en contenir, et leur laisser assez d’espace pour exécuter leurs figures, mais il y a tel ou tel amateur qui, par galanterie pour une dame ou par vanité personnelle, réclame de danser seul avec sa danseuse, et alors il s’établit une sorte d’enchère qui porte souvent au prix de 150 ou 200 francs, le plaisir de fixer sur soi, pendant un quart d’heure, ou vingt minutes ou plus, tous les regards de l’assemblée.

Les jeunes gens des meilleures familles, et même quelque fois les dames de la société, figurent dans cette danse: les premiers en veste et en bonnet catalan, les seconds en grisettes du pays. Le baill est une danse extrêmement gracieuse, qu’il faut voir pour la bien juger, qu’il est difficile de décrire, et qui n’est exécutée, avec perfection, que par les gens du peuple, surtout les femmes qui y déploient une légèreté et une désinvolture ravissantes. Les cavaliers font d’abord quelques pas en avant avec leurs danseuses, puis, se tournant subitement face à face, la dame se recule en décrivant une sorte de cercle, et le cavalier la suit en formant quelques pas, et en s’accompagnant des castagnettes, s’il est danseur par excellence.

Dans le nombre de pas qu’il exécute, il en est un fort singulier, qu’on appelle la cama-rodona, et qui réclame autant d’adresse que de légèreté  puisqu’il ne s’agit pas moins de passer le pied droit par dessus la tête de la danseuse. Celle-ci au bout de quelques instants, poursuit son cavalier qui recule à son tour, et l’un et l’autre changent deux ou trois fois de danseur ou de danseuse; puis deux ou plusieurs couples se réunissent, forment un cercle; les danseuses placent à droite et à gauche la main sur l’épaule des cavaliers, s’élèvent en l’air, et ces cavaliers, les jarrets tendus, la poitrine en avant, et les bras soulevés, les soutiennent de leurs mains, placées sous les aisselles. Tous restent dans cette position pendant un point d’orgue des musiciens, et comme les têtes des danseuses se trouvent rapprochées, les unes des autres, presque toujours quand ces danseuses se connaissent, elles s’embrassent avant d’être déposées à terre.

Lorsque ceci a lieu, elles répètent la même figure qui se reproduit tant que dure chaque ball. En outre de la cama-rodona, il y a un autre saut qui demande de la part du cavalier, la même adresse et quelque force. La danseuse s’avance vers lui, elle place la main gauche dans la droite, qu’il lui tend, un triple élan est alors donné à ces deux mains réunies, et la danseuse raidissant le bras gauche et s’appuyant de la droite sur l’épaule de son danseur, s’élance pendant que celui-ci la soulève et l’assied sur sa main. Avant de la remettre à terre, il fait deux ou trois pirouettes en la tenant ainsi[3]


[1]              Place Gambetta

[2]          Les Français peints par eux-mêmes, encyclopédie morale du XIXème siècle, volume 3, L. Curmer, éditeur, page 94.

[3]          Nore, (A. de), Coutumes, mythes et traditions des provinces de France, Paris, 1846, p.112.

Aplecs aux ermitages sous Louis Philippe.

Autres rites de la vie des roussillonnais, les fêtes religieuses organisées dans les ermitages donnent lieu à des rassemblements où s’exprime la richesse des costumes catalans. Sous la Restauration, l’Église catholique retrouve ses prérogatives. La nomination en 1823 de l’évêque François de Saunhac-Belcastel sur le siège de Perpignan, resté longtemps vacant, ainsi que la restauration de la royauté, redonnent à la religion la place dans l’espace public qu’elle possédait avant la Révolution Française. C’est le retour à de très nombreuses fêtes et processions et  la création de nouvelles décorations dans les églises. La reprise en main des populations rurales par le clergé s’obtient notamment en ressuscitant les aplecs, ces rassemblements villageois autour d’un sanctuaire à une date précise.

« Outre les fêtes de villages, la dévotion a été la cause de grandes réunions qui appellent les Roussillonnais à jour fixe autour d’ermitages vénérés. Il y en a beaucoup comme cela dans le pays, les plus vénérés sont ceux de Saint Ferréol, de Domanova, et enfin celui de Nuria où les jeunes femmes qui demandent un enfant dans leurs prières se plongent la tête dans un vase profond. Ces réunions comptent quelquefois jusqu’à dix à douze mille personnes selon l’importance de l’ermitage et la réputation du saint. Les Roussillonnais accourent du haut et du bas du pays. Les hommes ont revêtu leurs plus riches habits pour cette solennité aussi bien mondaine que religieuse: le bonnet de laine rouge, qui pend sur l’épaule, est fièrement posé sur le côté du front, l’espadrille, sorte de sandale catalane faite en corde, s’enroule autour de la jambe, retenue par de rubans de couleur éclatantes croisés en losange, la longue ceinture de soie ou de laine rouge presse la taille et vient se nouer coquettement sur la hanche; la veste à boutons de cuivre se balance sur le bras comme le dolman du hussard. Les femmes portent le corset de velours, la jupe écarlate qui laisse voir la jambe fine et le pied leste, et la coiffe blanche rejetée gracieusement sur le derrière de la tête, avec une bande de dentelle cintrée comme une arcade au-dessus des cheveux nattés sur le front. D’autres, celles qui descendent des hauts plateaux du Capcir, enveloppent leurs cheveux tordus et serrés dans un réseau de soie qui s’effile jusqu’au gland flottant sur les épaules, les femmes de la Cerdagne croisent un mouchoir de soie à carreaux sur leur tête, deux bouts pendant sur le cou tandis que les deux autres se nouent sous le menton[1]

Le plus important de ces aplecs se déroule à Font-Romeu en Cerdagne. «Tout est spectacle à Font-Romeu le jour de la fête. C’en est un, en effet, et des plus curieux, que cette grande variété de costumes, qui, à la vérité, s’est considérablement effacée depuis quelques années, mais qui offrait encore, il y a un quart de siècle, les différences bien tranchées et faisait facilement distinguer, dans les femmes surtout, la Languedocienne de l’habitante du Pays de Foix, la Capcinaise, à la robe bordée d’une sorte de méandre de couleur brillante et quelques fois d’un galon d’or ou d’argent, de la Cerdane au costume gracieux que, par esprit patriotique autant que par coquetterie, ne manquait jamais de prendre ce jour-là celle qui portait habituellement la robe à la mode de France. Une nuance différenciait également le vêtement des Catalanes suivant les localités d’où elles provenaient. Le costume de la Cerdane ou Cerdagnole élégante, se compose, aux jours de fête, d’un réseau de soie rose, amarante, cramoisie ou noire descendant très bas, et terminé par une longue queue garnie de petites houppes à boutons et à grains d’argent ou d’acier, placé sur le haut de la tête et laissant à découvert les cheveux du front bien partagés, lissés et repoussés derrière les oreilles, et noué par de larges et longs rubans dont les anses et les bouts retombent de chaque coté des tempes; d’un fichu de mousseline brochée appliqué sur ce réseau et se colorant légèrement de la teinte du transparent; de longues pendeloques descendant sur les épaules et brillantes des pierreries fines ou fausses dont elles sont chargées; d’un corset de beau drap, de gros de Naples ou de velours bien serré à la taille ; d’un fichu de soie rose, blanche, noire ou de toute autre couleur, brodé en or tout à l’entour, parsemé de fleurs en or et soie, et bordé d’une ruche de mousseline ou de tulle ou même d’une frange d’or; d’une jupe à très petits plis en drap ou indienne; d’un tablier arrêté par des lacets plats dont les bouts pendent par devant; de bas blancs ou gris de lin pour les plus élégantes. La chemise qui est fendue par devant comme celle des hommes, est fermée au dessous du cou, par un bouton à deux têtes chargées d’une pierre de couleur; et la bordure du fichu, dont les eux bouts vont s’engager sous une ceinture de ruban, descendant à coté l’un de l’autre, forment sur le sein une manière de jabot d’un effet aussi pittoresque que gracieux. C’est aussi un spectacle, en descendant de la Miranda (Font-Romeu) que la vue au milieu des pins, des rochers et de la pelouse, de cette multitude de chevaux, de mules, de baudets qui, isolés ou par groupes, et pour la plupart abandonnés à eux-mêmes, paissent l’herbe qui naît du sol. Vous y voyez les selles, les bardelles éparses un peu partout, et à leur forme vous jugez de quel canton elles proviennent.

Les selles des femmes, toutes à reins et dans le goût espagnol, sont, les unes profondément encaissées de trois cotés, couvertes de broderies en laine de toutes couleurs, les autres fermées de deux cotés seulement et ayant pour dossier une basane matelassée, bordée, comme les cotés de longues franges et de crépine de soie cramoisie, avec rosaces brodées, avec houppes et glands attachés à tous les angles et pendant de toutes les parties du harnais; d’autre sont de véritables fauteuils pliants dont les bois présentent une suite de pommes, comme les meubles du Moyen-âge dont ces selles sont contemporaines.

Les selles des hommes n’offrent pas moins de variété. A la couleur éclatante des housses, à la forme des caparaçons, à la hauteur des pommeaux et des troussequins, aux étriers en bois, aux plumets, aux pompons, aux flocs qui ornent les têtières, on reconnaît facilement les montures des Espagnols et celles des riches pagès de l’extrême frontière. Les personnes qui arrivent isolément à Font-Romeu, sont généralement celles qui viennent des cantons les plus éloignés, les habitants des villages circonvoisins y montent ordinairement réunis par populations. Les bandes des villages français, ayant à leur tête leurs juglars (ménétriers) et accompagnés de leur maire et de leur curé ; celle des villages catalans ayant aussi leurs musiciens, leur pasteur et leur alcalde, accourent de la Cerdagne et des points les plus voisins de la Catalogne.

Un autre tableau qui ne frappe et n’intéresse pas moins, c’est du haut de la Miranda, en laissant tomber ses regards à ses pieds, celui de cette quantité immense de personnes se mouvant sur le plateau même de Font-Romeu, de ces innombrables bonnets catalans dont la vive écarlate produit, de cette distance, l’effet le plus singulier.[2]


[1]              Les Français peints par eux-mêmes, encyclopédie morale du XIXème siècle, volume 3, L. Curmer, éditeur, p. 101.

[2]              Henry, le guide en Roussillon, 1842, p. 244-247.

Gitans du Roussillon sous Louis Philippe.

Le Roussillon a toujours eu des gitans, qualifiés à cette époque du terme de gitanos. Leur habillement et leurs coutumes ont étonné bien des voyageurs. Les érudits roussillonnais vont aussi les regarder comme un objet d’étude. Leurs origines obscures et leur mode de vie  donnèrent lieux à un grand nombre de dissertations.

« Ces jours derniers, un jeune couple de l’espèce en question (sic) entra, avec un cortège homogène, dans l’oratoire de l’Hospice civil de cette ville, vers les six heures du matin. Taille svelte, vêtement propre et élégant, peigne à la girafe surmonté d’un foulard rattaché sous le menton, telle était la fiancée. Le galant avait aussi assez bonne façon. « A la promissencia, a la pila !», s’écrièrent ils tous d’abord, en se dirigeant vers les fonts baptismaux des enfants trouvés. Là, ils se mettent à genoux et disent tout bas leurs patenôtres. On se lève, la donzelle se poste debout vis à vis de la statue de la sainte Vierge et la salue en élevant à la hauteur de la tète ses mains étendues, en les portant en avant, à droite et à gauche. Elle lui adresse une prière précipitamment et en des termes étranges. Bref elle termine son invocation par un gros crachat expectoré avec effort lequel avait sans doute un sens emblématique et mystique. En même temps,  elle prend la main du futur époux et, la tenant appliquée contre son cœur, elle prononce son engagement. Vint le tour du camarade, mais il n’avait pas trop étudié son rôle et ne sut que répéter mot pour mot la formule que lui souffla sa prétendue. Après quoi, celle-ci se signe trois fois sur le ventre, en appuyant très fortement le tranchant de sa main le long et en travers d’une extrémité à l’autre. Une vieille au col tors s’approche d’elle, et lui posant une main sur l’épaule, marmonne dévotieusement je ne sais quel orémus, ou quelle bénédiction. Ils vont tous enfin se ranger autour du bénitier, et la mariée les asperge à pleine main. Jusque là rien que d’édifiant, mais à peine sont ils à la porte que d’un ton des plus énergiques, madame recommande à monsieur l’article de la fidélité conjugale, le menaçant pas moins, s’il l’oublie, que de lui arracher quoi… ? Une épaule : « t’arrencaria una espatlla, t’arrencaria una espatlla », lui crie-t-elle plusieurs fois. Galanterie pour galanterie, le mari brandissant sur elle un gourdin, lui promet de son coté avec de gros et vilains jurons, de lui casser les os, de lui arracher les yeux ou le foi, en cas de forfaiture. On doit croire que de pareils compliments ne se trouvent que dans le rituel gitanesque, d’autant plus qu’ils parurent scandaleux et sinistres à un grave personnage de la noce. « Vaya, vaya.. ».disait-il, et redisait-il sentencieusement, « tots avui quedaran amics ». C’est à dire qu’il n’assurait qu’un seul jour d’amitié aux nouveaux conjoints.[1]»

En 1842, le perpignanais Henry, auteur d’un guide du voyageur, note les détails de leur habillementfort semblable au costume catalan : « Sur les bords du glacis de l’avancée, on voit réunis par groupes, des individus au teint enfumé, cheveux lissés, traits du visage fortement prononcés, stature haute et élancée, vêtus d’un pantalon montant sur la poitrine avec un gilet descendant à peine de quelques doigts sous les aisselles, veste toute aussi courte garnie souvent de boutons de métal en boule, suspendus à un long chaînon, bonnet rouge ou noir, tantôt descendant jusqu’au milieu du dos, tantôt deux fois replié au-dessus de la tête, et souvent coiffés d’un mouchoir plié en bandeau appliqué sur le front et noué par derrière, ceinture rouge ou noire à laquelle sont ordinairement suspendues les morailles, des cordes, une trousse de cuir contenant de larges et très longs ciseaux à lame arquées d’une façon particulière : ce sont des gitanos, des bohémiens[2] »

Enfin, l’érudit Jaubert de Réart[3] se démarque de ses contemporains par une vision humaniste porté sur la population gitane du Roussillon. Son discours se passe de commentaires : « La plupart des auteurs qui on écrit sur les gitanos, s’efforcent de nous les dépeindre sous les couleurs les plus défavorables. Trop généraliser en cette matière comme en toute autre est une erreur que repoussent la raison et l’observation impartiale. Parce que l’on taxe la Nation française de légèreté et d’inconstante, il ne faut pas en induire que tous les français sont d’un caractère léger et inconstant ; comme aussi toutes les circassiennes ne sont pas toutes belles, les Anglais n’ont pas tous le spleen. Il ne faut pas mettre non plus sur la même ligne tous les bohémiens, tous n’habitent point sous les ponts ou dans les chapelles ruinées, se nourrissant de mets immondes et vivant, comme l’on dit, sans foi ni lois. Il en est parmi le nombre qui, vus sans prévention, ne seraient peut-être pas jugés indignes de cette société qui les repousse, et l’on peut dire que ce qui influe le plus sur le sort d’un grand nombre d’entre eux, comme sur celui de tous les hommes, c’est la misère qui dégrade tout ce qu’elle touche[4]. »


[1]       Le Publicateur, 1833, P.Puiggary, « Mariage entre bohémiens », p.135.

[2]              Henry, (D.M.J), Le guide en Roussillon, édition Alzine, Perpignan, 1842, p.10-11.

[3]              Né à Perpignan en 1792, membre du conseil d’arrondissement et de la société philomatique de Perpignan.

[4]              Le Publicateur, 1834, Jaubert de Réart, le grand beiram des bohémiens, p.4-5.

Fêtes villageoises

Voyage pittoresque dans les Pyrénées françaises et dans les départements adjacents, d’après les dessins de M. Meeling. Paris, 1826-1830

L’auteur Amédée Achard (1814-1875), marseillais d’origine, apporte une description du Roussillon qui donne une foule de détails intéressants et très véridiques. Sa vision est celle d’un touriste, un terme nouveau né avec l’avènement du thermalisme pyrénéen.

«Si au détour d’un sentier, dans la montagne, le touriste entend un bruit joyeux de voix et d’instruments, il peut être certain qu’une fête locale, dans le dialecte catalan «festa major», fête majeure littéralement, se célèbre aux environs; chaque village a la sienne. Alors il peut avancer hardiment et il assistera à un des spectacles les plus curieux que le Roussillon puisse offrir au voyageur. Ce jour là ou ces jours là, toute la population est sur pied, hommes, femmes enfants, vieillards. Les chants, les cris, la gaîté bruyante et expansive naissent avec les premiers rayons.

A tout instant, par la montagne et par la vallée, arrivent des troupes d’amis et d’invités. Les hameaux voisins émigrent, laissant chez eux les malades et les chiens, tout au plus. La foule et le tumulte s’accroissent sans cesse, le plaisir grandit en proportion. Toutes les maisons sont ouvertes, la basse cour a été immolée en masse, le veau gras tourne à la broche, les pièces de vin sont défoncées, la table est servie du matin au soir. Toutes les économies de l’année se fondent en un jour.

Avant de toucher au festin, on a dansé. Dans l’ordre des préséances en Roussillon, les jambes ont le pas sur l’estomac. Quelquefois même avant de danser on a entendu la grand-messe; l’office, comme on dit dans le pays. La religion donne par avance l’absolution au plaisir. La grand-messe a été chantée avec pompe, sous les voûtes de l’église, ornée de fleurs. Les cierges étincellent; le prêtre a revêtu ses plus beaux ornements sacerdotaux; les saints des chapelles ont fait toilette, leurs habits reluisants disparaissent sous les rubans et les paillettes d’or. La foule agenouillée est en grand costume de fête; le chantre enfle sa voix au lutrin. Les enfants de chœur aiguisent leur ténor: l’orgue s’il y a un orgue semble avoir plus d’éclat que de sonorité.

Enfin l’office terminé, le peuple se répand dans les rues, le village est en ébullition. Les chiens eux-mêmes savent qu’il y aura franche lippée, aboient gaiement en remuant la queue, il n’y a que les coqs qui gardent silence au milieu du bruit ; ils se taisent hélas! Et pour cause. Cependant au sortir de l’église, toute la population cour sur la place publique pour danser ce que l’on appelle le «ball d’offici», prononcez baïl. Chaque danseur entraîne sa danseuse engagée d’avance ; c’est le plus souvent une fiancée, ou une cousine tout au moins. Cette première danse semble avoir emprunté un peu de son caractère à la solennité religieuse à laquelle tous viennent d’assister ; elle est grave; mesurée, en quelque sorte majestueuse.

Mais bientôt après le dîner, tandis que les grand-pères roussillonnais jouent entre eux le «flor» ou la manille,-et si nous disons les grand-pères, c’est parce que les Roussillonnais simplement pères dansent aussi gaiement que leurs fils, -toute la population commence les «balls».

C’est alors une fougue irrésistible, un entraînement impétueux, le cercle des danseurs va toujours s’élargissant, le nombre de spectateurs diminue en proportion, bientôt il n’en reste plus, tout le village danse, et deux ou trois générations pirouettent pêle-mêle.

Une grande part de cette ardeur publique doit être attribuée à la musique qui exerce une influence invincible sur les nerfs des auditeurs. C’est vainement qu’un Roussillonnais voudrait demeurer paisiblement assis en dehors du «ball», au premier son des hautbois ses muscles s’irritent, les jambes se trémoussent, son corps se balance, et bon gré mal gré, il faut qu’il se mêle à la phalange des danseurs. C’est une musique vibrante dont l’action se fait sentir, même sur les étrangers. Serait-ce à cette musique qu’il faut attribuer le goût de la danse, ou serait ce à l’amour passionné de la danse qu’est due la musique roussillonnaise? C’est une question qu’il est impossible de résoudre, mais toujours est-il qu’elles s’harmonisent merveilleusement. Ce sont deux choses crées l’une pour l’autre.

L’orchestre des «balls» se compose ordinairement d’un certain nombre d’anciens et grands hautbois, de clarinettes, de cornemuses et d’un flageolet très aigu, à trois trous, dont joue le chef d’orchestre, lequel marque la mesure en frappant avec une légère baguette, sur un petit tambour de quelques pouces de hauteur et de diamètre suspendu au bras qui tient le flageolet. Dans les villages où les progrès de la civilisation se font sentir, on a ajouté un trombone à tous ces instruments; les cornets à piston ne tarderont pas à faire invasion. Les musiciens s’appellent «jutglars», nom qui dérive évidement de jongleurs. Les Roussillonnais poussent si loin l’amour de la danse qu’ils exécutent entre eux, sans le concours des femmes, une danse particulière appelée contrepas.

Les hommes figurent en rond en se tenant par la main ou isolément les uns devant les autres. Il n’est pas rare d’en voir cent, deux cent, trois cent même danser ainsi. Au contrepas succède les «balls» auxquels les femmes prennent part avec une ardeur qui ne le cède en rien à celle de leurs maris. Le saut à deux est fort en usage en Capcir. Les montagnards exécutent cette danse à la fois élégante et bizarre, où la femme élevée par son cavalier, reste assise quelques instants sur la main, tandis qu’il tournoie sur lui-même, en jouant avec un vase dont le nom, «almaratxa», est comme la danse, d’origine mauresque.

C’est une burette de verre blanc à pied, à panse large, à goulot étroit, et garnie de plusieurs becs par lesquels les danseurs arables faisaient pleuvoir des eaux de senteur sur les aimées. D’autres danses sont encore à l’honneur dans le Roussillon, bornons nous pour terminer cette analyse chorégraphique, à citer les «seguidillas», danse d’origine catalane qui s’exécute au chant de couplets du même nom, par un cavalier et deux danseuses, sur un rythme vif, court et animé, et enfin «lo ball de ceremonia», usité à Prats de Mollo, dans le Vallespir, et qu’un cavalier danse avec un nombre indéterminé de danseuses, en figurant devant chacune d’elles tour à tour[1]


[1]              Les Français peints par eux-mêmes, encyclopédie morale du XIXème siècle, volume 3, L. Curmer, éditeur, p. 96-100.

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